Ce qui est appelé à devenir. 

v-m

Il est là, le fœtus, fraîchement formulé. Son existence est une pulsation muette. Ce n'est qu'une rondeur silencieuse.

« Es-tu encore en paix ? Je lui demande. Parce que moi, je t'attends. »

Il n'est encore qu'un murmure. Un détenu inconscient. Adam en son paradis, en tête à tête avec Dieu. Son inconscience fait son innocence. Et moi, enfoui sous des séquences de vies de légions d'humains, je ne suis que pensées reptiliennes rampant dans l'ombre des attentes insatisfaites. Je suis la boule noire des entrailles. La tumeur de l‘âme.

« Je veux ce que tu es. »

Prisonniers des frustrations, j'aspire dans un shoot furieux le silence serein de l'enfant. Sérénité contaminatrice. Ça se propage à sa mère qui, depuis de glorieuses hauteurs angéliques, me contemple en enfer et m‘offre un sourire harmonieux censé me réconcilier avec l‘univers.

« Ma mère...

— Retire-toi, me prie-t-elle.

— Te rappelles-tu ma présence ? »

Son visage se tord mollement dans une expression interrogative sans gravité. Elle est si loin de tout cela à présent. Si éloignée des instants de notre vie à deux, de ces nuits vécues dans la peau d'un démon. Elle nie notre couple passé quand sa nécessité d'enfanter est enfin récompensée, quand son regard ne se pose plus sur les autres mères, brûlant de cette ardeur dévoratrice. Guérie du cancer que je lui fus.

Et moi, tordu de désirs à la surface du paradis, je me défonce au souvenir de l'innocence.

« Ne suis-je plus ta jalousie ? »

Ses yeux... Des yeux de mère. Je voudrais pleurer pour eux, branler la légèreté et en tirer la jouissance d'un apaisement. Jouir d'une mutilation, de l'improbable amputation de ma nature et, me réduisant à des sensations animales, devenir le fœtus.

Le fœtus, je suis condamné à l‘infuser à l'heure de son baptême, dès craché à la surface du monde. Prédestiné à structurer ce qu'il deviendra, quand la frustration et le manque et le soupçon s'enracineront en son cœur.

 « Disparais, s‘il te plaît, me dit notre mère.

— Maman… aurais-je trop vécu pour ne pouvoir que crever d‘envie ?

— S'il te plaît, je ne te ressens plus. J'ai fais la paix. J'ai trouvé mon harmonie, m‘achève-t-elle de ses mots d'une compassion malsaine. »

Je m'en engraisse, j'enfle de haine. Ce qu'il a, le fœtus, c'est ce que je n'ai jamais été. Je voudrais l'extirper de ses entrailles paradisiaques, l'avorter afin d'y trouver ma place, échanger ses silences avec mes hurlements, ses sensations animales avec mes vies exponentielles, ces vagues inaltérables gâchées en songes de victoires, ces échecs répétés jusqu'à la mort. Mon éternelle conscience contre son inconscience. Nécessité d'oubli.

« Je n‘ai plus besoin de toi, insiste notre mère. Disparais.

— Je ne peux pas… Tu le sais que je suis une fatalité.

— Plus pour moi, m'assure-t-elle sans morgue.

Alors, je disparais progressivement, retourne en mes terres, là où je suis tout, si vain, bouillant dans les cervelles d'un milliard d'Othello sans ne jamais pouvoir oublier. Sans repos ni trêve. J'y hurlerai, inspirant la jalousie jusqu'à l'irrémédiable.

« Pourquoi reviendrais-tu ? Triomphe-t-elle à l'instant de notre rupture définitive. »

Tout ce que je peux lui avouer c'est: « Maman, je suis ta jalousie défunte. Celle que tu as formulée au-devant de ta stérilité et que tu as tué de ton ventre finalement fertile. La jalousie appelée à renaître, au nom de ton gosse. Je suis ce qui est en devenir. Je suis lui, quand tu lui diras de grandir. Je suis lui quand épuisé de subir il jalousera l'état d'inconscience. Je suis l'anticipation d'un manque. Mais celui-là n'est jamais qu'un embryon. Maman, vous êtes enceints tous deux, toi et ton enfant. Votre gestation n'est qu'un début. Une folie de plus, une pulsion réclamant un enfantement. La vie que tu vas donner. Cette haine ou folie qu‘il vomira quand je viendrais à lui, remplir sa vie. Cette place que tu me refuses, lui me la donnera. Je suis le vampire qui attend ton enfant. Je suis son futur cœur défloré d'innocence. »

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