Ce qui l'avait séduit chez elle, c'était son chien

le-hareng

Ce qui l’avait séduit chez elle, c’était son chien. Ou plutôt sa détermination, quelques semaines après leur rencontre.
Coquin, il s’appelait le chien. Nom qu’elle écrivait, depuis un voyage à Shanghai - qu’avait-elle été donc faire là-bas, elle qui n’avait jamais quitté le pays ? -, Qokin. Elle disait en riant qu’ainsi sinisé, le nom du chien sonnait moins provincial.
Qokin était une espèce de pékinois. Sa laideur – une maladie de la peau lui encroûtait le dos – était, comme elle disait, une réussite.

Quand, au début de leur histoire, elle lui ouvrait la porte de son deux pièces, au troisième monté quatre à quatre, le chien – frais lavé – l’accueillait jappant et frétillant. Il est vrai que Qokin n’avait pas beaucoup de distractions : elle aimait vivre dans le silence. Sans traîner – quinze jours sans s’aimer c’est long  et il roulait des heures avant d’arriver dans sa ville – ils se retrouvaient dans la chambre et Qokin était confiné dans la cuisine. Par le trou de la serrure, ils le voyaient patienter là, museau posé sur les pattes de devant, yeux grands ouverts, près du poêle qu’elle avait allumé avant son arrivée. Il ne viendrait gratter à la porte qu’en fin d’après-midi. Sans doute demander une portion de croquettes.

Qokin était-il végétarien comme elle ? se moqua-t-il un jour.
Lui, non, bien sûr. Elle, oui, et pour toujours. Elle lui raconta que toute petite, elle avait vu son grand-père saisir un lapin par les oreilles, l’élonger pour lui briser les cervicales, le pendre à un arbre par les pattes arrières.  C’était le lapin blanc à qui elle tendait des brins d’herbe par le grillage de sa cage, espérant toucher du bout des doigts la fourrure si douce. Il lui avait alors crevé un œil pour – sans tâcher la fourrure –  le vider de son sang. Et puis, avec précision, en quelques coups de couteau, le lapin avait été déshabillé. A l’arbre, pendait maintenant un monstre dégouttant le sang dans l’herbe. Et le bourreau s’en allait avec la fourrure. Et tu veux que je mange de la viande ? Le lendemain, dimanche, le lapin fut servi. Bière et pruneaux. Elle ne toucha pas son assiette. Elle reçut une gifle.

Qokin accaparait sa maîtresse : les bains à donner, les pommades à appliquer, les sorties par tous les temps, l’appartement à tenir frais. Il lui coûtait cher : les médicaments et les si excellentes croquettes à la viande. Et pas question de le laisser longtemps seul ni de l’emmener : il souillait tout.
Un jour, en arrivant chez elle, il lui répéta son envie de prendre le train, de passer une journée à la mer – il n’avait jamais vu l’océan ici – , de se promener sur la digue, de manger des fruits de mer – elle, une omelette – et d’y louer une chambre pour quelques heures. Elle lui répondit encore être navrée, en avoir envie, mais à cause de Qokin, elle aimait mieux pas.
Il rit : c’est elle qui portait un collier et Qokin la tenait en laisse. Son chat à lui était plus facile à vivre. Elle sourit. Et comme d’habitude, elle confina Qokin dans la cuisine, se lava les mains et le rejoignit sur le lit.

La fois suivante, quand il sonna et monta les six volées,  il fut accueilli sans les jappements du chien. Elle avait réfléchi. Elle ne lui avait rien dit. Mais elle avait décidé qu’il en serait ainsi. Et elle avait parlé à Qokin tandis que le vétérinaire procédait. Bien sûr qu’elle était triste. Ce n’était quand même par rien de supprimer un compagnon. Et en mourant, Qokin l’avait regardée plein de confiance.
Ils sortirent se promener. Il pleuvait. Ce fut triste.

Qokin absent, elle s’ennuya une vingtaine de jours. Et puis le chagrin diminua. Maintenant, au téléphone, il entendait de la musique dans l’appartement.
Et puis, un jour, quand il arriva au troisième, – le voyage était toujours aussi long mais il resterait une semaine – la porte était tout contre. Mozart. Il toqua et pénétra dans le vestibule. Une laisse de chien y pendait. Il l’appela. Elle l’attendait dans la chambre.
Il y entra. Elle était là sur le lit. Et rien d’autre qu’au cou, un collier de cuir rouge.

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