CE QUI MANQUE À L'APPEL

Julie Ormancey

Je pourrai écrire comme ça pendant des siècles, écrire sans jamais me fatiguer ni m'user, écrire ce qui refuse à mes yeux de se dérober. Ecrire aussi ce qui m'échappe, ce qui me fait souffrir, ce qui me vieillit bien avant l'heure. Ecrire pour demander pardon, pour demander grâce, parce que je suis toujours dans cette attente indicible et froide de cette fierté qu'on ne m'a jamais donnée, et à laquelle j'ai toujours aspiré. Suis-je entrain d'écrire mon destin, ou de finir celui de quelqu'un ? Toutes ces âmes que je croise, qui s'emmêlent à l'intérieur, qui dansent sous mes yeux étourdis, qui prennent tant de place et qui pourtant me laissent seule, quand j'ai besoin d'elles, que la fatigue m'emporte et que la pluie bat trop fort. Pourquoi les mots me viennent, si vite, si anarchiques et si nombreux, pourquoi ceux-là ne me quittent pas, juste pour le temps d'un instant, pour me laisser vivre et ressentir la chaleur moite des rencontres hasardées, que la vie aura bien voulu m'offrir. Je suis incapable de ça, de vivre sans cette ombre derrière mon épaule, qui m'observe et me dissèque, chaque jour un peu plus, dont l'opiniatreté me transcende autant qu'elle me harcèle. Je ne suis pas seule, elle est là, toujours, prête à bondir sur moi à chaque regard en arrière, en avant, en présent. Cette ombre au tableau, tableau étrange et maladif, agonisant sans cesse d'espoirs avortés, de plaies impossibles à cautériser. Y ajouter un cadre, c'est ce qu'il faudrait faire. Fermer la porte et ne pas regarder en arrière, ne pas se retourner, simplement ne plus y penser. Mais elle se cache dans l'attente vicieuse des promesses assassines, muette dans le bruit que font les rires éclatés de nos jeunesses abusées.

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