Ce serait...

olivier-f-thomas

Ce serait un de ces matins, vers huit heures, quand le jour n’est pas levé depuis si longtemps. Ce serait l’une de ces heures un peu fraîches, d’automne ou de printemps, quand on ne sait pas trop comment s’habiller et qu’on a froid le matin et chaud en fin de journée.

Il suffirait de ça, sortir du métro et prendre du plaisir à marcher dans les rues très légèrement humides et brumeuses,  se laisser porter au fil des pavés, avec un regard de sympathie pour les putes de service de la rue Saint-Denis ou pour les travailleurs immigrés attendant en file indienne d’être recrutés pour déchargés les camions de fringues chinois du côté de Réaumur.

Il suffirait de n’avoir nulle part de précis où aller, de faire défiler les troquets et les laveries, de franchir un pont ou de remonter un escalier. Il suffirait de s’emplir de grisaille, de la respirer comme une alternative à l’oxygène, et de la recracher en petites bouffées encore chargées de la nicotine de la veille. Il suffirait de se perdre dans les odeurs de croissants, de métro, de froid et de café qui jailliraient du ciel et des fenêtres.

Ce serait un matin sans badgeuse, sans courriel, sans reporting et sans feedback. Un matin de fuite dans un monde tout en ligne. On trouverait refuge dans un café sans terrasse, où l’on se sentirait loin du dehors, loin de toute possibilité d’être rattrapé. Il y aurait le menu de midi, en train d’être déposé sur l’ardoise, il y aurait un chien qui sommeillerait entre deux tables, il y aurait une affiche écornée pour le Picon bière sur le mur du fond et des carafes jaunes « Anisette » sur le zinc.  Il y aurait le bruit de piècettes dans un ramasse-monnaie en plastique usé, il y aurait de l’ombre et du chaud et aussi la chaise, forcément branlante.
Bercé par le cri du percolateur et par les ronronnements des poivrots en faction, on sortirait le carnet et le stylo.

La plume toucherait le papier, dans un chuintement sec de douleur en écoulement. L’encre glisserait ensuite, après cette première incision.

Alors, seulement alors, la journée aurait un sens.

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