Célestin

Chapitre 1 : La poussière d'étoile

- La page blanche est une conspiration ! Ce n'est pas une panne d'imagination, mais une attaque à la liberté d'expression ! Vous voyez, sans que l'on s'en aperçoive elle s'insinue en nous, bouffe petit à petit la moindre parcelle de nouveauté et nous laisse tel des abrutis face à notre incompétence. Je parierai même qu'elle est de mèche avec l'Amour. Ah l'amour… On peut en raconter des choses sur celui-là ! Monsieur fait vendre. Monsieur à une fête en son nom, monsieur est désiré par le monde entier…  Un c****** oui ! Incapable de se pointer quand on le lui demande. Il est toujours en retard, il n'est jamais là où on l'attend. Sans arrêt en train de jouer à cache-cache. Pourquoi agir en tyran ! Est-ce qu'on se cache nous ? Non ! Je ne crois pas. Est-ce qu'un jour, au moins une fois dans son existence, ce débile pourrait se dire : aujourd'hui je vais faire ce que l'on me demande. Non mais je vous jure… Et le pire, c'est qu'une fois qu'il est là qu'on est tout mielleux, dégoulinant de bon sentiments, tellement niais et amoureux que ça en devient affligeant ; il file à l'anglaise. Dites… vous m'écoutez ?

Célestin se tournait d'un geste lent. Chaque centimètre gagné était un exploit en soi. Il était de notoriété publique que Célestin aimait prendre son temps. Il faut dire que l'horloge n'avait plus grande prise sur lui depuis belle lurette. Après avoir rencontré la grande faucheuse en son temps, il avait eu la grâce de pouvoir échapper à l'impitoyable mécanique du temps qui passe. Cette mécanique qui, pour les vivants signifie que le passage des aiguilles est plus un coup de hache à leur existence qu'une régularité démoniaque qui sépare les heures de travail des heures d'oisiveté. Célestin avait un esprit, ou plutôt était un esprit, profondément séditieux. Râler pour déranger l'amusait, c'était là son passe temps favori de vivant. Et de mort bien entendu.

Son interlocuteur avait le regard vide, béat. Pour seule réponse Célestin reçut une vague de fumée semblable à une aurore boréale. Un florilège de couleurs vives et douces s'entremêlant dans une magnifique danse en suspend. Dans un vide animé par les seules lumières des étoiles, ces ondes colorées fusaient et se pourchassaient les unes les autres. Une chasse hors du commun s'évanouissant dans l'infini d'un au-delà mystérieux. L'homme se retourna lentement vers Célestin, le visage moitié caché par de longues mèches de cheveux durcies. Entortillées en une multitude de carambars capillaires. Autour d'eux beaucoup pointaient du doigt cet homme que Célestin jugeait comme particulièrement rustre. «Tu disais quoi ? Je n'ai pas écouté » répondit l'homme d'un air absent.

- Nom de Dieu, mais vous pourriez m'écoutez bon sang ! Il n'y a rien d'autre à faire ici de toute façon.

L'agacement se faisait sentir. Car en plus d'être un personnage détestable Célestin avait la méchante ambition d'imposer son idéal à ceux qui avaient le malheur de l'écouter parler. Et jurer au nom de Dieu, quel qu'il soit, dans le royaume des morts, ne lui faisait pas froid aux yeux.

« Man, arrête de crier !, prenant Célestin par l'épaule comme s'ils étaient de vieux amis. Regarde en bas, à travers les nuages tu pourras voir la vie. C'est pas beau ça ? T'as besoin de te détendre». Il lui tendit un long nuage en forme de cigarette. « Tire une latte, mais tout doux c'est de la poussière d'étoile, si t'es pas habituer ça va t'arracher la… »

L'incrédulité manifeste de Célestin laissa peu à peu place à une sensation de plénitude et de calme, et une furieuse fringale vint tout balayer, imposant ainsi à son esprit une juteuse et délicieuse côte de bœuf rôtie à la braise. Des côtes comme il avait l'habitude de manger lorsqu'il était encore vivant. Ces petits plaisirs qui font que la vie vaut la peine d'être vécue, et bon sang il avait vécu la sienne à coups de fourchette et de boissons en tous genres. La poussière d'étoile… Un petit bout de paradis. « Ça fait rien votre truc », pensa-t-il. Ce petit gamin ne sait pas qui je suis, se dit Célestin en son for intérieur.

- Attends encore un peu Man.

- Mais qu'est-ce que… !!