Cendrillon

aile68

S'envoler avec les feuilles, suivre les traces du prince charmant, quitter mon habit de Cendrillon, devenir scintillante et lumineuse comme les jours de grand soleil. ça fait combien de temps que je ne suis pas allée au bal? J'ai raté celui de la Saint Jean, trop d'examens à préparer, trop d'angoisse, trop de gens dehors, j'aime pas la foule. Vite me dépêcher, la pluie va tomber, l'automne est bien là, froid et de mauvaise humeur. J'ai peur de rentrer tard, j'ai peur de prendre une tarte, c'est même pas ma mère et elle est trop jeune pour être ma belle -mère. Même pas dix ans de différence, elle en fait un peu trop pour se vieillir. Elle a beau se maquiller, s'arranger, je la trouve laide, sans charme, je me préfère en habit de Cendrillon. Le soir je m'en vais faire du ménage pour me payer mon permis de conduire, mon père est adorable mais c'est un vrai panier percé, et puis il est fier de moi. Je l'aime un peu trop, ma meilleure amie me dit qu'il ne prend pas soin de moi, que je suis livrée à moi-même, je n'aime pas qu'elle le dise, alors on se dispute et on est malheureuse toutes les deux. Des fois j'ai l'impression qu'elle a raison mais je ferme les yeux et pense au prince charmant. J'ai vingt ans, j'ai le droit d'y rêver encore.  Il y en a un à la fac qui me plaît bien, j'aimerais bien l'approcher, lui parler mais l'amphi est immense, trop bondé. Combien sommes-nous dans l'amphi, combien sommes-nous dans le monde à chercher l'âme soeur, sa moitié? Moi je fais une recherche sur des contes italiens, les relations entre frères et soeurs, qui constituent une des clés de ce genre littéraire. Ma petite soeur est issue tantôt d'un cauchemar, tantôt d'un mauvais rêve, elle ressemble à Boucle d'or mais a le caractère laid et méchant d'un crapaud. Evidemment mon père est séduit par ses boucles blondes et ses yeux bleus, ma soeur le manipule depuis son plus jeune âge. 

Revenons à nos moutons, je ne suis pas très heureuse chez mon père qui n'y voit que du feu. J'ai une marraine qui est comme ma bonne fée. Quand je vais la voir avec mes petits présents, la vie s'éclaircit, ça chante dans ma tête, je suis heureuse. Un jour elle me prendra chez elle et je rencontrerai l'homme de ma vie. C'est à ça que je pense quand je passe l'aspirateur dans les bureaux le soir. A huit heures tout est propre comme dans ma tête quand mon père m'embrasse et me souhaite "Bonne nuit ma chérie". Quand il me parle comme ça j'ai envie de pleurer alors je fuie vite sans lui rendre son baiser. Il pense que je ne suis pas assez affectueuse, s'il savait comme je l'aime! Je me rappelle l'époque où il jouait avec moi et me faisait rire. Les balades en vélo et l'accident de Maman sur la route de l'école. Jamais plus je n'ai voulu qu'on m'accompagne à l'école après ça. J'y suis allée avec mes camarades ensuite. Mon cartable pesait lourd mais je m'en fichais, tout le poids de ma mère pesait  déjà dans mon coeur. Un jour j'ai laissé un ami de mon père me conduire à l'école. J'aimais sa voiture une Coccinelle verte, j'étais un peu amoureuse aussi, j'ai giflé un garçon de ma classe quand il me l'a dit, il faut dire que je n'ai pas arrêté de parler de la voiture et de cet ami quand je suis arrivée à l'école. Je ne cessais de dire qu'il m'amènerait tous les jours. J'avais dix ans à l'époque. Je ne sais pas ce qu'est devenu cet homme. Je n'y pense plus sauf quand je m'amuse à fouiller loin, très loin dans ma tête. Ma mère, y a une photo d'elle dans mon porte-feuille, elle est bien cachée derrière une feuille jaune que j'ai attrapée pendant qu'elle volait avec ses consoeurs. Un jour je prendrai l'avion et m'envolerai au Canada, là où les automnes embrassent les feuilles avant qu'elles ne tombent et s'envolent.

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