Cercueil volant
ynnej
Tes iris foncés sont comme deux boules à thé en train d'infuser. Le blanc laiteux de tes yeux se trouble, ton regard fuie, tes mots meurent. Tu baisses la tête, je crois à un malaise dû au diabète, comme cela t'arrive souvent. Tu prends une serviette éponge, tamponnes ton front, me caches ton visage surtout. Pudique fierté. Ce jour où tu me parles de ton enfance chez toi, j'entrevois enfin le noir en toi, cette souffrance que tu portes et qui n'est pas de celles que je connais.
Tu me dis que chez toi, la nature est si hostile qu'on ne s'y promène pas. Il y a des animaux qui portent le mal et qu'on ne dérange pas. Les serpents filent sur les murs, les scorpions se glissent sous les couvertures. Chez toi, la magie existe et elle torture.
Chez toi, certains hommes ont de grands pouvoirs. Ils font tout pour que ton esprit s'égare. Ils lancent des malédictions et fuient dans d'autres dimensions. Chez toi, ils envoient des armées de cafards pour envahir les maisons.
Chez toi, bon ou mauvais, un sorcier est toujours suspect. Il prend l'apparence d'une personne que tu connais. Il apparaît, nu et endormi, au sommet des monuments. Il surgit, dans un coin de ta chambre, hideux et dément. Chez toi, chaque nuit est un tourment.
Tu me dis que chez toi, ce n'est pas comme ici, que chez toi, il y a encore un monde des esprits.
Les cercueils viennent frapper à la porte des assassins. Leurs porteurs sont commandés par les défunts. Chez toi, une vidéo suffit à tout prouver. Chez toi, les fantômes disent forcément la vérité.
Chez toi, tu dors toujours avec la lumière allumée.
Pour toi, si je n'y crois pas, il ne peut rien m'arriver.
Alors chez moi, j'essaie de comprendre en regardant le passé. Pour moi, la magie s'estompe dès lors qu'elle est filmée.
Chez moi aussi, on dit que les fées sont mortes parce qu'on a cessé d'y croire. Mais on ne parle pas vraiment de magie noire.
Chez moi aussi, le pouvoir des plantes n'est plus à prouver. Mais je n'ai pas aimé ce qu'on a fait aux sorciers.
Chez moi aussi, les superstitions persistent. Mais les coïncidences existent.
Chez moi, la forêt n'est plus un danger. Alors c'est vrai, ma vie n'est pas menacée.
Mais chez moi, tout le monde est capable du pire. Alors les morts aussi peuvent mentir.
Chez moi, je comprends que Jésus réussit là où Descartes a échoué.
Mais chez moi, je suis athée et ça ne m'aide pas pour comprendre ta réalité.
Pour toi, ton être spirituel est pourchassé, quelqu'un cherche à le tuer. Pour moi, c'est la peur et la fatalité qui guide ta pensée.
Chez toi, une erreur de jeunesse te condamne jusqu'à la vieillesse. Pour moi, c'est l'abandon et la rancœur qui te rongent le cœur.
Pour toi, tu portes un mauvais sort jeté par ton père. Pour moi, tu ne lui pardonnes pas la mort de ta mère.
Autour de toi, chaque soir tu dresses des barrières mentales. Pour moi, il est déjà en toi celui qui te veut du mal.
Pour moi, ta foi, c'est en toi qu'il faudrait la placer.
Mais pour nous, c'est difficile de se comprendre sans rire et sans blâmer.
Pourtant pour nous, la sagesse vient du savoir de nos aînés.
Et pour nous, bien sûr que l'esprit a des capacités cachées.
Pour nous, la mort ne peut sans doute pas tout régler.
Pour nous, nos âmes se sont peut-être réincarnées.
Pour nous, c'est plus qu'une coïncidence de s'être rencontrés.
Très joli, du rythme en plus, j'aime beaucoup.
· Il y a environ 10 ans ·dreamcatcher
Merci ! j'avais des doutes sur le rythme :-)
· Il y a environ 10 ans ·ynnej