C'est pas gai la cinquantaine !

Alain Kotsov

Un voyage que je fis récemment fut l’occasion d’une intéressante réflexion philosophique sur certains de nos département : avez-vous remarqué l’apparente malédiction qui semble frapper ceux dont le numéro minéralogique commence par le chiffre 5 ?

Je vais d’emblée écarter de cette liste noire le Morbihan ; certes le profond inintérêt de sa préfecture, le bruit égrillard des instruments de « musique » qu’on y « joue » (remarquer les guillemets) et qui ne devient supportable que dans un état de profonde ivresse (ce qui explique la place élevée qu’occupe le 5-6 dans la consommation d’alcool), et sa mer qui ne cesse d’être glaciale qu’entre le 15 juillet et le 15 août, pourrait justifier sa présence dans le groupe maudit. Mais les neuf autres ont tellement d’avance sur lui dans la médiocrité, je lui accorde le rattrapage. De justesse !

Je vais m’attaquer, c’est le cas de le dire, à ces divisions administratives de la sixième dizaine en les présentant dans l’ordre décroissant de leur intérêt touristique :

Commençons par la Manche, le seul avec le dernier de la liste à posséder une côte. Je l’ai choisi comme cadre de mon poème pour en renforcer l’intensité dramatique. En effet, nul besoin de mentionner la fine pluie qui tombe incessamment sur les landes glacées, il suffit de dire « Cotentin ». Le lecteur se sent immédiatement trempé jusqu’aux os. Le titre d’un célèbre film est d’ailleurs une référence à l’association de cette région, qu’on pourrait qualifier de caricature de Normandie, au climat pourri. Jacques Demy aurait-il pu intituler sa comédie musicale « les parasols de Cherbourg » ? Non bien sûr ! Personne n’y croirait. Donc, le seul avantage dont bénéficie la Manche est d’être bordée par la mer. Mais quelle mer ! Contrairement à celle du Morbihan, sa température n’atteint jamais le niveau de baignabilité. Même les manchots n’osent s’y aventurer, malgré l’assonance de leur nom avec celui de l’endroit ; il n’y a en effet pas un seul manchot dans la Manche. CQFD !

Poursuivons par la Nièvre et la Mayenne. Que dire de ces deux là ? Rien justement ! Qui peut m’indiquer un endroit pittoresque, une curiosité, un monument remarquable sis dans un des susnommés ? Il n’y a RIEN ! Seulement des champs, et des arbres, et c’est tout !

Mais il y a pire ! Prenons la Marne. On peut la diviser en deux parties : à l’ouest, autour de Reims et d’Epernay, toutes les forêts ont été abattues pour y planter de la vigne. Ce qui confère au paysage une incroyable monotonie et nous incite à féliciter les viticulteurs de se résigner à habiter un aussi morne endroit pour nous permettre à noël de faire sauter les bouchons. Mais le pire du pire est à l’est : cette région où l’armée a choisi d’implanter ses plus grands camps de manœuvres (Mourmelon, Suippes) car personne ne veut y habiter et que seuls les bidasses, qui ont signé pour en baver, sont aptes à y survivre. Difficilement.

Continuons avec la voisine, la Haute Marne. La seule fierté de ses habitants est l’adjectif qui la sépare de sa consœur. A part ça, c’est comme la Marne, mais sans la vigne et sans la cathédrale de Reims.

Avec la Meuse, on attaque le peloton de tête des départements tartignoles. Une terre ravagée par les obus avec dix tombes par habitant. On peut se demander pourquoi Allemands et Français se sont disputés avec autant d’acharnement les alentours de Verdun. La stratégie des états majors aurait dû consister à abandonner le terrain à l’adversaire dans le but de démoraliser ses troupes. En fait, si la bataille fut si terrible, c’est que l’emplacement représentait pour les Teutons le point de passage obligé pour se rendre à Pigalle et pour nos pioupious le verrou à faire sauter pour aller jusqu’à Strasbourg afin de déguster une bonne choucroute.

Nous arrivons au podium. La lutte pour la deuxième place s’avère très serrée. La Moselle ? La Meurthe et Moselle ? Laquelle choisir ? Toutes deux bénéficient de mines désaffectées, de paysages industriels sinistrés, d’usines en ruines. Alors Longwy ou Thionville ? La vallée de la Fensch ou Pont-à-Mousson ? De ces deux départements il est si malaisé d’élire le plus déprimant que je leur accorde la deuxième place ex-aequo.

Enfin, terminons par celui qui franchit en tête la ligne d’arrivée de cette triste boucle qui nous a conduits à visiter ces zones sinistrées qui font la honte de notre pays. Inutile de connaître la géographie ; le premier nom qui vient à la bouche quand on évoque un département tarte est, on l’applaudit bien fort, le Nord ! Rien que son nom, reprenant celui du plus inhospitalier des points cardinaux, suffit à en décrire l’aspect repoussant. Les mineurs y sont les plus chanceux car moins exposés à la température du dehors, qui peut descendre à – 20, – 30, jusqu’à – 40 (je l’ai vu dans un film, donc, c’est vrai). La dépression dont sont victimes la quasi totalité des habitants nous permet de les excuser de leur alcoolisme endémique. Il y a bien la mer, mais la brume qui la couvre en permanence empêche de la voir. Et pour ce qui est de la baignade, inutile d’y songer. Quand elle n’est pas gelée, au plein cœur de l’été, nul n’oserait s’y aventurer de peur d’y être saisi par l’hydrocution. Quant au paysage, ce n’est qu’une succession de terrils et de crassiers qui bordent des puits de mines et des usines abandonnées. Bref, c’est le Nôôôôrd ! Pas la peine de s’étendre.

J’espère vous avoir convaincu avec ce pertinent exposé du malheur que représente pour un département le fait de posséder un numéro dans la cinquantaine. Seule bonne nouvelle pour ceux qui y vivent, la nouvelle numérotation des plaques de voitures qui rend facultative, ou au choix de l’automobiliste, la mention du département. Les ventes de véhicules vont certainement connaître un boum dans les régions concernées, cette nouvelle loi permettant d’effacer la honte d’être affublé d’un numéro commençant par 5. Et il y a fort à parier que les immatriculations dans le 06, le 83, le 75, le 66 vont accuser une hausse notable, les Nordistes,  Mosellans et autres Hauts-Marnais se découvrant subitement des attaches sentimentales avec leurs lieux de villégiature ou d’autres régions qu’on peut être fier d’habiter.

Euh… Tout ce que je dis, c’est pour rigoler. En vérité je les adore, ces départements.

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