C'était hier où il fut poète-11-

ecriteuse

Tu te dis que tout ça est passé qu'il faut en finir avec le passif, tirer un trait et  rester en retrait, prend le meilleur de ton père, tu fais ton manuscrit avec ses textes, votre manuscrit . L'idée première étant de publier que sa poésie, la préface était prête « A mes enfants et petits enfants », le livre existera autrement…tchao et basta. Tu les as aimé pourtant les enfants de ton père. Fille unique jusqu'à 16 ans ne t'a pas empêché de te réjouir de cette famille grandissante. La vie a des retournements soudain qui te chavirent le cœur à t'en faire vomir. Ton père n'est pas le leur et leur père n'est pas le tien. Ton papa  était plus jeune, plus artiste, ne fréquentait pas le même milieu, il était bohème et tu aimais ça. Il en est ainsi dans toutes les familles, chaque enfant à une vision différente de son père et de sa mère comme si chacun prenait la partie de son parent qui l'intéresse, ou bien qui le dérange, un balancement entre le traumatisme et l'admiration, le « je t'aime moi non plus »,  le cœur balance et parfois il chavire. Tu relis les lettres de ton père à sa sœur, il parlait de sa mère joliment  - j'aime  maman, non pas simplement parce qu'elle est ma mère mais surtout pour la femme qu'elle est- Tu trouveras cette déclaration d'amour magnifique.

Lettre à son Frère

'Souviens toi'' de la terre d'Oc et de lumière, de ses garrigues incendiés par le soleil de midi, du vent qui porte les odeurs enlacées du thym et du romarin,

Souviens toi, la Dame de Capimont, la madone des vignes, le cierge allumé dans la chapelle silencieuse, les cerises sur l'arbre, la fille allongée dans les herbes froissées son regard tourné vers les baisers envolés.

Souviens toi le ruisseau paressant entre les roseaux qui chuchotent, l'ombre bienveillante des platanes, la cigale endormie sur le tronc du pécher, nos mains de maraudeurs sur le fruit encore vert, les éclats de l'eau vive sur nos visages émerveillés.

Souviens toi, la terre rouge après la pluie, le châle sur les épaules nues de la parisienne en vacances, l'eau de source qui pique et pétille, le film en noir et blanc, le plateau de la serveuse du Grand Café qui joue avec les rayons du soleil et le vent irrévérencieux qui emporte le képi du garde-champêtre.

Souviens toi, la Cocarde de Mimi Pinson, nos rêves sur le tapis vert, la boule qui tourne et roule, les jetons de l'espoir, l'orchestre en rouge et noir, les grands amours du samedi soir, la farandole des étoiles dans le ciel de l'Août.

Souviens toi, les arcades de la maison cévenole, les formes enchantées de la voisine du dessus qui, à la nuit tombée, se découpent en ombre chinoise sur la toile blanche de nos imaginations adolescentes. Souviens toi, la mante religieuse qui prie pour obtenir une grâce trop souvent refusée, les sauterelles qui fusent des herbes hautes à chacune de nos foulées, le ballet des libellules, et hélas le papillon sacrifié. Souviens toi de la vanité de nos corps hâlés offerts à l'appréciation des jeunes villageoises, de l'accent chanté des gens du terroir, de l'été qui va, qui va et qui n'en finirait pas si l'automne n'était là et avec lui les souches qui plient sous le poids du raisin, le fardage des vendanges, les filles qui rient et chantent, leur corsage entrouvert sur de malicieuses promesses.

Souviens toi de la terre d'Oc et de lumière, de ses garrigues incendiés par le soleil de midi, du vent qui porte les odeurs enlacées du thym et du romarin, des collines rouges de bruyère, des flamands roses qui illuminent la tranquillité des étangs, des chants guerriers de la Tramontane et du Mistral, des noires manades et des blancs camarguais. Souviens toi enfin, de la mer bleue d'éternité, gardienne jalouse de ses terres, de la mer qui elle, n'oublie rien.

Roger Frey     

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