Cette fille-là.

Alexandra Bitouzet

Cette fille-là me fait envie. Elle n'a pas la même peau que moi, ça se voit qu'elle ne fume pas. C'est lisse et sans accrocs. Tu lui donnes dix ans de moins. Cette fille-là, c'est presque moi, sans les cernes. Elle me dit qu'elle baise un peu et je veux bien la croire, elle a l'air tellement saine, ça serait normal. Cette fille-là me fait envie quand elle me dit qu'elle ne boit pas, même pas du café et ça se voit à la couleur de ses dents si parfaitement blanches et alignées. Quelle chance elle a de pas connaître la vodka !

Cette fille-là n'est pas du genre à se laisser chercher des noises et pour ça aussi, je l'envie beaucoup. Ça doit être bien de pas se laisser emmerder. De pouvoir dire non quand on n'a pas envie. J'aimerais essayer un jour. Cette fille-là n'est pas très drôle et parfois même, carrément conne. Un peu comme moi en somme, surtout après trois whisky.

Cette fille-là a des enfants. Bien habillés, toujours propres et jamais la morve au nez. Ils disent merci, bonjour, au revoir et ils ont plutôt intérêt à croire ce qu'elle en dit. Elle a aussi un mari qui porte son alliance à son gros doigt tellement boudiné qu'il ne peut plus, de toute façon, la retirer. Pis je crois qu'il n'aurait même pas intérêt d'essayer.

Cette fille-là prépare les fêtes avec deux mois d'avance, a des amies plutôt fidèles et un petit chien, qu'elle brosse tous les samedis sous sa véranda achetée à crédit. J'aimerais avoir une vie aussi bien réglée que la sienne et des amies au garde-à-vous. Mes chiens à moi ont le poil court et font le dos rond dés que j'approche, ils flippent je crois. Surtout après trois Ricard.

Cette fille-là, je ne l'ai jamais invitée chez moi et c'est pas dit que ça arrive. Faudrait pour ça que je me mette à sucer de la glace et rien que de la glace et ça, pour sûr, j'en n'ai pas trop envie. Ça a l'air d'être tellement l'emmerde, la vie à côté d'elle, que même pour une soirée, j'ai pas envie de tester.

Alors pour pas lui ressembler, je bois. Dés le matin, à vide, comme ça, le ventre même pas plein. Je bois. Tout ce qui me passe sous la main termine dans mon estomac. Je bois. Paraît que c'est mauvais pour la santé, paraît que je vieillirai pas, paraît que je finirai toute seule. Avec mes chicots pourris par le tabac et le café et mon foie dur comme celui de papy qu'est mort tout jaune comme un poussin.

Cette fille-là, le bol qu'elle a, c'est de pas avoir eu de poivrots dans sa famille. De pas avoir vécu de traumas si lourds à porter qu'il faut pour ça se fracasser le crâne tous les soirs pour arriver à plus penser à rien. Il lui suffit d'allumer la télé, de boire une infusion, d'éplucher sa petite pomme bio et de la gober. Elle ne se pose aucune question, elle ne sait même pas si la vie qu'elle mène et celle dont elle avait rêvé. Elle ne sait même pas si elle avait rêvé un jour de mener une vie en particulier. Peut-être que pour elle se faire épouser et pondre deux mômes suffit à l'idée qu'elle se fait du bonheur. Peut-être qu'elle a épousé le premier con qui l'a demandée en mariage. Peut-être qu'elle avait peur que ça n'arrive pas une seconde fois. Peut-être que certains se posent trop de questions et d'autres pas assez. Et peut-être que je devrais arrêter de fréquenter des filles comme ça. Des filles qui l'air de rien me ressemblent si peu.

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