Chacun chez soi
petisaintleu
Le conflit entre les Armagnacs et les Bourguignons, c'est très loin. Je défie d'ailleurs quiconque de pouvoir me parler spontanément de la guerre civile qui les opposa. De la Guerre de cent ans, on ne retient, au mieux, que les clichés sur Jeanne d'Arc.
Dominique débarqua de Tonnerre sur Toulouse en 1996. À cette époque, Le ciel était encore clair et dégagé. À peine ses collègues aux intonations chantantes remarquèrent-ils son accent rustique.
C'est en 2008 que ça se compliqua. La crise frappa aux portes de l'Occitanie. On la débaptisa alors. Ses origines et ses kilos superflus firent d'elle la Charolaise. Elle, pas bégueule, n'en continuait pas moins d'apprécier le cassoulet.
Ce n'était pas sa seule tare ; imaginez : elle était protestante ! Dans la mémoire populaire, elle s'amalgamait avec la croisade des Albigeois et le siège de Toulouse de 1211. Alors, elle se tut. La perspective d'être empalée ou brûlée vive ne l'enchantait guère. Les week-ends se firent moins roses. Elle ne fréquentait plus les commerces près de la place du Capitole.
Le répit fut de courte durée. Elle habitait dans un village près de Gaillac. Ils étaient bien contents quand elle était venue s'installer. Imaginez, quatre gosses qui miraculeusement venaient sauver la commune de la fermeture annoncée de l'école primaire. Désormais ménopausée, elle n'était plus en mesure de renouveler cet exploit. L'établissement ferma. Faut-il y voir un lien de cause à effet ? Le français se fit plus rare. On s'adressait à elle dans un patois que le jacobinisme n'avait pas décapité. Les vieilles coutumes réapparurent, comme l'habitude de cracher, surtout à son passage. Chez le caviste, on lui fit clairement comprendre que la hache de guerre était déterrée. Une immense affiche donnait le ton en indiquant : « Mort aux Bourguignons félons ». Elle s'invita à la foire viticole, prenant plaisir à recracher ces vins du Sud-Ouest qui n'avaient jamais enchantés son palais. Elle rentra vite pour se rincer le gosier avec un côte de Beaune.
Les troubadours ne sont plus ce qu'ils étaient. Un matin, en ouvrant ses volets, elle eut la surprise de voir ses murs tagués d'un « Rentre chez toi ». Elle ne s'en serait pas formalisée si la connerie s'en était arrêtée là. Mais les coups de chevrotine et les insultes au téléphone en occitan à toutes heures de la nuit prirent une tournure inquiétante. Elle se présenta à la gendarmerie. On se rit d'elle. Pensez donc : que venait-elle les importuner à l'heure de l'apéro ? Puis, elle découvrit les joies du train. Pour fêter la saint Jean, on avait brûlé sa voiture.
C'est Mohamed qui évita son crépuscule. Robert, le maire, avait fait la guerre d'Algérie. Cinquante ans que ses nuits étaient hantées par ses camarades massacrés par les fellaghas. Mohamed était le fils d'un harki. Peu importe ; on n'a pas tous les jours l'occasion de voir un bouc-émissaire s'engouffrer dans la gueule du loup. Il n'eut même pas à se salir les mains. Vous connaissez les enfants : leur curiosité est vite érodée pour se transformer en méchanceté. Les pauvres petits maghrébins se prenaient une raclée en revenant chez eux après avoir été mis en haillons par la marmaille allogène
La nuit, tous les chats sont gris. C'est sans doute pour cela qu'elle ne le reconnut pas gisant dans un fossé alors qu'elle rentrait du travail. À moins que ce ne fut son visage maculé d'hématomes. Le juge d'instruction conclut à un accident de mobylette.
L'apothéose fut atteinte à la mi-septembre. Le mal était fait, la boîte de Pandore était ouverte sur tout ce qui ne roulait pas des mécaniques en roulant des r. La bonne aubaine : arrivèrent cinq caravanes de bohémiens. On leur laissa le temps de s'installer avant de commencer les réjouissances.
L'histoire se souviendra que c'est de Sanpouy-sous-Gaillac que commencèrent ce qui fut appelé par les historiens l'Innommable Purge. Dominique parvint à rejoindre sa région natale où on l'accueillit avec toute la suspicion qui sied à l'étrangère .
Chronique de la haine ordinaire….
· Il y a plus de 5 ans ·J'aime votre ton désabusé pour dénoncer les travers de notre société où l'étranger est depuis toujours montré du doigt ou accusé des pires maux, qu'il vienne de l'autre côté de la planisphère ou du département d'à côté….
caza