Chaos - Chapitre 4

Mylène Marle

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La bûche tomba et se fendit en deux en heurtant le sol. Ésis posa celles qu'il tenait près de l'âtre puis la poussa du pied avec les autres.

– Ça ira pour aujourd'hui, déclara Joro, un sourire faisant plisser ses yeux presque jaunes. Rentre chez ta mère et dis-lui bonjour de ma part.

Le vieux voisin lui donna une piécette polie par les ans et Ésis le remercia avant de partir. Finalement, il avait préféré consacrer un peu de son temps à ses corvées, pour mieux leur échapper ensuite. Sa mère avait envoyé sa sœur pour voir ce qu'il faisait, mais elle était partie chez une amie et ne reviendrait pas avant longtemps. Il pouvait donc s'amuser comme il voulait.

Il constata avec soulagement que son travail ne lui avait pris que deux heures. Tandis qu'il se dirigeait vers le mur ouest, il croisa plusieurs garçons de son âge, qui sourirent en le voyant. Ésis rougit. La plupart de ses camarades le trouvaient étrange, à cause de sa grande timidité. Il n'avait pas beaucoup d'amis à Kaez.

Tout en marchant, il exerçait ses sens. Sa vue d'abord, puis son ouïe. Le village se paraît de mille visages et distrayait le garçon de son infortune. Il était d'un tempérament insouciant et en avait parfaitement conscience. Trop insouciant, parfois, car il se laissait souvent aller à commettre des bêtises plus grosses que lui par simple curiosité.

Parvenu devant le mur ouest, une véritable muraille en béton armé, il souleva une lourde pierre et dévoila sa cachette. C'était là où, depuis sa plus tendre enfance, il rangeait ses trésors : un scarabée séché, une bague en roseau, une drôle de sphère en verre fêlée avec un dessin de fleur…

En les revoyant, le garçon ne put retenir un sourire, car sa nouvelle trouvaille les rendait misérables en comparaison. C'était un magnifique couteau de cérémonie, au fourreau doré et couvert d'arabesques en relief. Une pièce de maître.

En soi, c'était une preuve flagrante de sa culpabilité. Il l'avait volé dans la Maison des Ancêtres. Le vieux Joro lui avait raconté que cette arme appartenait jadis au valeureux Han, héros de l'époque des Ravages, et qu'il avait le pouvoir de repousser le mal. Impressionné par ce récit, le garçon avait agi sur un coup de tête et s'était emparé de l'objet à l'insu des Gardiens. Le pire, c'était qu'il ne regrettait pas vraiment. Il avait juste hâte de montrer le couteau à ses amis.

Il tira également de sa cachette une combinaison anti-feu étanche, qu'il enfila, et une paire de grandes bottes décolorées. Ces dernières firent un vol plané au-dessus du mur. Ensuite, Ésis lança à mi-voix :

– Je suis là !

Quelques secondes passèrent, puis une corde de lianes tressées se déploya de son côté. Ésis s'étira avec soin, puis la prit à deux mains et se hissa agilement au sommet. Arrivé en haut du mur, il s'accorda quelques secondes pour contempler la Dévoreuse.

La canopée s'étendait à perte de vue, telle une immense mer. Des ruines en émergeaient ça et là, longs pitons de béton gris et dentelé. Les derniers vestiges de l'ancienne civilisation. Autour d'eux, bon nombre d'arbres se paraient d'incroyables teintes rouges et ocres, mais la majorité était encore d'un vert profond. Même si l'hiver approchait, une sève brûlante restait dans les plantes et plongeait les sous-bois dans une moiteur d'étuve. La Grande Forêt ne s'assoupissait jamais, ne serait-ce qu'un seul instant. Une rafale de vent la secoua. Des oiseaux s'envolèrent vers le soleil en lançant des trilles enjouées et Ésis huma avec délice les parfums de fleurs et de fruits. Il gardait à l'esprit que c'était toujours le même agglomérat de marécages, de putréfaction et de poisons, mais il voyait aussi cela : un monde plein de vie et de liberté.

L'excitation fit battre son cœur plus vite et, comme le vent le poussait, il n'y tint plus. Il abandonna son hésitation et sauta. Comme toujours, les arbres le reçurent en douceur et amortirent sa chute. Il se rattrapa à une branche basse et, assis dessus, retira ses chaussures. Ensuite, prenant bien garde à ne pas toucher le sol de ses pieds nus, il ramassa ses bottes et les mit. Cependant, son sac s'ouvrit et une tartine en tomba.

Au village, c'était une évidence : ce qui touchait la boue empoisonnée de la forêt était perdu. Mais pas pour tout le monde, car une petite main bleue s'en saisit avec empressement.

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