Chapitre 1 - Sous le drap blanc

cerise-david

Après plusieurs mois d'absences, une nouvelle en plusieurs chapitres. Ecriture aléatoire, ne soyez pas pressés. Et indulgents, ma plume était au placard et mon Bescherelle a pris la poussière...

Les volutes de fumée montent en anneaux vers le plafond. La pièce est vide. L'écho d'un scooter, qui passe dans la rue, l'envahie. Allongée à même le sol sur une couverture, je ferme les yeux et plonge de l'autre côté. Il fait froid et humide, un peu comme les premiers jours de l'hiver. Je marche à travers les fines gouttes de pluie. J'avance… 


Une main frôle mon sein avant de saisir ma mâchoire. Une pression des doigts me fait ouvrir la bouche et une langue s'enroule autour de la mienne. Entre nos 2 muqueuses, un comprimé de meth. Le goût sucré se répand dans ma salive et se mélange à la sienne. Et je replonge entre les draps. 


Des dizaines de poissons multicolores frétillent et me frôlent. Je suis en apnée quelque part dans les eaux du Pacifique. Je ne manque pas d'air, je suis comme ces méduses qui ondulent à travers l'immensité turquoise. Souple et volubile. 


Je m'enroule autour de lui, je m'électrise et retombe inerte entre ses reins. Et nous recommençons notre danse, encore et encore. Jusqu'au petit matin, tenus en haleine par les comprimés fluos. Je me laisse faire, griffer, mordre, déchirer, ouvrir, pencher, courber et cambrer. Souple et docile. 


Le matin se lève doucement, le ciel passe du noir intense au rose pâle. Je lève les yeux en claquant la porte de chez lui. Le temps n'a plus d'impact. Je ne sais pas quel jour nous sommes. Quel importance. Ma mâchoire me fait souffrir. Elle craque lorsque j'essaye de la détendre, en vain. Est-ce important au fond ? Quelques minutes de souffrance après des heures de plaisir… instants si rares à présent.


J'enfile ma blouse, en remontant le couloir de mon service. Je presse le pas, presque en retard. Encore un. Dernier jour de travail. J'ai amené les croissants. Une façon aimable de dire au revoir. Au fond, qu'est ce qui va me manquer ici ? Pas l'odeur de détergent qui me brûle les sinus. Pas le faciès des collègues jamais heureuses. Pas les veines éclatées du Mr de la 102, ni les ongles incarnés de celle de la 106. 


J'entre, l'estomac vide, dans la 105. Il est là. Apaisé. Son visage détendu, il ouvre un oeil et me sourit. Je m'assois au bord du lit, comme à mon habitude, malgré les interdits du service et de sa cadre psychorigide. J'ai toujours transgressé les règles. Il prend ma main, et je me mets à trembler. Il me regarde avec affection et me dit :

« Il faut pas pleurer mon petit, tout va bien se passer ».

Je sais pas si il a dit çà pour lui, il lui reste quelques semaines à vivre. Moi… moi je suis déjà partie.


La fatigue commence à se faire ressentir. L'horloge affiche 14h, on me dit que je peux partir. Au moment de quitter les lieux, je ne ressens rien. 3 années se sont écoulées, je connais chaque pièce comme mon propre appartement. Vide à présent. Tout est vide de sens, de raison. 


J'ai mal au crâne, alors avant de partir je vais piquer quelques comprimés dans la pharmacie. Toujours çà de moins à me procurer. Une collègue entre et me regarde les mains pleines de pilules. Je m'attendais à ce qu'elle s'agace, qu'elle me gronde, comme avec une enfant qui vole des bonbons. Elle a posée une main sur mon épaule décharnée, que même la blouse trop grande ne dissimule plus. 

« Ca va aller, tu es sure ? Tu sais, t'aurais pu nous en parler. T'assommer ça changera rien. Il reviendra pas. Avec tes mélanges tu vas finir par te tuer… T'aurais pu rester, on t'aurait aider. »


J'ai fait un pas en arrière. J'ai réajusté mes lunettes, après avoir enfourné les plaquettes de comprimés dans mes poches. Je suis restée un moment sans rien dire. Les gens vous observent. Ils perçoivent votre souffrance, ils se rassurent en se disant qu'ils font ce qu'il faut. Ils vous soignent, avec des mots, des gestes. On appelle çà l'empathie. Mais pour recevoir il faut donner. Je ne suis plus capable ni de l'un ni de l'autre. J'ai dit merci, dans un murmure. Un peu comme on mets un pansement sur une égratignure, juste pour faire semblant. 


Je passe une dernière fois devant la 105, je l'entends tousser. Je n'entrerais pas. A quoi bon. Je presse le pas jusqu'à ma voiture, et roule ma blouse en boule avant de la jeter par la fenêtre. Elle git à présent sur l'asphalte. Bel image dans mon rétroviseur. 


Quelques jours et quelques heures sont passées. Je ne suis pas retournée dans la pièce vide. Il me faut avoir les idées claires… Je pars ce soir, par bateau, le temps d'une traversée. Mes dernières affaires sont sagement empilés dans des cartons. Etiquetés minutieusement. Dans l'éventualité où je rentrerais un jour. Si je ne me perds pas en route. 


Je croise mon reflet et sursaute. Rachitique. Cerné. Un zombie. A l'image d'Harley Quinn, livide. Je décide de sortir plus tôt pour manger. Essayer, se forcer. Comme un patient sous sonde naso-gastrique, qui refuse de s'alimenter. J'ai toujours détester faire çà. Ici, on empêche les gens de mourir. On se fout de la douleur psychique. On ne voit que des pathologies. Une dénutrition à limiter, une hanche à remplacer. Un être disparu à effacer. Certaines personnes, pourtant, préfère vivre loin de la réalité. Mais c'est interdit. Il faut être connecté, responsable, civique, éduqué. Il faut rentrer dans une case. 


Je m'installe à une terrasse, le soleil brille encore en ce mois d'octobre. Les feuilles ont commencées à tomber. Je regarde ma montre, qui ne donne plus l'heure depuis longtemps. « Avec le temps, va tout s'en va », le Mr de la 105 m'avait chanter çà. Juste après ton départ. Toi, qui s'est mis en quête de me retrouver après des années de silence. 


Mon téléphone sonne. Numéro du service. Je ne décroche pas. Une petite enveloppe s'affiche dans mes notifications : 

(La 105 nous a quitté cette nuit. Je me suis dit que tu voudrais qu'on te prévienne. Tu dois partir ce soir. Sois prudente. Isabelle)


(Merci)


J'ai reposé le téléphone, le serveur est arrivé avec cette immense assiette. Bien garnie. Je me suis levée. J'ai laissé 20€ sur la table et je suis partie. Il m'a regardé comme on dévisage une folle. Sur la route vers le port, je crois avoir pleuré. J'ai des gros trous noirs. Je sais que c'est la Meth. Je sais que je suis en manque. Mais je suis plus forte que çà. C'est ce que tout le monde a dit quand tu es parti. Tu es forte, tu n'as pas besoin de lui. 


Depuis, je suis invincible. Seule et invincible. Plus rien ne me fera aussi mal que de te perdre. Ou seulement, te laisser me retrouver. 


Je monte sur le pont principal du bateau, je regarde l'horizon. Traversée vers l'Italie. Après je laisserais mes pieds réfléchir pour moi. Je mets la main dans la poche arrière de mon jean. Je sens une petite chose dure et ronde. Je retire ma main, entre les fils bleus, une pastille fluo. Je la porte à ma bouche, juste une dernière. Je la sens fondre sous ma langue. Je regarde l'astre descendre doucement vers l'horizon. Le ciel nuageux s'embrase de rose et d'orange. 


Mon téléphone vibre. Numéro inconnu. Je décroche :

« Regarde en bas ».

Tu es là. Tu me fixes, je frotte mes yeux et me pince la joue. Je suis en transe. Tu es braqué sur moi, comme la lunette d'un sniper. Tu me fais un signe de la main. Je tremble, le bateau klaxonne le départ.

« Je te retrouve en Italie, bella ».

  • c'est u beau texte
    à la fin on ne sait pas si le retour de l'etre perdu est réel ou imaginé sous l'effet de la drogue , c'est probablement voulu
    j'ai beaaucoup aimé ce tte reflexion
    "On ne voit que des pathologies. Une dénutrition à limiter, une hanche à remplacer. Un être disparu à effacer. Certaines personnes, pourtant, préfère vivre loin de la réalité. Mais c'est interdit. Il faut être connecté, responsable, civique, éduqué. Il faut rentrer dans une case. "

    · Il y a environ 8 ans ·
    B%c3%a9b%c3%a9 rigolo

    Florence

    • Merci beaucoup pour votre lecture attentive. L'effet est voulu, la réponse dans le chapitre 2.

      · Il y a environ 8 ans ·
      10712727 927438223957778 7773632960243052824 n

      cerise-david

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