chapitre 10

Sergueï Bonal

Je suis réveillé par un son de clochette. Un majordome me présente un plateau.

– Votre petit-déjeuner Monsieur Young ! Mon maître vous attend dans son bureau pour onze heures.

– Vous allez me réveiller ainsi tous les matins ?

– Si Monsieur traîne au lit, en effet !

J'arrive dans le grand bureau. Tasse de café dans la main gauche, Ralph me serre vigoureusement la main avec la droite.

– Dan avez-vous regardé mon histoire ? Comment la trouvez-vous ? s'enquiert-il.

– C'est magnifique ! L'intrigue est parfaite, l'histoire est sinistre, amère, émouvante. Vous réunissez toutes les émotions que l'on peut ressentir ! Votre personnage principal est attachant, très humain. Si je résume bien, votre héros est un jeune journaliste qui doit faire son premier article. Il ne sait pas quoi écrire. Pour percer dans le milieu, il doit trouver le sujet qui va tout changer. Un jour, il entend parler d'une horrible histoire de viol et il décide de faire des recherches. Plus il avance, plus il comprend que l'enquête est un coup monté. La famille de la victime est persécutée. Tout le monde accuse le père d'avoir violé sa fille, or c'est faux.

– Vous avez compris les grandes lignes. Malheureusement mon sujet est d'actualité !

– Comment ça ? C'est une histoire vraie ? demandé-je intrigué.

– Elle ressemble à l'histoire de la pauvre Nancy ! J'ai peur que les gens se méprennent.

– Vous faites un parallèle avec cette affaire, il faut jouer avec les émotions. Nous devons donner de la profondeur dans les dialogues, dans la crédibilité des personnages. Le lecteur doit se dire : c'est une histoire vraie, c'est possible. Montrez les sentiments, faites-les pleurer, sourire, vibrer. J'ai remarqué que vos personnages ressemblent aux portraits que vous avez faits de votre famille. C'est très bien, vous les connaissez, vous pouvez les décrire plus facilement. Partez de ce que vous connaissez pour le rendre plus réel.

Le regard de Ralph s'illumine, il est émerveillé par mon savoir. Pourtant, il n'y a rien d'exceptionnel selon moi. Pour toucher les gens, il faut parler de ce qu'ils connaissent, de ce qui les émeut. Si en plus nous maîtrisons le sujet, c'est grandiose. Après une lecture complète de la préparation, j'entame une étude approfondie des personnages. Je dois les connaître, je dois les comprendre, découvrir leurs défauts, leurs faiblesses et leurs qualités. Au même moment, une idée de génie me vient, je vais mettre en scène la famille de Ralph pour donner plus de crédit au récit.

– Monsieur Rupertz, il serait bien de prendre votre famille comme exemple. Vous les connaissez, parlez d'eux. Camouflez certains détails, enrobez certains faits. Selon moi ça va être puissant.

– Vous pensez ? N'est-ce pas risqué de parler de vraies personnes ?

– Tout dépend comment on formule les choses et comment on s'en sert ! Ne dites pas tout sur eux, ne prenez que certains détails.

Une fois de plus, le regard de Ralph s'illumine tel un enfant émerveillé. Pour fêter cette prometteuse collaboration, il ouvre une excellente bouteille de whisky de vingt-trois ans d'âge !

– Afin de vous laisser tranquille pour écrire, je mets à votre disposition l'aile droite de la maison. Vous pouvez y circuler librement, demandez tout ce que vous voulez aux majordomes. Vous êtes ici chez vous ! Allez voir tous les membres de la famille. Mais attention, certains ne verront pas le projet d'un bon œil ! Ma tante, ma sœur et ma femme ! Comme vous pouvez le voir, vous avez une liberté totale, mais je vous demande de respecter les clauses du contrat :

 Ne jamais parler du projet. Tout ce qui est en rapport avec la famille ou l'histoire reste confidentiel. Vous ne posez pas de question sur une certaine Maria !

– Pourquoi ? Qui est-elle ? dis-je du tac au tac.

– Une personne qui attire des problèmes, c'est tout ce que vous devez savoir. Si vous ne respectez pas les clauses, vous le regretterez amèrement !

Les questions fusent dans ma tête. Qui est cette Maria ? Pourquoi ne dois-je pas parler d'elle ? Qu'a-t-elle fait ? Tout comme quand mon père me disait de ne pas faire telle ou telle chose, ma nature de fouineur me pousse à désobéir ! Cette Maria m'intrigue au plus haut point, je compte bien découvrir qui elle est.

– Monsieur Rupertz, pourrais-je faire venir ma future femme ?

– Vous pouvez, mais elle ne doit rien savoir du projet. Elle peut vivre dans le quartier, il y a une maison libre où elle peut résider. Vous pourrez aller la voir comme bon vous semble.

– Alors autant la rejoindre ?

– Non ! Rien ne doit sortir d'ici, raison de sécurité !

Ralph part en me laissant dans le grand bureau. Entre mes mains tout le dossier sur le roman. Avant de commencer la rédaction, je dois connaître sa famille. Je note sur mon carnet le nom de la première personne à voir : Maître Rupertz. 

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