chapitre 11

Sergueï Bonal

Chez les Gutzon lundi matin

 

Madame Gutzon, comme chaque matin, s'apprête à réveiller sa fille Helena. Cette charmante jeune fille de quinze ans n'arrive pas à se lever à l'heure. Qui plus est, depuis la disparition de sa meilleure amie, elle ne veut plus quitter le lit. Depuis leur naissance, elles sont ensemble. Accablée par le chagrin, Helena déprime du soir au matin.

Madame Gutzon, d'un pas décidé, arrive devant la porte de la chambre. Elle frappe vigoureusement en disant :

– Chérie, il est l'heure de se lever ! J'entre !

Miranda ouvre la porte lentement et découvre une chambre vide. Héléna n'est pas là, le lit n'est pas fait, son téléphone est sur la table de chevet. Miranda fond en larmes en hurlant.

– Helena ! Helena ! David, notre fille a disparu !

David Gutzon arrive en peignoir dans la chambre. Il prend sa femme dans ses bras pour la consoler.

– Pas forcément, elle a peut-être fait le mur, dit-il pour se rassurer.

– Tu connais Helena ! Elle est obéissante, elle ne ferait jamais une telle chose. Après Nancy, c'est elle ! Elle a été enlevée. Ma fille ! Elle ne laisse jamais son téléphone. Et quand elle part, elle fait son lit. Elle a été enlevée !

Je me tiens devant la porte de chez Ralph, alerté par les cris de la mère. Quelques minutes plus tard, Stewart arrive, la mine sinistre.

– Madame et Monsieur Gutzon, je suis l'agent Young, sachez que nous allons tout faire pour retrouver votre fille. Si vous avez des informations, nous devons tout savoir.

De sa fenêtre, Madame Kroutz voit la scène. Elle se précipite pour aider ses voisins. Des agents de police l'arrêtent.

– Madame, vous ne pouvez entrer !

– Ce sont les parents de la meilleure amie de ma fille !

À ces mots, Stewart fait signe de la laisser entrer. Madame Kroutz se précipite vers Miranda et David.

– Je suis là ! Nous allons nous en sortir. Les policiers vont les retrouver.

– Madame Gutzon, votre fille était-elle à la maison hier soir ?

– Bien évidemment, elle n'est pas sortie depuis la disparition de Nancy ! Elle reste enfermée dans sa chambre à pleurer.

– Vous confirmez qu'elle n'est pas sortie ?

Le père d'Helena se lève et se dirige vers Stewart.

– Monsieur, notre fille est comme Nancy, obéissante, discrète. Elle n'a pas fait le mur ! Je suis certain que c'est le même type qui a fait ça.

– C'est fort possible en effet. Nous devons avoir le maximum d'informations. A-t-elle un petit copain ? Des amis proches ? Que fait-elle en dehors des cours ?

– Elle est toute seule, enfin je crois ! Elle ne parle pas de ses sentiments. Des amis, elle n'a que Nancy. Elle fait de la danse le samedi après-midi.

– Avez-vous des personnes dans votre entourage qui ont eu des comportements étranges ?

David et Miranda sous le choc tentent de se souvenir.

– Non, il ne nous semble pas.

Quand Stewart raccompagne madame Kroutz chez elle, je cours vers lui en quête d'informations.

– Pa, que se passe-t-il ? Un nouvel enlèvement ?

– Pas maintenant fils !

En entendant les hurlements de madame Gutzon, tout le voisinage s'est rassemblé dans la rue. Ils sont tous dehors tels des vautours, à contempler la souffrance des autres. Je regarde chaque personne, le frère de Ralph, sa tante, sa sœur, tous affichent un visage sinistre. Il n'y a pas de compassion dans leur regard, mais le vide. Personne n'est étonné, personne ne pleure, tous dénués de sentiments. Plus les jours passent, plus cette famille m'intrigue. Stewart rentre avec madame Kroutz, les autres agents cherchent des preuves. Maître Rupertz se tient devant sa porte d'entrée. D'un pas décidé, je pars le rejoindre.

– Maître Rupertz, je suis Dan Young un ami de votre frère.

– Bien sûr ! Entrez, quelle tragédie ! Deux jeunes filles enlevées en l'espace d'une semaine, c'est horrible ! J'espère que la police va les retrouver à temps. Ayant moi aussi un enfant, je comprends ce que peuvent ressentir les parents.

– Vous avez des enfants ?

– Un fils de vingt-huit ans. Il gère une boîte de nuit en ville. Que voulez-vous savoir ? Vous venez pour connaître la famille. Mon frère Ralph est un obsessionnel ! Il veut écrire un livre depuis l'âge de dix ans. Il est prêt à tout pour y arriver.

– Parlez-moi de vous.

– Comme vous pouvez le voir, j'ai une vie normale, je suis avocat, marié et père ! Je suis un citoyen comme un autre. Je suis passionné de golf et de voile. Je collectionne les bouteilles de vin. Voulez-vous les voir ? Je possède une bouteille valant plus de trois cent mille euros.

Il me guide à travers la maison, tout est splendide. Les murs sont recouverts de toiles de maîtres, il y a des sculptures dans toutes les pièces. Un musée en moins poussiéreux ! En arrivant à la cave en bas des escaliers, je reste époustouflé par la quantité astronomique de bouteilles.

– Regardez celle-ci, 1797 l'année de naissance de Franz Schubert ! Je l'ai achetée pour la date, je suis un grand fan du compositeur. Mon fils ne comprend pas mes goûts musicaux ! Il est encore trop jeune pour apprécier. Restez pour dîner vous le verrez ! Venez avec votre compagne, je serais ravi d'en apprendre plus sur le nouvel ami de mon frère.

– Avec plaisir Maître ! Pour quelle heure devons-nous venir ?

– Oh ! Je passerai vous prendre chez mon frère, je dois parler avec Ralph. Et ne m'appelez pas maître, mais Gunnar. Mon frère a dû vous parler de moi.

– Pas beaucoup, je ne sais pas grand-chose, mis à part que votre famille est particulière. Votre tante gérait une maison de plaisir et a assassiné son mari.

Gunnar affiche un grand sourire en me regardant. Il me fait signe de remonter pour parler plus confortablement.

– Il vous a quand même parlé de notre tante ! Sacré tempérament. C'est une femme brillante et adorable qui supporte difficilement les mensonges.

– Vous l'avez défendue ? Pourquoi ? Elle était coupable.

– Ce que vous devez savoir sur notre famille, c'est que nous nous protégeons mutuellement. Même si un des membres accomplit des actes horribles, il sera protégé par les siens ! Si la justice s'en mêle, nous l'aidons du mieux que nous le pouvons. Mais il arrive que nous échouions ! Vous allez voir que nous sommes loin des familles classiques ! Nous avons un devoir les uns envers les autres. Nous sommes une fraternité ! Un jour mon père Gustav a trompé notre mère Gertrude. Tout le monde le savait. Et pourtant elle ne l'a jamais su ! Car aucun membre de la famille Rupertz n'a rien dit. Mon grand-père Adolf a instauré quelques règles simples, mais efficaces pour maintenir l'ordre au sein de la famille. La première, rester unis ! La seconde, préserver chaque membre de la famille. Et la dernière, ne jamais vivre dans le passé.

Au fil des heures, j'en apprends de plus en plus sur l'esprit de la famille. 

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