chapitre 14

Sergueï Bonal

20h direction chez Gunnar Rupertz

 

En attendant l'arrivée du frère de Ralph, je poursuis mon travail de préparation du roman. Petit à petit, l'histoire devient plus claire et je peux enfin débuter l'introduction. Car avant de se lancer, il faut poser le décor. Ralph, non loin de moi, lit le journal du soir.

– Si vous avez besoin d'aide, je suis là.

– J'ai besoin de ma femme ! Où étiez-vous cet après-midi ?

– J'étais en affaires avec un ancien ami. Votre compagne viendra vivre dans le quartier. Vous pourrez la voir quand vous voudrez. Mais elle ne pourra pas venir ici. J'ai appris que mon frère vous a conviés, tous les deux, à dîner. J'espère que vous vous amuserez !

Quelques minutes plus tard, Gunnar arrive. À sa droite Camilla en robe blanche affiche un grand sourire.

– Chérie, comment vas-tu ?

– À merveille, tu me manques.

Gunnar serre la main de son frère et nous fait signe de nous diriger vers sa maison. Mathilde fixe Ralph avec mépris.

– Tu es conscient que tu vas détruire ce charmant couple.

– Il n'est pas emprisonné ! Si un jour Dan veut mettre fin au projet, il sera libre de partir ! Je ne suis pas un monstre. dit Ralph.

– Nous verrons le moment voulu !

En arrivant chez Gunnar, Camilla est en admiration devant l'immense maison. Elle observe chaque détail, chaque tableau, chaque meuble.

– Vous avez une maison magnifique, Monsieur Rupertz !

– Appelez-moi Gunnar ! répond-t-il en souriant. Je vous présente ma femme Ginny et mon fils Arthur. Ma femme est styliste et Arthur gère une boîte de nuit en ville. Vous devez connaître, X&Y Club ?

– En effet, Dan et moi y allons de temps en temps. Je ne vous ai jamais vu Arthur.

Arthur embrasse Camilla sur la joue.

– C'est un honneur. Passez au club un soir, je vous montrerai des gens intéressants. Surtout pour vous Dan ! Étant un écrivain célèbre, il faut vous montrer.

– Je suis très fière de mon fils. Il a tout fait lui-même ! Il gère son établissement à la perfection. Il reçoit des milliers de personnes chaque week-end.

Arthur ressemble à son père comme deux gouttes d'eau. Il est grand, fin et élégant. Son regard est intense et mystérieux. De longues boucles sombres encadrent son visage orné d'une barbe de trois jours. Je ne saurais dire pourquoi, mais il m'intimide. Il a une manière de regarder les autres qui dérange. Sa voix est grave et puissante sans aucun trémolo ni hésitation. Après un moment de silence, Gunnar se tourne vers moi.

– Que voulez-vous savoir sur nous ?

– Je ne sais pas, tout ce que je dois savoir.

– Comme je vous l'ai déjà dit, nous sommes très unis ! Notre famille ne fait jamais rien comme les autres. Nous sommes à part, nous suivons notre route en totale liberté. Cependant, ma sœur n'aura pas le même discours, elle nous déteste. Elle dit qu'elle regrette d'être une Rupertz. Mon nazi d'oncle est un fanatique ! Pour la famille, c'est un bâtard, un traître à son sang. Je crois que les gens ont peur de la différence ! Et vous, parlez-moi de votre famille.

– Que puis-je en dire ? Ma mère et mon père sont mariés depuis plus de trente ans. Ils ne savent pas ce que veut dire le mot aimer. Ils vivent ensemble c'est tout ! Mon grand-père est persuadé que son beau-fils est un bon à rien. Il dit qu'il ne mérite pas la main de sa fille. Pour ma part, j'aime mes parents, mais j'ai l'impression d'être invisible. Quand j'ai dit que Camilla et moi allions nous marier à Edimbourg, ma mère a hurlé, car ce n'est pas chez elle. Pourtant elle est heureuse, mais elle ne voit que le mauvais côté des choses.

Camilla me prend la main et sourit pour me soutenir. Je sens le poids du regard d'Arthur. Il la regarde avec intensité et un soupçon de provocation. Vers le dessert, il se lève et prend congé en fixant Camilla. Je garde mon calme et inspire un grand coup.

 

Plus tard dans la soirée,

Ralph fait brûler la copie du dossier de Karl. Sa femme, à ses côtés, regarde les photos de sa fille se transformer en cendres.

– Tu es certain qu'il ne reste plus de copie ? Tu es le seul à avoir le dossier?

– J'ai l'original, normalement personne d'autre n'a de copie ! Nous sommes tranquilles !

– Pour le moment, chéri ! Un jour ton petit protégé va découvrir la vérité à force de fréquenter les autres membres de la famille. Qui plus est, avec cette nouvelle affaire d'enlèvement nous allons être harcelés ! Ralph écoute-moi, tu dois entendre raison. Tu ne pourras pas cacher la vérité éternellement !

Ralph laisse sa femme dans le jardin. En voyant les photos brûler, elle laisse échapper une larme de tristesse.

Chaque famille a des secrets. Derrière les sourires et les faux semblants se cache parfois un profond désespoir. Il est inutile de mentir, car un jour la vérité éclate.

Chez Karl Aufsht, au petit matin

 

Stewart, au centre de la pièce, contemple avec effroi le corps inanimé de Karl. Il tente de comprendre comment un homme peut en arriver là. Pourquoi commettre un tel acte ? Jacob en retrait, fixe l'inscription sur le bras du pauvre homme : L 9023043. Les autres agents traquent des indices pour confirmer qu'il s'agit bien d'un suicide. Il n'y a pas de doute selon Stewart.

– Regarde petit, l'impact prouve qu'il a tiré lui-même. La raison, je ne la connais pas encore, mais c'est une certitude, ce n'est pas un meurtre. Le pauvre devait en avoir gros sur la patate et a lâché prise. J'ai entendu parler de lui, c'est un ancien détective. Il était réputé pour être efficace et discret. C'est malheureux de finir ainsi !

Jacob regarde le corps dans le détail, il fixe l'inscription tatouée sur le bras de Karl.

– À quoi correspond l'inscription sur son bras ?

Stewart note sur un carnet l'inscription L 9023043, il continue son inspection de la maison.

– Cet homme vivait seul, il n'avait pas d'ami, personne pour parler. Peut-être que quelque chose ou quelqu'un l'a poussé à commettre l'irréparable.

Le légiste, vêtu de noir de la tête aux pieds s'avance vers le corps. Il se tourne vers Stewart et déclare:

– L'inscription correspond à un numéro de dossier. Ce sont les vieilles références qu'on donnait aux enquêtes de police. Depuis l'ère du numérique, ce genre d'inscription n'existe plus. Votre tatouage correspond à une affaire d'un viol, je crois. Une fillette morte à l'âge de quinze ans. Je m'en souviens, c'est mon abruti de frère qui a bossé dessus ! À l'époque je venais d'arriver comme légiste, il était plus vieux et plus expérimenté. L'affaire est classée, c'était le prof de français de la petite le coupable. Malheureusement le dossier en question a disparu !

– Je vous demande pardon ? Disparu ? Il est donc impossible de vérifier les informations ? 

– C'est bien là le problème, monsieur Young, chaque affaire doit être classée aux archives. Les enquêteurs de l'époque travaillaient avec le détective Aufsht. Malheureusement pour nous il est devant nous, avec un pruneau dans le crâne !  

– Vous dites qu'un dossier a été volé ! Vous rendez-vous compte à quel point c'est grave ? Et personne ne cherche pourquoi, comment et qui ? Vous voulez rester médiocre jusqu'au bout, ou on cherche une solution au problème ? Je comprends pourquoi on m'a muté ! À votre place, je serais inquiet. Fouillez la maison, peut-être que le dossier est chez lui.

 

Les policiers ont beau chercher dans toute la maison, ils ne trouvent rien. Stewart est le seul à ne pas inspecter, il est trop préoccupé par un détail sur la table du salon.

– Jacob que vois-tu sur la table ?

– Du sang, des papiers, des verres. Pourquoi ?

– Combien en vois-tu ?

– Deux !

– Pour un homme seul, c'est étrange ! Même si on peut penser qu'il est mal organisé, ce qui est peu probable en voyant la propreté de la maison. Notre ex-détective a reçu une visite avant de se supprimer ! Ma théorie, son interlocuteur est venu pour lui parler du dossier en question. La conversation a mal tourné et le pauvre bougre, sous la pression a commis l'irréparable. Reste à savoir pourquoi ? Qui est l'autre homme, et quel est le lien avec toute cette histoire. 

– Ça ne fait pas trop de questions à la fois ? répond Jacob du tac au tac.

– Ça ne fait que commencer fiston ! Cherche des preuves au lieu de commenter.

Stewart fixe longuement la dépouille de Karl assis sur sa chaise. Il ressent un profond malaise, il se sent impuissant face à la solitude et l'indifférence. Ses yeux sont rivés sur le regard vide de Karl. Il se sent triste et fatigué. Dans ces moments-là, Stewart appelle Linda pour faire le vide en lui.

– Chérie, comment vas-tu? demande Stewart.

– Pourquoi me téléphones-tu à cette heure-ci? s'enquiert Linda d'une voix calme et douce.

– Oh ! Je voulais juste entendre le son de ta voix ! L'affaire sur laquelle je travaille est difficile et ça ne me laisse pas indifférent. Tu me manques terriblement, viens à Edimbourg !

– Nous en avons déjà parlé, le manoir c'est mon foyer, mon refuge ! Je peux venir quelques jours de temps en temps, mais je ne veux pas y vivre. Surtout que je ne sais pas combien de temps tu dois y rester. Comment se porte Dan ?

– Je le vois de temps en temps, nous sommes tous deux très pris. Il écrit un livre pour un riche anglais, il est enfermé dans sa maison jour et nuit. Il a l'air content de collaborer avec lui. Je pense l'inviter avec Camilla pour parler du mariage, répond Stewart.

Jacob arrive et fait signe à Stew de le suivre.

– Regarde le coffre, il est ouvert. Il y avait quelque chose dedans, il y a de la poussière tout autour. Le dossier devait être là!

– Un homme tel que lui a dû en faire une copie ! Il faut la trouver.

– Nous avons fouillé toute la maison, il n'y a rien. Son mystérieux interlocuteur a dû prendre tous les dossiers, l'original et la copie. Ce doit être le coupable !

– Ne dis pas de bêtises, le coupable est encore en prison, le viol est lourdement puni. Je devrais aller voir ce prof de français, il pourrait nous en dire plus sur l'affaire de cette fille. Nous devons connaître le nom de la victime et avoir les détails des faits. Pour gagner du temps va voir Habernati, il doit parler de ses tendances suspectes ! Je crois qu'il cache quelque chose. 

Signaler ce texte