chapitre 17

Sergueï Bonal

Edimbourg, Ecosse, 10 heures du matin

 

En attendant devant la porte en fer, je réponds à mon père : Je voudrais bien te parler, mais j'ai signé un contrat qui m'oblige à me taire. Ce que je peux te dire, Ralph est innocent !

Quelques secondes plus tard, j'entends la sonnerie de mon téléphone, Stew hurle dans le combiné.

– Tu te fous de moi ? Tu fréquentes un type qui a peut être assassiné son enfant et enlevé deux jeunes filles. Tu dois avoir des informations importantes qui peuvent nous aider à élucider cette histoire. Je me moque bien de ton contrat, dis-moi tout ce que tu sais !

– Je ne peux pas Papa. Tu peux crier autant que tu veux, je ne peux rien dire. Je cherche des réponses, mais pour ça je dois retourner là-bas. Le frère de Ralph m'a renvoyé. Fais-moi confiance, je sais ce que je fais. Une personne de la famille m'a parlé et je suis certain qu'elle est prête à m'en dire plus, mais elle a peur. Je t'en prie, Papa, fait durer les procédures, Ralph doit être innocenté.

– Comment veux-tu que je fasse ? Il n'a rien dit lors de l'interrogatoire. Même si j'ai des doutes, je ne peux rien faire, il va en prison. C'est notre seul suspect, qui plus est, il a menti et tout concorde. Lui et son ami détective ont volé des preuves. Depuis des années je me bats pour empêcher les détectives privés de se mêler des affaires policières. Regarde le résultat, ils fouinent partout ! Nous aurions pu résoudre cette affaire rapidement, mais sans le dossier nous marchons à l'aveugle. Ne m'oblige pas à te faire venir au poste !

 

Un vieil homme vient m'ouvrir. Enfin sauvé, me dis-je. En raccrochant, je fourre mon téléphone dans ma veste.

– Bonjour Dan, ça fait longtemps ! Que viens-tu faire ? s'enquiert Edgar de sa voix rocailleuse.

Il a beaucoup changé, cheveux grisonnants, visage ridé. Une fois installé, Edgar me montre mon sixième livre.

– Peux-tu me le signer ? Je l'ai adoré ! Il est fantastique, j'attends le prochain avec impatience. Sur quoi planches-tu ?

– Oh, je suis en contrat avec un riche homme d'affaire, mais c'est très compliqué. Je crois que je suis indirectement lié à une affaire de meurtre et d'enlèvement.

– Dans quoi t'es-tu fourré mon garçon ? Rassure-moi, tu n'as rien fait d'illégal ? demande Edgar en servant le thé.

– Rassurez-vous, non ! Seulement, j'écris un roman qui parle de la famille de cet homme et plus j'écris, plus je vois une biographie. Cet homme a perdu sa fille il y a dix-huit ans, enlevée, violée puis assassinée et dans le livre, je mets en scène la même histoire. Je dois aller au bout de l'enquête. Je me dois de le faire pour lui, je suis certain qu'il est innocent. Mais ça me coûte ! J'ai l'impression que je vais devenir dingue.

– Tu as toujours vu ce qu'il y a de bon chez les autres. Parfois, il se peut qu'on se fourvoie. Cet homme est peut-être coupable de tous ces crimes ! Je te conseille d'être prudent et de rester éloigné. Achève le roman si c'est important pour toi, mais prends garde à ne pas te perdre en chemin. Il est peu prudent de se mêler de ce genre d'affaires. Je t'exhorte à laisser tomber et à fuir cette famille dans ton intérêt.

– Vous m'avez appris à ne jamais abandonner un projet. Je veux aider cet homme, afin de montrer au monde qu'il n'est pas un monstre. Je ne trouve plus l'inspiration. Je suis devant l'ordinateur et rien ne vient.

– Tu dois voir l'histoire comme une fiction. Oublie toutes ces horreurs et centre-toi sur ce que tu sais faire : imaginer et créer. Tu ne dois pas te laisser submerger par toute cette affaire. Si prouver l'innocence de cet homme est capital pour toi, achève le livre. Seulement, tu devrais aborder l'affaire différemment. Tente de comprendre le pourquoi. Quand tu inventes une histoire, tu as le pourquoi, le comment. Ici c'est la même chose, trouve la raison et le moyen et tu auras trouvé la solution.

Après de longues heures de conversation, Edgar me raccompagne. Le lendemain, je reprends le premier vol pour Edimbourg. À peine ai-je le temps de descendre que Stewart attend avec d'autres agents.

– Monsieur Young, voulez-vous bien nous suivre au poste.

– Papa, mais pourquoi fais-tu ça ? Je suis ton fils !

– Nous avons des questions à vous poser sur la disparition de deux jeunes filles et la mort de la fille de Monsieur Rupertz.

– Vous l'avez arrêté, pourquoi m'interroger dans ce cas ?

– Je suis obligé d'appliquer les procédures, tu es lié à cette enquête. Je dois t'interroger.

– Si cette affaire tourne mal, tu seras le seul responsable ! Je sais ce que je fais Stew !

Je suis jeté dans la voiture tel un vulgaire détenu.

Cave sinistre, Edimbourg, plus tard dans la soirée

 

Nancy et Helena tremblent de froid. Leur ravisseur les observe en affichant un grand sourire.

– Vous voyez mes chéries, quand vous voulez vous êtes mignonnes tout va bien. Vous voulez jouer à quoi ? Papa va vous trouver de quoi vous amuser.

À peine a-t-il le dos tourné que Nancy en profite pour filer vers la porte de la cave entrouverte. Elle court aussi vite qu'elle peut en criant. Elle monte les escaliers de bois en hâte en pleurant.

– Aidez-moi ! hurle-t-elle.

Le monstre monte les escaliers deux à deux. La petite sort et court vers la porte de la maison. Elle est fermée à clef. Elle tente désespérément de s'enfuir, en vain. Son agresseur arrive derrière elle et la jette violemment contre la table basse. Le sang coule, Nancy ne bouge plus, il prend son corps pour le ramener dans la cave. Helena, sous le choc, court vers le corps de Nancy.

– Elle est… ? Nancy réponds-moi !

Poste de police

 

Stewart me regarde, bras croisés, en attendant ma version de l'histoire. Jacob reste devant la porte, lui aussi me fixe avec insistance.

– Je t'écoute Dan, parle-moi de Ralph. Que sais-tu sur lui, ses amis, sa famille.

– C'est un homme déterminé. Il est prêt à tout pour obtenir ce qu'il désire. Il est intelligent, honnête et juste. Il fait preuve d'une retenue incroyable, il parle peu. Il ne dévoile jamais ses sentiments. Sa femme ne l'aime pas, les autres membres de sa famille sont comme lui, très mystérieux. Ce sont des gens discrets, ils sont soudés entre eux. Tous cachent la mort de Maria Rupertz la fille de Ralph. La chambre de Maria est intacte, personne n'a le droit d'y entrer. Un soir j'y suis allé, Madame Rupertz m'a surpris. Elle m'a dit que j'allais regretter d'être venu dans le quartier. C'est tout ce que je sais.

– Tu en es certain ? Tu fréquentes un homme sans en savoir plus ?

– Toute la famille reste recluse ! Personne ne parle ! Si, une femme, mais il m'est impossible de te dire ce qu'elle m'a dit.

– Même si cela permet d'innocenter monsieur Rupertz ? Je suis là pour sauver deux jeunes filles ! Dis-moi tout, aide-moi à les retrouver.

– La sœur de Ralph est venue me voir et m'a dit que son frère n'y est pour rien. Il ne fait que protéger sa famille. Mais l'assassin de sa fille et le kidnappeur des deux filles est un des membres de la famille. Elle ne m'a pas dit qui, mais c'est le même homme ! Selon moi, l'oncle de Ralph pourrait être notre homme.

Stewart, près de moi, me prend par l'épaule. Il esquisse un léger sourire.

– Pourquoi pas le frère de Ralph ? s'enquiert-il.

– Impossible, il a une famille. Celui qui a fait ça doit être seul, sans famille. Il est complexé ou dérangé. Gunnar est sain et honnête. Même s'il m'a renvoyé, c'est un homme bien. Le seul moyen c'est de les interroger tous et les faire s'accuser les uns les autres. Il faut les pousser à bout. Mentir en disant un tel vous a accusé pour voir les réactions. Pendant ce temps, je continue de chercher de mon côté. Je tente d'interroger d'autres membres de la famille. Ah ! C'est Ralph qui a le dossier d'origine. Mais je ne sais pas où il est. Toute la famille connaît l'histoire, mais je doute que tu aies des réponses.

Stewart, à mon grand étonnement, me prend dans ses bras. Jamais il ne me prend dans ses bras. C'est un homme peu démonstratif, il ne montre jamais ses sentiments. Je suis à la fois surpris et ravi ! J'approche mes lèvres près de son oreille et lui susurre :

– Prends soin de toi Pa !

Tout en serrant la main de Jacob, je lui tends un de mes livres dédicacés.

– Voici pour vous, avec un petit mot, bonne lecture.

– Merci Dan !

En sortant, je respire à fond afin de reprendre du courage. Affronter mon père est une chose, mais maintenant, je dois m'occuper d'une famille de fous !

Au X&Y bar sous-sol, 2h30 du matin

 

Une fumée épaisse plane dans l'immense salle. Des néons violets font office d'éclairage. Le manque de lumière rend l'endroit sombre et lugubre. Au centre de la salle, des dizaines d'écrans géants affichent le logo du bar. Plus loin, une immense table de verre autour de laquelle, des clients privilégiéssont réunis. Tous conversent dans la joie tout en profitant des cocktails servis à volonté. Des agents de sécurité sont postés à chaque porte. Des danseuses dénudées s'agitent devant les VIP afin de les distraire. Un homme élégant marche en direction de ses convives. Le fils de Gunnar salue l'assemblée et prend place en tête de table. Il fixe chaque personne présente en souriant.

– Mes amis, nous sommes là pour notre dixième réunion. Je suis honoré de votre présence à tous ! Je redonne les règles comme le veut la tradition : la première mise s'élève à deux cent mille euros. Il est naturellement interdit de toucher aux danseuses à moins de les payer pour leurs prestations. Il est évident que la violence n'est en aucun cas tolérée ici ! Je rappelle que la peine encourue est une exclusion immédiate et une amende de quarante mille euros à payer. En outre, l'ensemble des boissons et amuse-bouche sont à la charge du bar. Ceux qui désirent se détendre au cours de la réunion peuvent aller dans les salons privés. Les règles données, nous pouvons débuter la séance ! Monsieur Burt, voulez-vous afficher les produits, je vous prie ?

Un petit homme dans la pénombre s'avance vers la table. Il est chauve et porte d'immondes lunettes en acajou. Il tient dans sa main velue une manette qu'il actionne. Tout le monde regarde les dix écrans affichant des photos de jeunes filles.

– Voici les nouveaux produits arrivés hier matin par avion. Notre compagnie prend soin de la marchandise jusqu'à la fin de chaque transaction. Il est évident que vous pouvez aller les voir dans la zone de réception. Vous ne pourrez en profiter qu'après avoir versé le paiement, cela va de soi. Les prix peuvent être négociés, mais à partir de quatre cent mille livres sterling. Je précise que pour de tels tarifs il est certain que les produits sont de bonne qualité et le service irréprochable. Ceux qui ont l'habitude de venir peuvent en témoigner.

Certains hochent la tête en guise d'approbation. Le petit homme reprend son discours.

– Il est rappelé que nous ne faisons pas crédit pour des mesures de sécurité. Les paiements sont exclusivement versés en liquide afin qu'ils ne puissent être tracés. En cas de problème avec la marchandise, nous acceptons les échanges. Mais notre entreprise est pointilleuse là-dessus, la marchandise doit rester pure. Voici nos premiers modèles !

Les photos de jeunes filles défilent les unes après les autres. En voyant une des photos, un des clients se tourne vers Arthur.

– Il me semble que vous nous avez parlé, il y a quelque temps, de deux produits d'une quinzaine d'années vivant dans le même quartier. Je me souviens, il y avait une réduction pour les deux !

– En effet, mais il s'agissait d'une offre exceptionnelle. Ces deux produits ne sont plus en vente malheureusement, mais nous en avons qui sont sensiblement identiques. Par exemple deux jeunes Russes, jumelles, arrivées dans nos locaux ce matin. Désirez-vous les voir ?

Le client se lève, en souriant.

– Monsieur Burt, veillez à ce que nos invités ne manquent de rien durant mon absence ! Suivez-moi très cher ! s'exclame Arthur.

 

Toutes les transactions effectuées, Arthur rentre chez lui. Le lendemain midi, Gunnar l'interroge sur sa soirée au bar. Arthur, ravi, répond avec calme :

– Très bien, Papa, le bar tourne à plein régime. Je pense même créer un nouveau service !

Arthur déguste son assiette en se demandant combien d'argent il va toucher lors de la prochaine réunion.

3h de l'après-midi

 

Allongé sur le canapé, je suis réveillé par le bruit strident de la sonnette. Encore endormi, je marche avec lenteur vers la porte. En voyant ma mère et Marcus, je reste bouche bée.

– Ai-je loupé quelque chose ? Que faites-vous ici ? Vous ne m'avez pas dit que vous veniez à Livingston.

Marcus me prend dans ses bras, suivi de maman. Camilla, stupéfaite enlace tendrement ma mère. Marcus me tend une bouteille de Whisky.

– Tiens ! Pour te garder en forme ! Alors, comment se passe ta collaboration ?

– Oh ! Eh bien, je crois qu'il me faudrait un avocat. Mon client a des problèmes avec la justice et je suis impliqué. Je n'ai rien fait je vous rassure, mais le livre que je dois écrire parle d'un meurtre qui est lié à deux enlèvements. Deux jeunes filles ont disparu. Selon des témoignages, il s'agit d'un membre de la famille, mais je ne sais pas qui. Et le pire, c'est que mon client est directement lié à l'affaire : sa fille a été assassinée par le type en question.

Marcus, stupéfait, se laisse tomber sur le sofa. Ma mère me regarde avec insistance et compassion.

– Mon pauvre chéri !

– Et Papa est chargé d'élucider les deux enquêtes. Tu avais raison Marcus, cette histoire était pourrie. Je vais finir ce livre et dévoiler la vérité pour que Ralph soit innocenté. Cet homme tente désespérément de sauver sa famille. Il n'a rien fait de mal !

– De quoi as-tu besoin ? s'enquiert Marcus.

– De temps, d'informations pouvant m'aider à trouver ce monstre. Je dois parler à la sœur de Ralph, c'est elle qui m'a donné une partie de la vérité. Elle connaît le coupable, mais elle a peur. Elle est comme Ralph, elle protège sa famille quoi qu'il arrive.

– Quelle est ta théorie ? demande Marcus intrigué par toute cette histoire.

– Ma théorie ? Je ne sais pas, je crois que cet homme est seul et perdu. J'ai l'impression qu'il tente de communiquer au travers de ces horreurs. Ou peut-être qu'il fait ça pour le plaisir. Il peut vouloir se venger. Je suis dans le flou total.

– Pense comme ton personnage, utilise ton imagination.

– Marcus, ce n'est pas une fiction, la vie de deux filles est en jeu ! Elles sont peut-être mortes ! Ralph veut écrire ce livre pour se pardonner de n'avoir rien fait. C'est sa façon d'extérioriser, d'expulser la douleur. Il a créé une fiction pour raconter son histoire. Il voulait dévoiler la vérité, mais à sa manière. C'est pour ça que je dois finir ! Il est possible que le monstre veuille se venger de quelqu'un. Pourquoi ? Quelle est la raison d'une telle barbarie ? Je ne crois pas qu'il choisisse les filles par hasard. Elles doivent lui rappeler quelque chose.

– Tu as pensé au trafic humain ?

– Quoi ? Non, ça serait trop gros ! Si ce type participe à un trafic, pourquoi tuer une jeune fille il y a dix-huit ans ?

Marcus a l'air pensif, il fait les cent pas dans le salon en cherchant une idée.

– Peut-être que le trafic dure depuis des années et que l'opération a mal tourné il y a dix-huit ans. Tout est possible ! Pour ce qui est de la sœur de ton client, je vais me faire passer pour un flic et je vais l'interroger ! Si je fais pression, elle me parlera ! dit Marcus confiant.

– Je ne crois pas, mais on peut toujours essayer. dis-je avec lassitude.

On sonne de nouveau à la porte. En ouvrant, Gunnar et madame Rupertz attendent élégamment vêtus en me dévisageant. Marcus et maman restent en retrais en me regardant soucieux. Il est six heures, et je sens que la soirée va être longue ! 

Signaler ce texte