chapitre 18

Sergueï Bonal

L'ambiance est lourde, Gunnar debout me fixe avec mépris. Madame Rupertz, assise sur le sofa daigne croiser mon regard. Camilla se recroqueville sur elle-même. Je romps le silence.

– Dans mon souvenir, il me semble que vous ne vouliez plus me voir ? demandai-je froidement.

– Une des deux filles a été retrouvée sur la route, morte. C'est mon oncle qui l'a retrouvée. Elle était nue, le visage en sang et tuméfié. L'agresseur a abusé d'elle et l'a rouée de coups. Personne ne sait si Helena est en vie. Les parents de la victime sont effondrés. Nous sommes venus vous l'annoncer, car vous êtes concerné par toute cette histoire. Mais cela ne veut pas dire que vous soyez le bienvenu chez nous !

– Ça serait trop beau ! Vous savez Gunnar, j'espère que ce monstre se fera arrêter. Et je veux qu'il plonge pour tous ses crimes. Je sais beaucoup de choses ! Dites-moi, comment auriez-vous réagi si votre fille avait subi le même sort ? Vous tenteriez de cacher la vérité ? Vous feriez comme si de rien n'était ? Une famille a perdu son enfant par votre faute à tous ! Juste pour une règle que vous avez établie. Vous avez du sang sur les mains et je compte bien tout dévoiler. On verra, après, si votre numéro de famille soudée tient toujours ! Oh ! J'oubliais, votre frère est en prison. Comme quoi vous n'êtes pas un si bon avocat que ça !

Je donne congé à ces deux lâches et claque la porte avec violence. Je ferme les yeux pour faire le vide, je repense à la conversation avec la sœur de Ralph et de Gunnar. J'ai peur qu'il lui arrive malheur. Je dois aller présenter mes condoléances à la famille. Je suis bien loin de mon personnage de fiction. Je ne suis pas un héros, je ne suis pas une légende. J'ai peur, je doute, je me sens impuissant face à cette situation.

Au petit matin, je me prépare pour un moment douloureux. J'enfile mon costume de cérémonie, Camilla me seconde comme toujours. Mon cœur bat la chamade, mon estomac se noue. Au fond de moi, je me sens coupable de la mort de cette pauvre fille. En arrivant, je vois les parents en pleurs entourés de leurs amis. Les membres du quartier, dans le fond, font semblant d'être tristes. Gunnar, madame Rupertz, les oncles, tous jouent la comédie. Mais un jour, le masque tombe. Afin de garder espoir, je tente de m'en persuader. Plus tard dans la journée, j'arrive à m'entretenir avec les parents. Le père de Nancy tente de retenir ses larmes, en revanche sa femme cède totalement.

– Avez-vous eu un contact avec le ravisseur ? Pardonnez-moi de vous demander cela dans un moment pareil, mais je crois que l'assassin de votre fille est un membre de la famille Rupertz ! Je tente par tous les moyens de trouver la vérité. L'homme qui m'emploie pour écrire son livre a été arrêté pour meurtre et enlèvement. Mais il est innocent ! Sa fille a été assassinée aussi. Si vous savez quelque chose, dites-le-moi !

– Nous comprenons ! Nous ne sommes pas très proches des Rupertz, ils sont très étranges et secrets. Je m'entends bien avec Ralph, mais il ne me parle jamais de lui et de sa famille. J'ignorais que sa fille était morte. Il m'a toujours dit qu'elle était en voyage. Vous pensez pouvoir découvrir l'identité du malade qui a assassiné notre fille ? demande le père d'une voix tremblante.

– Je vais faire mon possible. Avez-vous remarqué des choses étranges ?

– Comment ça ? Chez les membres de la famille Rupertz ? En effet, le fils de Gunnar, il est étrange. Il a une manière de regarder les gens très malsaine en particulier les femmes ! Entre nous soit dit, il est louche. Je l'ai d'ailleurs toujours senti. Un jour il est venu manger, geste de courtoisie entre voisins et il regardait notre fille bizarrement. Je m'en souviens très bien, il avait ce regard pervers, plein de noirceur. 

Au même moment, Gunnar, madame Rupertz et le fils de Gunnar me fixent avec insistance. Ils affichent tous un sourire sinistre. Nous faisons tous semblant, nous jouons la comédie. Gunnar et son fils parlent avec les parents de la victime pour montrer leur soutien. Madame Rupertz joue la voisine blessée par la tragédie qui vient de frapper le quartier. C'en est presque risible ! Elle monopolise toute l'attention, c'est une magnifique comédienne. Pour ma part, je reste avec Camilla en retrait.

Midi, the Unions Restaurant

 

Camilla et moi dégustons un succulent homard, quand mon téléphone sonne. Je vois le nom de Stewart affiché, je décroche.

– Bonjour, Pa, que veux-tu ?

À mon grand étonnement, j'entends la voix d'un autre homme. Pourquoi cet homme a-t-il le téléphone de mon père ?

– Puis-je savoir qui vous êtes ? Pourquoi vous avez le téléphone de mon père ?

– Je suis le docteur Calman, je m'occupe de votre père. Il a fait une crise cardiaque et a été admis à l'hôpital Santa-Veronica. Ses jours ne sont pas comptés, mais nous voulons le garder pour faire des examens.

– Comment ? dis-je d'une voix fébrile.

– Il dit que vous ne devez pas prévenir votre mère. Il ne souhaite pas qu'elle s'inquiète. 

Je raccroche et file pour l'hôpital en laissant quelques billets sur la table. Dans le hall de Santa-Veronica, le docteur Calman m'interpelle. Il est très imposant, il doit faire dans les cent kilos et mesure bien un mètre quatre-vingt-dix. Il porte une moustache à la Freddie Mercury et des lunettes rondes.

– Bonjour, je suis le docteur Calman. Enchanté, j'ai lu tous vos livres.

À mon grand étonnement, une nuée de journalistes fonce vers moi. Comment ont-ils pu savoir pour mon père ? Je presse le pas pour ne pas être obligé de fournir des informations qui ne les regardent pas. Derrière la baie vitrée, je vois Stewart allongé, le visage blafard. Il me fait un signe de la main et sourit.

– Que se passe-t-il Pa ?

– Rien de grave, la fatigue !

– Rien de grave ? On n'a pas la même notion du mot grave. Tu as eu une attaque ! Ce n'est pas anodin. Maman doit le savoir.

– Non, en aucun cas. Tu connais ta mère, elle ne va pas arrêter de me le rabâcher. Elle a assez de souci comme ça ! Je suis navré pour l'autre jour, mais je veux résoudre cette affaire au plus vite.

– En parlant de ça, une des filles est morte, elle a été retrouvée dans le quartier.  

Stewart ferme les yeux, il essaie de se redresser sur son lit. Le médecin tente de l'arrêter.

– Monsieur Young, vous devez rester allongé, ne faites pas d'effort.

– Écoute-moi mon petit, tant que je suis en vie, je vais poursuivre mon enquête. Je ne t'empêche pas de faire ton boulot, alors laisse-moi faire le mien.

– Papa, tu dois te reposer ! dis-je d'une voix forte.

Stewart descend du lit et retire les électrodes de sa poitrine velue.

– Fils, tu viens de me dire qu'une des filles est morte, je dois retrouver l'autre avant qu'il ne soit trop tard ! C'est mon devoir !

– Et si tu as de nouveau une attaque ?

– Eh bien… On improvisera ! Que veux-tu, il faut bien mourir un jour !

Quand il s'agit de son travail, Stewart peut être très borné. Il est prêt à tout pour clore une enquête. C'est une de ses nombreuses qualités, la détermination. Mais parfois, son obstination peut l'emmener très loin. Le docteur et moi restons stupéfaits de la réaction de mon père qui fait comme si de rien n'était.

– Je suis prêt, nous partons ? Docteur, merci pour vos services, je reviendrai pour les examens après l'enquête !

En rentrant à la maison, je trouve une lettre. Je l'ouvre délicatement, une clef tombe de l'enveloppe. La lettre est signée, la sœur de Ralph et de Gunnar a décidé de me parler.

Cher Monsieur Young,

Pardonnez-moi pour tous ces mensonges, mais comprenez que je ne fais que protéger ma famille. Cette clef ouvre une porte menant à une salle secrète, à vous de la trouver. Voici un indice : l'homme est une lettre la femme en est une autre, tous deux forment un genre. Comme je vous l'ai déjà dit, méfiez-vous, la vérité se dissimule toujours. Posez-vous les bonnes questions Daniel. Pourquoi deux voisines, pourquoi une pauvre enfant ? Dans quel but ? Vous êtes auteur, pensez comme vos personnages. La réponse est pourtant simple croyez-moi, effrayante, mais simple. Oh, et il y a une chose superbe de nos jours, internet. Philippine Rupertz vous aidera…

Ni une ni deux, je me connecte sur le site des archives. En tapant le nom Philippine Rupertz, je tombe immédiatement sur une photo de la famille Rupertz. C'est trop facile, me dis-je en lisant l'article.

Philippine Rupertz âgée de huit ans meurt d'une allergie aux crustacés. La mort était accidentelle. La famille en a été très affectée, le père de la jeune fille, Gunnar, a organisé une longue veillée. Toute la famille était présente sauf le frère de Gunnar, Ralph. L'affaire n'a eu aucune suite.

– Étrange, pourquoi personne ne m'a parlé de Philippine ? Quel est le lien avec l'affaire si c'est un accident ? Je commence à en avoir marre des secrets de famille !

Sur une page vierge, je note toutes les dates où il s'est produit un drame concernant la famille Rupertz.

 

           1991 : Mort accidentelle de Philippine Rupertz fille de Gunnar et sœur d'Arthur. (Mort par allergie aux crustacés)            1993 : Mort de Maria Rupertz, fille de Ralph Rupertz. (Morte violée, torturée) Enquête non élucidée, dossier disparu, coupable membre de la famille.            2010 : enlèvement de deux filles, voisines, amies à quelques jours d'intervalle. La première retrouvée morte dans le quartier où vit toute la famille Rupertz. L'autre est encore aux mains du meurtrier de Maria et de Nancy. Ralph est emprisonné pour le meurtre de sa fille Et l'enlèvement de Nancy et Helena. Son ami le détective s'est suicidé pour avoir falsifié et caché des preuves lors d'une enquête de police.

Conclusion : le tueur cherche à faire accuser Ralph pour tous ses crimes. Quel membre de la famille en veut à Ralph ? HISTOIRE DE VENGEANCE possible.

Remarque : Ralph était absent lors de l'accident de Philippine. Il ne peut être responsable. Sauf si (à mon grand étonnement) il est parti après que la petite ait ingéré les crustacés. Question, pourquoi partir ? Était-ce prémédité ? Avait-il peur ?

L'affaire prend une tout autre tournure. Cette information, fournie par la sœur de Ralph et Gunnar, me pousse à penser qu'il s'agit bien d'une affaire de vengeance familiale. Et que veut dire l'énigme : l'homme est une lettre, la femme en est une autre, tous deux forment un genre. Pourquoi tout est-il si compliqué ? N'est-ce pas plus simple de donner l'information directement ? Je n'arrive pas croire que Gunnar avait une fille. C'est impossible que ce soit lui. Il n'a pas la personnalité d'un assassin pédophile. Puis je songe à ce que m'a dit le père de Nancy, Arthur est très étrange, il a très bien pu tout organiser pour se venger de la mort de sa sœur.

Sur le chemin du retour, je ressasse l'énigme afin de la déchiffrer. Je fais tournoyer la clef entre mes doigts. Soudain je lève la tête et vois l'écriteau : X&Y bar. Quel idiot ! me dis-je. Le genre masculin et féminin, le X et le Y ! Pourquoi ne pas y avoir pensé. Je ne sais si c'est le fait du hasard ou pas, mais je suis ravi d'avoir pris le chemin le plus long pour rentrer. J'envoie un message à Camilla.

Je vais avoir du retard ! 

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