chapitre 19

Sergueï Bonal

Les rayons violets dansent dans le bar. La salle principale est bondée. Je tente de me faufiler dans la foule. Je tiens la clef dans ma main en scrutant chaque mur, chaque recoin. Il y a une inscription sur la clef, une sorte de croix. Je cherche le même symbole sur chaque porte. C'est alors que je la trouve enfin, une porte verte avec le même symbole. Au même moment, Arthur, le fils de Gunnar m'interpelle.

– Dan, que faites-vous ici ? s'étonne-t-il, souriant.

– Je profite de mon temps libre !

– Vous faites bien, que désirez-vous boire ? La maison offre.

– Oh je ne sais pas, un scotch me ferait le plus grand bien !

Il me fait signe d'aller vers le bar. Est-ce pour m'éloigner de la porte ? Sans ménagement, je lui pose la question.

– Est-ce une salle privée derrière la porte verte ?

– En effet, seuls les VIP et membres privilégiés ont le droit d'y aller. Je suis navré, mais vous n'en faites pas partie, un jour peut-être ! J'ai appris pour la fille retrouvée dans la rue, quelle tragédie ! J'espère que la police va retrouver l'autre à temps.

– Moi aussi ! La famille est anéantie.

Arthur se dirige vers d'autres clients. Pendant ce temps, je m'éclipse pour retourner vers la porte verte. Une dizaine de personnes se tiennent devant moi, je peux entrer sans me faire voir. Les lumières sont tamisées, les murs blancs et noirs. L'ambiance est sobre et moderne. Après avoir parcouru quelques mètres, j'arrive dans un couloir rempli de photos de jeunes filles dénudées. Mais où suis-je ? dit ma voix intérieure. Je comprends mieux pourquoi Arthur ne voulait pas que sache ce qu'il y a derrière la porte verte : des photos jusqu'au plafond, des milliers de photos aussi sordides les unes que les autres. J'entends parler, je me précipite vers une porte et entre. Derrière moi, une jeune fille d'une quinzaine d'années est attachée sur une croix en bois. Les voix se rapprochent, je me cache derrière un rideau en velours. Deux hommes se dirigent vers la jeune fille attachée.

– Monsieur Bertz, vous vouliez voir le produit numéro cent dix-huit, le voici. Il est spécial, car il est vendu avec la croix qui permet de… comment dire… de rendre le jeu plus amusant ! C'est une croix de Saint-André classique en bois de chêne, taillée pour donner un effet agréable et élégant. La demoiselle vaut dix mille euros et la croix six mille, le tout fait seize mille euros. Vous avez de la chance, ce produit est en promotion !

Je n'arrive pas y croire, Arthur vend des filles dans les sous-sols de son bar ! C'est horrible ! Comment peut-on faire une telle chose ? C'est inhumain. Est-ce lui le monstre ? Il a enlevé ces filles pour les revendre. C'est la seule explication possible ! Je retourne dans le bar sans me faire voir, mais au moment d'ouvrir la porte un homme m'appelle. À peine ai-je le temps de me retourner, je reçois un coup violent sur la tête. L'obscurité m'envahit, je vois trouble et je n'entends plus rien.

Les jambes et les bras écartés, je me réveille avec une douleur insoutenable à la tête. Je dois être accroché sur une de ces croix immondes. Arthur s'avance, vêtu d'un costume blanc.

– Vous êtes un vilain garçon, Daniel ! Je vous ai dit que cette partie du bar était interdite au public. Ce qui va suivre ne va pas vous plaire, mais j'y suis contraint ! Mes amis ici présents, vont vous faire subir divers sévices sexuels qui vont leur faire plaisir. J'espère que vous allez en avoir aussi !

Arthur part en sifflotant et ferme la porte avec délicatesse. Un des hommes m'arrache mes vêtements et me murmure :

– J'adore mettre mon poing dans divers orifices !

Je ferme les yeux et serre les dents, les secondes passent lentement, je transpire à grosses gouttes. Soudain, tous les hommes se retournent vers la porte. J'entends la voix de Marcus.

– Bonjour Messieurs, puis-je vous emprunter mon client ?

Il sort son revolver et fait signe de me relâcher. Au même moment, un des types me détache et m'attrape. Je tente de me débattre, mais il est trop fort. Marcus tire partout. Mon agresseur m'emmène dans le couloir. Je continue de me débattre quand il me donne un grand coup pour m'assommer. J'entends vaguement des bruits de coup de feu. Après de longues minutes d'absence, je me retrouve près de Marcus, nu dans la forêt.

– Je n'ai pas le temps de t'expliquer, marche et tais-toi ! Nous devons fuir ! Tu dois te demander comment j'ai fait pour te retrouver, je t'ai géo-localisé avec mon téléphone. Vive internet ! Mon pauvre, tu fais peine à voir. Une minute de plus et tu… Enfin bref ! Tu es entier, c'est tout ce qui importe !

Nous marchons des kilomètres sans pouvoir nous cacher. Je ne sais si les hommes d'Arthur sont derrière nous. Je n'arrive plus à réfléchir.

– Mar… Marcus, c'est lui, c'est le fils, c'est un mon… stre !

– Je sais Dan, j'ai vu la même chose que toi ! Tu es sauvé, tu ne crains rien. Il va payer ce malade !

– Il ne faut pas le dire, nous devons trouver d'autres preuves.

– Oh, je crois qu'il y en a assez dans le sous-sol !

Nous arrivons devant une cabane, Marcus me fait entrer et referme la porte d'un coup sec. Nous sommes en sécurité, pour l'instant. 

Au petit matin

 

Je ne sais pas quelle heure il est. Marcus me regarde avec compassion. Il me tend une couverture poussiéreuse.

– Je suis navré, tout est de ma faute, je n'aurais jamais dû te laisser t'embarquer dans cette affaire. J'aurais dû te forcer à rester à Londres ! Regarde-nous, on se cache pour éviter un pervers sexuel ! Je suis un piètre agent littéraire. Je t'ai laissé partir chez ce type sans surveillance.

J'esquisse un sourire, j'inspecte la cabane miteuse. Tous les outils sont rouillés, j'en déduis qu'elle est abandonnée depuis un long moment.

– Tu n'as pas trouvé mieux comme cachette ? dis-je en souriant.

– Oh ! Mais si tu veux, tu peux retourner chez les dégénérés sexuels ! rétorque Marcus en me montrant la porte. Je vais appeler ton père, il saura quoi faire.

– Non, nous avons une longueur d'avance, il faut nous débrouiller seuls. Tu as toujours ton petit appartement près du théâtre ?

– Oui, mais ce n'est pas rangé !

– Au point où on en est ! Regarde-moi j'ai failli perdre ma virilité, perdu dans une cabane délabrée. À l'heure actuelle je ne cherche pas le grand luxe. On doit se changer et préparer un plan, je crois que Rupertz fils ne va pas en rester là.

– Et moi qui me plaignais d'avoir un train de vie de noix de Saint-Jacques, ça me fait de l'animation, répond Marcus avec humour. Tu sais à quoi je pense ? À mon mariage avec Franck.

– Quel est le rapport avec la situation ?

– Aucun, mais comme on a failli perdre notre virilité et mourir par la même occasion, je me remémore de bons souvenirs. J'ai notre chanson de mariage dans la tête, Everybody's go to learn sometimes.

 

Change your heart
Look around you
Change your heart
I'll astound you
I need you loving 
like the sunshine
Everybody's got to learn sometimes

 

J'écoute chanter Marcus en écarquillant les yeux. Comment peut-il chanter dans un moment pareil ?

– Votre chanson préférée, c'est quoi ? demande-t-il.

– Still loving you de Scorpion. C'est la première chanson qu'on a écoutée ensemble. Nous étions à une soirée dansante et le DJ l'a passée. Camilla était dans un coin de la salle avec son verre de Rhum coco et moi, sans réfléchir je suis allé vers elle et je l'ai emmenée danser. Depuis, nous sommes ensemble ! Et toi avec Franck, vous allez fêter vos cinq ans de mariage.

Marcus sourit timidement et ouvre la porte pour inspecter les environs. Il n'y a personne, un silence lourd plane dans la forêt. Je me demande toujours comment nous avons fait pour nous retrouver au milieu de la forêt ? Marchant dans le froid, pieds nus, je grelotte en claquant des dents.

– J'espère qu'ils ne sont pas là ! Ton appart est loin d'ici ?

– Non, il faut une dizaine de minutes. Nous ne pouvons pas prendre le bus ou un taxi, personne ne doit te voir comme ça.

En rentrant chez Marcus, je fonce sous la douche. L'eau chaude ruissèle sur mon corps glacé. Pendant ce temps, Marcus sert deux grands bols de café noir. Son appartement est design, mur brique et blanc, à l'américaine. Il y a peu de bibelots et peu de meubles. Des cadres photos sont accrochés aux murs, Marcus et son mari Franck le jour de leur mariage. Franck est journaliste au Daily Express. Quand Marcus part en voyage, il reste à Londres. Il ne supporte pas l'avion ni le train, il est comme ma mère, attaché à son pays. Je l'ai vu plusieurs fois lors des soirées chez Marcus. Il est charmant, simple et d'une bonté sans pareil. Assis sur une chaise, il regarde la photo de mariage en souriant. Derrière cet homme imposant et direct se cache une grande sensibilité.

– Tu vas le revoir très bientôt Marcus, dis-je en sortant de l'ombre. Quand toute cette affaire sera finie, nous rentrerons à Londres.

– Et ton mariage ?

– Nous le ferons à Londres, je ne peux plus rester ici après tout ça. J'expliquerai à tout le monde, d'ailleurs tu peux te charger de ça ?

– Je suis ton agent, je suis là pour te simplifier la vie ! J'appelle les invités, tu veux le faire où ?

– Là où Camilla aime jouer, au Royal Albert Hall ! Mais je dois aller voir Ralph, il peut m'en apprendre plus sur la mort de Philippine.

– Tu sais que tu ne dois pas…

Il n'a pas le temps de finir sa phrase que je suis déjà dehors. Je pars pour la prison, où est incarcéré Ralph. En arrivant, je vois une ambulance arriver. Je me précipite vers l'entrée, mon père me fait signe de m'arrêter.

– Que se passe-t-il ?

– C'est Monsieur Rupertz, il a été agressé, dit Stewart nerveux.

Le brancard ressort avec Ralph, je me précipite vers lui.

– Ralph, je suis là, je viens avec vous.

Sans écouter les policiers, je monte dans l'ambulance en prenant la main de Ralph entre les miennes.

– Je suis là Ralph, vous n'êtes pas seul ! Vous allez vous en sortir.

– Il perd beaucoup de sang, dit l'urgentiste, il a été poignardé au thorax.

– Parlez-moi de Philippine. Je sais ce qu'il s'est passé. C'est Arthur, il vend des filles dans la cave de son bar. C'est un moyen de se venger ?

– Monsieur, il est faible, ne le brusquez pas !

– Allez voir ailleurs ! Une fille va mourir s'il ne parle pas. Ralph, parlez-moi, je vous en prie.

Ralph me tend un papier, il me prend la main et sourit.

– C'est ma famille, Dan. Je ne peux pas les trahir. Je sais que vous allez y arriver. Philippine est la clé de tout !

Au même moment, le moniteur affiche un long trait sur l'écran. La main de Ralph pend, son regard est vide, mort.

Signaler ce texte