2

mrnws

Le temps d'enfiler un autre pantalon et elle se trouvait déjà en route pour son diner chez Annie. Elle avait déjà une bonne demi-heure de retard et elle se sentait terriblement désolée. Par chance, ses amis n'habitaient pas très loin de chez elle et elle y serait rapidement ; ça ne l'empêchait pas de se presser tout en faisant très attention à ne pas tomber. Une fois dans la journée, c'était suffisant.

Adèle grimpa les marches par quatre et était sur le point de brandir son poing quand la porte s'ouvrit face à elle. Annie et Simon se trouvaient tous les deux devant elle et elle leur accorda sa moue d'excuse. Il lui arrivait souvent d'être en retard à leurs rendez-vous mais jamais à ce point. En général c'était l'histoire d'un quart d'heure, pas davantage.

- Je suis tellement désolée pour mon retard.

- Tout va bien, entre.

Annie lui sourit joyeusement et se déplaça sur le côté pour la laisser entrer. Simon restait collé à elle, peu importe dans quelle direction elle allait. Il était son ombre, bougeait en même temps qu'elle et ne la quittait surtout pas d'une semelle.

Adèle les dépassa et laissa tomber son sac et sa veste sur le tabouret du couloir. Il n'était certainement pas prévu pour cela lorsqu'ils l'avaient acheté mais depuis longtemps ils ne lui faisaient plus de réflexion quand elle agissait ainsi. Du coin de l'œil, elle les vit passer dans la cuisine alors qu'elle se rendait tout droit dans le salon.

Depuis le temps qu'ils se connaissaient, les convenances ne tenaient plus entre eux.

Elle s'assit calmement sur le canapé et observa les toits de Prague et les décorations de Noël qui fleurissaient aux fenêtres. L'appartement d'Annie et Simon était toujours accueillant et chaleureux, de quoi réchauffer son corps endolori par sa chute. Elle sentait le fumé d'un bon plat venant de la cuisine mais ne sut reconnaître l'odeur. Tous les deux étaient de fins cordons bleus et venir diner chez eux c'était toujours l'équivalent d'un bon restaurant.

Elle se sentait toujours bien ici. Ils l'accueillaient toujours avec beaucoup de douceur et la faisait reine de la soirée. C'était le cas pour tous les amis qu'ils invitaient chez eux et c'était une atmosphère agréable de se savoir chouchouté.

Ils revinrent de la cuisine avec les bras chargés de victuailles. Annie aimait toujours en faire beaucoup, elle ne cessait d'avoir peur qu'il n'y ait pas assez, malgré les mots de Simon. Il se plaignait toujours parce qu'ils pouvaient manger sur les restes d'une soirée pendant au moins trois jours.

Ils s'installèrent avec elle et Annie fixa son regard droit sur elle.

- Dis-nous pourquoi tu es en retard ? Enfin, plutôt, pourquoi autant en retard.

- Je suis vraiment désolée, je vous demande vraiment de me pardonner. Je suis sortie faire quelques achats de Noël et j'étais sur le chemin du retour, presque en avance, quand je suis tombée. La neige venait juste de commencer à tomber et j'étais tellement contente que j'ai regardé les flocons tomber… et moi aussi je suis tombée.

Elle leur adressa une grimace tout en haussant les épaules. Ça ne les étonnait pas outre-mesure qu'elle soit tombée. Adèle n'était pas quelqu'un de très adroit, mais elle arrivait toujours à se tenir sur ses deux jambes. Sa maladresse s'exprimait plutôt à travers ses mains d'où elle laissait tout tomber. Elle était la reine de la casse.

- Tu es tombée ? Mais tu t'es fait mal ? la relança Annie.

- Non, tout va bien. Ce n'est pas la fin de l'histoire, je vous préviens.

Elle leva un doigt devant elle et Annie et Simon échangèrent un regard. Elle sentit la chaleur qu'ils se transmettaient avec un simple regard et ça lui rappela cet homme mystérieux qui l'avait aidé à se relever. A partir du moment où elle en aurait parlé à Annie, elle savait qu'il ne pourrait plus garder cette forme mystérieuse qu'elle lui avait attribué dans son esprit. Il deviendrait forcément réel et il aurait un nom, même si elle n'y avait pas encore repensé.

- J'étais parterre, les fesses dans l'eau, mes sacs renversés à mes pieds. Je me croyais seule et j'étais assez heureuse que ce soit le cas, mais je me trompais. Tout d'un coup, un homme est sorti de nulle part. Je ne sais pas du tout d'où il est arrivé, je ne l'avais pas vu. Il m'a aidé à me relever, il s'est même inquiété de savoir si j'allais bien. C'était forcément un mirage.

Elle se tourna enfin vers Annie et Simon pour connaitre leur avis. Ils étaient toujours des oreilles attentives pour ses mésaventures foireuses, sauf qu'il n'y avait généralement pas de bel inconnu dans l'histoire. Ils étaient lovés l'un contre l'autre et la regardaient avec un petit sourire en coin. Bien sûr, elle n'avait aucun doute sur ce que ça signifiait : ils l'imaginaient déjà au bras de cet homme mystère pour les fêtes de fin d'année. Elle en aurait presque levé les yeux au ciel.

Annie se releva quelque peu et se glissa sur le canapé pour se rapprocher d'Adèle. Elle posa sa main sur la sienne et leurs épaules se touchèrent.

Elle allait lui parler, bien sûr qu'elle le ferait, mais que pourrait-elle lui dire ? Adèle n'avait pas pour habitude de discuter de garçons avec Annie ; non pas parce que celle-ci était déjà en couple mais parce que ça ne branchait pas beaucoup Adèle. Elle en rencontrait peu et ça ne lui manquait pas tant que ça.

- Tu sais bien que ce n'est pas un mirage. Un garçon gentil n'est pas forcément un mirage. Celui-ci semble réel. Vous avez échangé autre chose que des mots ?

- Je connais son prénom.

- Qu'est-ce que t'attends pour nous le dire ?

Annie poussa doucement Adèle avec son épaule. Cette dernière rit légèrement en se rattrapant au canapé. Elles échangèrent un regard et Annie lui sourit. Elle voyait pétiller ses yeux de malice.

- Liam.

- Un bien joli prénom.

Elles échangèrent une nouvelle fois un regard et éclatèrent de rire. Pour elles, cette expression avait un énorme passif. La grand-mère d'Annie ne cessait de le dire lorsqu'elles parlaient de garçons de leur école. Peu importait le prénom qu'elle prononçait, il s'agissait toujours d'un « bien joli prénom ».

Simon les regardait depuis l'autre côté du canapé, il souriait. Il avait, lui aussi, connu la grand-mère d'Annie et elle lui avait dit cette même phrase lorsqu'il lui avait annoncé son prénom.

Annie se jeta au cou de son amie et lui embrassa la joue. Elle ne prononcerait aucun mot qui pourrait agacer Adèle mais elle ne pouvait pas s'empêcher de les penser pour elle-même. Sa famille lui faisait suffisamment de petites réflexions innocentes pour qu'elle-même n'en rajoute pas une couche. Elle jeta un coup d'œil à Simon et ils se sourirent.

- Tu as envie de le revoir ? proposa Simon.

- Je ne sais même pas qui il est. Je crois que ça me convient déjà pas mal qu'il ait eu la bonté de m'aider à me relever.

- Ton visage avoue quelque chose que tu n'oses pas dire.

Il attrapa des cacahuètes qu'il fourra dans sa bouche tout en la regardant. Simon avait toujours été un fin psychologue, mais, en général, il n'exerçait pas ses pouvoirs sur elle.

Elle se mordit les lèvres et les regarda tous les deux à tour de rôle. Elle ne savait pas quoi leur dire. Alors elle se pencha pour piocher des chips, disposés dans des bols sur la table.

- Peut-être que j'ai apprécié ce contact.

- Ha ! Ça fait longtemps que tu n'as pas dit ça.

Elle leva les yeux au ciel tout en haussant les épaules. Annie la tira dans ses bras et la serra contre elle de manière exagérée. Elle était contente de savoir que cette rencontre avait peut-être créé quelque chose dans le cœur d'Adèle. Elle ne dirait rien, mais elle s'inquiétait de la savoir seule aussi souvent. Elle-même se sentirait tellement perdue si elle devait se retrouver dans cette situation. Mais, bien sûr, elles n'étaient pas du tout faites du même bois. Adèle était une incroyable solitaire, contrairement à Annie.

- Ça ne veut pas dire qu'il se passera quelque chose de plus. Je ne sais pas qui il est, je n'ai que son prénom.

- Ne jamais dire jamais.

Tous les trois échangèrent un regard et un sourire. Adèle baissa la tête ; elle était légèrement mal à l'aise tout à coup.

- Il est grand temps de boire à ta santé.

Ils se rapprochèrent tous de la table pour trinquer. Les lumières de la ville s'étendaient derrière eux et illuminaient une partie du salon, sans qu'ils aient besoin de rajouter d'autres sources de lumière.

Signaler ce texte