chapitre 20

Sergueï Bonal

Assis sur une chaise de l'hôpital, je me rappelle le visage de Ralph apaisé. Il est parti libéré, il est enfin avec sa fille. Pourquoi cacher la vérité alors que la dévoiler est bien plus simple ? Je sors le papier de ma poche.

Dan, pardonne-moi pour t'avoir caché la vérité, mais comme tu le sais je ne peux trahir ma famille. Toute cette histoire a commencé avec Philippine, la fille de Gunnar. Elle est l'origine de cette guerre. Il s'agissait d'un accident. Lors d'un dîner, je lui ai donné des crustacés. Personne ne savait qu'elle était allergique. Mon frère m'en veut depuis, mais il savait que c'était un accident. Tu dois te demander pourquoi protéger le meurtrier ? Quand tu perds tout ce que tu as, il ne te reste que la famille et les amis. Tu as dû comprendre que ce livre est une autobiographie. C'est ma manière de dire la vérité au monde. J'ai fait appel à toi, car je sais que tu as la capacité à mener l'enquête et d'achever le projet. Pas un jour ne passe sans que je ne pense à Maria. Elle était mon rayon de soleil, elle était toute ma vie. Ma femme ne restait que pour elle et mon argent. Ne te marie pas pour faire semblant, mari-toi par amour.

Ps : Cherche des informations sur le dossier d'adoption numéro AR 306L904.

RR

L'urgentiste se dresse devant moi, en tenant le dossier de Ralph.

– Page douze, en bas à gauche. Il était atteint d'un cancer.

– Quoi ? Comment ça ? Depuis combien de temps ?

– Depuis des années ! Il ne vous en a pas parlé ?

– Non, je ne savais presque rien sur lui. Il m'a demandé d'écrire un roman. Pourquoi le cacher ? Il ne se soignait pas ?

– Non, il n'y avait pas de traitement en cours.

Il me fait signe de le suivre. Nous descendons à la morgue. Mon cœur se serre, je fixe le corps de Ralph sur la table en fer.

– Il faut l'enterrer en faisant une cérémonie en son honneur.

– Mais il était détenu, je crois que ce n'est pas possible, le corps doit rester ici jusqu'à la fin de l'affaire.

– Faites-le, il est innocent. Cet homme s'est battu toute sa vie pour préserver sa famille. C'est son seul crime, être trop droit ! Je vous en prie ! Faites-le pour sa fille.

Je n'arrive pas à regarder le corps de Ralph charcuté. Le légiste accepte, il inscrit quelques mots sur un papier et achève son travail.

– Je prépare monsieur Rupertz, occupez-vous de la cérémonie. Allez voir Monsieur Hutten, il s'occupera de tout. Il gère les pompes funèbres L&K. Ils sont au nord d'Edimbourg, ils sont discrets et professionnels.

– Merci !

Quelques jours plus tard

 

Tout est en place, il ne reste plus qu'à dire un dernier adieu à Ralph. Toute la famille est présente, ainsi que de vieux amis. Gunnar et son fils sont absents, seule sa femme est présente. Elle pleure en tenant madame Rupertzpar le bras. Elle, reste impassible, son visage est figé. Assis au fond, je serre les dents en écoutant le discours émouvant du prêtre. Je me sens coupable, j'aurais dû en faire plus pour lui. Camilla, à mes côtés, me tient la main.

– Je suis là, mon amour ! Je serai toujours là ! Tu vas y arriver, je crois en toi.

– Mais c'est trop tard ! Une des filles est morte, Ralph aussi, j'ai échoué.

– Mais tu peux dévoiler la vérité ! C'est le plus important, attraper le meurtrier. Tu honoreras la mémoire de Ralph ainsi que celle de sa fille.

– Après c'est fini, on rentre définitivement à Londres et je m'arrête d'écrire pour un long moment.

En passant devant le cercueil, je dépose le faire-part de mariage qui lui était destiné. Nous partons avec Camilla en laissant la famille Rupertz.

Livingston, peu de temps après

 

Après l'enterrement de Ralph, une multitude de questions grouillent dans ma tête. Comment faire éclater la vérité ? Comment cette affaire va-t-elle finir ? Je suis planté devant mon ordinateur à chercher des informations sur la famille Rupertz. Je fouille dans les tréfonds d'internet en quête d'indices. Je tombe sur une page d'un dossier concernant la famille : Rejet d'adoption. Je clique sur le lien et un long article apparaît avec la photo de la famille Rupertz.

«Suite à la perte tragique de leur enfant, les parents de la petite fille ont décidé d'adopter. Le père explique son choix en déclarant qu'il a toujours voulu le faire et que la mort de sa fille le motive davantage. Il précise, en outre, qu'il attendra le moment propice pour engager la procédure d'adoption. Il ne veut pas paraître insensible en se contentant de remplacer son enfant par un autre. Malheureusement, trois ans plus tard, quand la demande a été envoyée, le consulat du Burkina-Faso l'a refusée sans donner d'explication. La famille a donc engagé une procédure pour connaître les raisons de ce refus et aucune réponse ne leur a été fournie depuis. Selon la femme de Monsieur Rupertz, c'est un coup monté d'un membre de la famille. Elle achève sa phrase en déclarant «la vengeance sera complète quand tous serons morts !» Il veut nous faire payer pour cette trahison !».

Impossible me dis-je. Elle ne peut parler que de Gunnar ! Ayant perdu sa fille empoisonnée accidentellement par Ralph, il se venge sur eux. Mais que vient faire Arthur ? Est-il impliqué dans les affaires de son père ?

Je pars pour la maison des Rupertz. En arrivant, je me précipite vers la porte et l'ouvre avec violence.

– Madame Rupertz ! Je sais tout ! C'est Gunnar le responsable de la mort de votre fille. C'est lui qui a enlevé vos voisines, c'est lui qui a mis fin à l'adoption en payant. Il voulait se venger de la mort de sa fille. Je sais que c'était un accident !

Madame Rupertz ivre, sort de l'ombre, vêtue d'une robe noire moulante. Elle titube en marchant vers moi tenant un verre de bourbon.

– Tu ne sais rien gamin ! Tu ignores à quel point mon beau-frère est un monstre et son fils n'en parlons pas ! Je les hais tous avec leur manie du respect de la famille. Quand on voit où ils en sont, je me dis que le respect est une valeur oubliée. Moi, je suis respectueuse ! Je suis restée pour ma famille, pour mon mari. Regarde où j'en suis, obligée de picoler pour ne pas devoir endurer toutes ces horreurs. Je t'avais bien prévenu, Dan Young, cette histoire allait te tuer. Car il va te retrouver pour avoir découvert la vérité. Il va peut-être, avant violer ta femme pour s'amuser ou la donner à son dégénéré de fils pour la vendre. Oh ! Tout le monde disait que la tante était malade, la femme qui tient un bordel ! Comparée aux autres, elle est la plus normale de la famille ! Mon mari est mort pour rien !

– Madame, je vais publier mon livre pour votre mari, pour blanchir son nom ainsi que sa réputation. Je me fous pas mal des problèmes entre vous et votre mari, ce que je veux, c'est en finir avec ce livre. Maintenant que j'ai la fin, je vais le terminer et le donner à mon agent ! Gunnar sera inculpé pour double meurtre, pédophilie et enlèvement, son pervers de fils, pour trafic humain et complicité. Quant à vous, Madame, vous aurez également des problèmes pour avoir couvert les agissements de votre beau-frère et de son fils !

– Comme tous les autres dans ce cas !

– Les autres, je m'en fous. Mais si vous aviez un peu d'amour pour votre fille, vous seriez allée voir la police pour tout raconter. Votre mari serait en vie, l'autre fille aussi. Vous êtes coupable d'être restée les bras ballants à regarder sans broncher. Vous êtes faible ! dis-je avec mépris.

Madame Rupertz jette son verre contre le mur près de moi. Je me décale pour éviter les bris de verre. J'entends des rires dans l'escalier. Gunnar descend lentement en tenant un bidon d'essence et un pistolet.

– Enfin, vous avez trouvé, je suis un peu déçu. Je m'attendais à mieux de votre part. Vous êtes le célèbre romancier de thriller et pourtant, vous n'avez pas pu résoudre l'affaire à temps ! Enfin, la fin ne change pas, tout le monde va mourir. Je veux vous voir tous souffrir ! Je veux que vous connaissiez le sens du mot douleur ! Vous n'imaginez pas à quel point j'ai souffert à cause de mon frère. Il a tué ma Philippine chérie, je devais lui rendre la pareille ! Par vengeance ! Arthur m'a raconté votre mésaventure dans le sous-sol du bar. J'espère que vous avez aimé le service.

– Vous êtes tous les deux des malades ! Comment osez-vous faire une telle chose à des jeunes filles ? Imaginez votre fille entre les mains d'un pervers comme votre fils ! rétorquai-je froidement.

Gunnar verse de l'essence un peu partout dans la maison en nous menaçant de son arme.

– Tout était parfait ! Artur et moi faisions nos petites affaires. Nous avions convenu que j'enlevais des filles, j'en profitais, pour voir si la marchandise était de qualité et je les lui donnais. Quant à lui, il les vendait et on se redistribuait les bénéfices. Dommage, vous ne pourrez pas voir votre future femme écharpée, mais comme vous êtes ici, je vais commencer par vous. Vous allez brûler dans la maison de l'homme que vous aimiez tant !

Une fois l'essence répandue, Gunnar ouvre la porte d'entrée et sourit en tenant son briquet dans la main.

– Amusez-vous bien !

Il lance le Zippo contre le bidon renversé, des flammes immenses jaillissent jusqu'au plafond. Gunnar me fait un clin d'œil et part en sifflotant après avoir pris le soin de fermer la porte à clef.

Les flammes montent de plus en plus haut. Madame Rupertz s'affole en courant dans tous les sens, elle hurle de toutes ses forces. Pour ma part, je fais les cent pas dans l'immense hall en cherchant une solution. Je vais dans chaque pièce de la maison tentant de trouver une issue. Tout est fermé ou pris par les flammes. Voyant l'inévitable, je m'assois sur l'escalier en pensant à Camilla. Je nous imagine le jour de notre mariage devant l'hôtel jurant devant Dieu de nous aimer jusqu'à la fin. Je revois tous les moments passés ensemble, les bons comme les mauvais. Madame Rupertz se tient devant moi en hurlant, l'haleine chargée de bourbon.

– Que faites-vous ? Je ne vous dérange pas trop, j'espère ?

– Que voulez-vous faire ? Les flammes gagnent du terrain et nous ne pouvons pas sortir ! Faites ce qui était prévu au programme, démolissez-vous à coup de bourbon ! Pour ma part, je vais faire une brève rétrospection sur mon insignifiante existence.

– Pourquoi faire ? Croyez-moi, vous aurez tout le temps de la faire une fois carbonisé !

– Je voulais vous demander, avez-vous couché avec votre beau-frère ?

Madame Rupertz me fixe avec de grands yeux.

– Comment ? C'est un scandale !

– Oh ! Avec votre famille plus rien ne m'étonne. Un jour, je suis tombé par hasard sur une lettre de Gunnar qui vous était adressée. La fin est explicite : Je t'aimerai comme personne ne t'a aimé ! Vous allez me soutenir que c'est une formule de politesse ? Je suppose que votre mari n'en savait rien ?

– Je vous emmerde ! Vous ne savez rien de moi et Gunnar ! Ralph ne m'aimait pas. Gunnar m'a toujours aimée, il me voit telle que je suis.

– Si, Ralph vous aimait! Mais vous étiez trop occupée à prendre soin de vous et à coucher avec Gunnar qui vous aime tellement qu'il vous fait brûler vive. C'est beau l'amour ! J'en ai la larme à l'œil !

Une voiture de police arrive en trombe, Stewart court vers la porte et la défonce avec un pied de biche. La fumée se propage de plus en plus vite. L'appel d'air accélère le processus. Le plafond s'écroule ainsi que les murs, les vitres explosent sous la chaleur du brasier. Madame Rupertz est prise au piège sous une poutre. Je tente de l'aider, mais Stewart me tire vers l'extérieur.

Quelques secondes plus tard, la maison est entièrement en flammes. Madame Rupertz est condamnée à brûler, les pompiers tentent d'éteindre le feu, mais en vain. Des hurlements se font entendre. Tout le monde détourne le regard, les voisins sont tous dehors à regarder la scène. Gunnar, au loin, prend la fuite, la police lui court après. Tout va très vite, je montre la maison de Gunnar à Stewart qui court sauver Helena prise au piège dans la cave. Je suis tétanisé en voyant le corps calciné de Madame Rupertz. Tout le monde s'agite autour de moi.

Stewart ouvre la porte d'entrée et saute sur Arthur qui tente de prendre la fuite. Il lui assène un grand coup de poing dans le thorax.

– Je vous arrête pour trafic d'être humain et pédophilie ainsi que complicité de meurtre. Tout ce que vous direz sera retenu contre vous lors du procès. Si vous n'avez pas d'avocat, il vous en sera commis un d'office. Avez-vous retenu vos droits ?

Arthur ne répond pas, il se contente de rire tel un fou. Stewart lui passe les menottes, d'autres agents le prennent en charge. Steward inspecte la maison de fond en comble pour retrouver Helena. Il entend de faibles gémissements provenant d'en bas. Il descend dans la cave, Helena est attachée aux barreaux du radiateur, nue, ensanglantée. Elle pleure toutes les larmes de son corps.

– Ne crains rien Helena, je suis de la police, je vais te sortir de là !

Il retire son manteau et le passe à Helena, la prend dans ses bras et l'extirpe de cet enfer.

– Il l'a tuée ! Nancy est morte ! dit-elle, sanglotant.

Stewart sort de la maison, Helena dans les bras, les parents courent vers lui en pleurs.

– Ma chérie, tu es vivante ! dit la mère émue.

Stewart amène la jeune fille jusqu'à l'ambulance. Il part à la poursuite de Gunnar. Il arrive à la hauteur de ses collègues qui se protègent des tirs. Gunnar hurle derrière une voiture.

– Allez crever !

Stewart contourne la zone et passant par une maison. Il parcourt quelques mètres et entrevoit Gunnar. Il marche à pas de loup derrière lui en pointant son arme sur lui. À sa hauteur, il lui assène un grand coup de crosse sur la tête.

– Et maintenant, on fait moins le malin !

Il le roue de coups à l'en faire saigner.

– Alors tu t'amuses, elles criaient comme ça, hein ? Tu jouis, tu es heureux ? Tu prends ton pied ? Réponds !

Stewart est pris de frénésie, il ne peut plus s'arrêter. Les autres agents le stoppent avant qu'il ne tue Gunnar.

Un détail me fait sourire, le mariage ne sera pas annulé ! Nous sommes dans les temps. Les journalistes arrivent, je suis mitraillé de tous les côtés. Je reste impassible, je n'entends pas les questions. Je sens une main prendre la mienne, Camilla est près de moi, le sourire aux lèvres.

– Je suis là !

Nous restons immobiles, harcelés par les journalistes. Plus rien n'existe, plus rien ne m'atteint.

Les heures passent, nous sommes emmenés pour une déposition complète. Dans la voiture, je pense à la manière dont je vais achever le roman. Je pense écrire la fin comme elle s'est passée, dans les flammes ! Gunnar est hospitalisé suite aux coups violents de Stewart. Comme l'exige le règlement, les agents ne doivent en aucun cas battre les suspects, Stewart est mis à pied. Quand vient mon tour de raconter ma version des faits, j'expose tous les détails. Le policer chargé de taper le rapport est atterré. Il relit la déposition avec stupéfaction.

– J'ai l'impression de lire un roman noir suédois !

– Et pourtant, c'est la réalité !

Tout est terminé, une voiture de police nous ramène, Camilla et moi, jusque chez nous. Je suis soulagé et pourtant je ne peux m'empêcher de m'en vouloir. Je m'en veux de ne pas être allé plus vite. J'ai découvert la vérité trop tard. Trois personnes sont mortes depuis le début de cette histoire. Nous passons à ma demande devant la maison calcinée. Je descends pour regarder une dernière fois la maison. Tout est détruit, en cendres, ça sent la fumée, la mort. Des rubans jaunes sur lesquels est inscrit «police» entourent la maison. Hélas, cette affaire n'est pas encore terminée !

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