Chapitre 5.

sisyphe

Chapitre 5.

Tout au milieu de la cour, il y avait comme une estrade. Et puis perché dessus, un drôle de hibou. C'était pas un troufion comme nous tous lui, ça non!...Ça se voyait. Il avait des habits propres lui, pour commencer. Pas un poil sur son cailloux qui n'ait échappé au gel capillaire qui les tirait implacablement en arrière. Dans ce gaillard là, il y avais pas que le gel qui venait du porc en tout cas. Animalisé le type! Un porcidé si je ne m'abuse, et si ça existe pas, faudrait le créer rien que pour lui. Il débordait de toute sa blouse, dont l'immaculée conception tranchait avec ses airs. Ces paluches, on avait pas de mal à les imaginer dégoulinantes de graisse, de sucre...de toute la mélasse qu'il aurait pu porter...et pour sa consommation personnelle!...C'est ça qui impressionnait. Il avait le plastron bien ventru, insultant pour nos entrailles affamées bien qu'officiellement rassasiées. Mais quand ça tenaille au bide, l'officiel qu'est-ce qu'on s'en fout...Il attendait qu'on soit bien tous rassemblés pour écouter le prophète, l'augure, le beau gaillard qu'on tenait là.

A l'asile de Rapine c'était comme un passage obligé pour chacun des jours. Nestor me contait que c'était un adjoint du Directeur. Il avait été barge lui aussi, déclaré dingo par ses pairs et puis il avait finit par guérir à ce qu'on en a dit. Mais on guérit jamais vraiment, quand on est fin convaincu d'être timbré, faut tenir le rôle à perpète. Désormais, il rendait les services qu'on y demandait, pas folichon, pas très bandant comme gars, mis à part son intervention journalière, quand les plombs sautaient à heure fixe dans sa caboche, comme un vieux rendez vous à la folie de ses autres fois. Alors Rimochon de son joli nom, rameutait l'auditoire tous les jours pour son discours, son exorcisme personnel. On l'aurait mis en basse cour qu'il aurait jacassé de plus belle avec le reste des poulets.

Quand il y eut assez de populace, le Rimochon s'est mit à causer. A gueuler plutôt...des sacrés soufflantes en rase mottes, ça nous frôlait les tympans d'un bruit abominable. Il s'égorgeait à chaque phrase, paraissait-il que ce jour là, il était pas content le bonhomme. A prononcer Rimocon son nom, dans ses sales temps.

-Allez venez les manants...saltimbanques...plus sales que banques...croûtons...à vos soupes, vous en revenez...et attendez d'y aller, bien sur! Que ça de sûr avec vous, la bouffe elle vous miroite dans les orbites jusqu'à l'heure de crever bande de...! Et peu s'en faut pour qu'il soit demain ce jour là! N'en savez rien bien sur vous...canailles! L'État il peut bien s'empoigner la pine à se satisfaire de manipuler à son bon plaisir que vous vous en foutez! Pourvu qu'il y ait du pain! Canailles...On vous remplit le plat de crottin que vous attendez langue pendue le rab...pendu au derrière de tous les animaux possibles! Administrations...Églises...Cantines!-

Mine de rien, j'y trouvais du sens moi dans tout ce qu'il nous vomissait à la face. J'avais bien l'air d'être le seul dans la nasse d'yeux typés merlan fris. Ça avait pas l'air de le gêner que personne n'y pige foutrement rien à sa tirade. C'était comme une convention, un accord ineffable passé entre le défoulé et les défoulant. A l'amitié, la compassion qu'on subissait ça. Il en avait besoin, on y donnait de bon cœur du temps pour se prendre une volée, la flopée d' insultes pas franchement justes, ça rappelait le foyer de quand on était gosses...oh les beaux jours...Et puis, il a lâché ses mirettes sur ma personne, de la tête aux pieds, le zieuté rectal même...tout! Pour une nouvelle, s'en était une...Une canaille en plus, de la bleusaille où se servir.

-Ah mon bon dieu...Qui qui m'a foutu un troufion pareil? Alors la bleusaille, les premiers pas dans le monde? On apprend à se tenir debout?...Guignol! T'en as pas finis d'en découvrir des crasses si t'en es déjà tout étonné comme tu sembles...Pourquoi que t'y es là? T'étais quoi hein? Pas tailleur des fois...ou cordonnier? Au vent! Oublie tout ça hé maraud...troufion, voilà ta profession maintenant! Pas plus, comme tout le monde! Et t'avises pas de demander la rémunération, surtout pas si je t'y chope à le faire! Ou tu serviras le litre aux gars du sous sol peinturluré en serveuse d'Indochine ma mignonne...Ça a pas l'air de te plaire je me goure...tu vas me le dire que je me goure oui ou non?

A l'évidence, il m'avait pris en grippe rien qu'à la dégaine le Rimochon. Nestor me poussait du coude pour que j'y réponde et le plus vite possible, pour abréger la scène. J'étais poussé dans l'arène, c'était comme des milliers, des millions, des vagues de mirettes toutes plus globuleuses les unes que les autres qui m'assaillaient. Tous se tournaient vers moi en attendant de voir ce que j'allais faire. En attendant de voir si le nouveau il avait des burnes à poser sur la table comme garanties. Et ensuite, on jouerait au poker avec. Alors je les ai posées mes bourses, mais timidement et puis, elles étaient pas folichonnes. Rikiki, dégonflées de courage.

-Non monsieur, non ça me plaît pas-

-Ah non? Ah ça lui plaît pas à la bleusaille? Elle frétillent pas tes babinettes? Ça bouge pas sous la culotte? Il y a de quoi bouger au moins?...Canaille!

Et puis c'était tout. Il est descendu de sa petite estrade, celle qu'il faisait poser chaque jours pour sa traditionnelle séance de cris. Il a mis les vociférations en veilleuse et il est parti, disparut dans les entrailles ombragée du bâtiment principal. J'étais un peu sonné tout de même. C'est pas tout les jours qu'on y a droit, à de remontrances pareilles. Ça m'avait secoué les puces, celles qui sont collées bien au fond de mes tripes. Tous mes parasites et microbes, mes merdes, ma matière, tout foutu en branle. Nestor il l'a vu que je tremblais. Il m'a entraîné sur le côté, pour qu'on y voit pas. C'est que j'avais bien l'impression que tout allait me sortir par l'intérieur. J'en aurais tout vomi, tout ce que j'avais depuis ma naissance. C'était pas le Rimocon qui me faisait ça...non...Mais j'étais loin, assez loin de ce que je m'imaginais en claquant la porte du bar, au nez de Bébère. Fallait pas que ça se voit, dés fois que ça donne une vraie raison à l'internement. Nestor a sortit une fiole, une petite gourde...une gourdinette ridicule de rien du tout et il m'en a fait boire des gouttes, des gouttelettes de rien du tout là aussi. -ça revigore- qu'il me disait. -faut soigner le mal de l'esprit par les voies du corps- qu'il disait aussi, philosophe. J'avais un Descartes et un Spinoza dans la même personne bien au chaud, à côté de moi avec sa foutue fiole.

Bien sur, j'ai fini par les vomir ses gouttes, et puis toute une averse, on pataugeait à deux dans la matière. L’avènement de l'esprit, c'était pas pour aujourd'hui.

Tout flagada comme j'étais, j'ai à peine senti deux gaillards m'empoigner. Il y avait les draps propres et blancs, je la voyait la lumière au bout du tunnel et puis ils l'ont éteinte. Plus de lampe, plus de lumière. Mon illusion du paradis, elle tournait à l'électricité. Ce devait être la nuit, le ventre me faisait mal comme tout mes restes de corps. Et puis, j'ai du finir par dormir.

  • Une écriture à la Louis, tout aussi forte. Une qualité de style qui enflamme la page. j'ai dévoré du chapitre 1 au 5. Si tu n'es pas opposé à l'idée merci de bien vouloir me notifier tes prochains textes.

    · Il y a presque 13 ans ·
    Avatar orig

    Jiwelle

  • Bravo Sisyphe ! Dans la continuité de ce fastidieux et magnifique travail que tu as entrepris au coeur de la tourmente.Une critique pourrais survenir : l'inmanquable "épure" qui est souvent agitée face à pareille oeuvre intense. A titre égoiste, je dirais surtout pas ! Ce précipité de toi, cette gouaille surchargée d'images fortes, montre bien là tout le fond qui t'anime, tout le sentiment puissant que tu dégage, continue. Mon coup de coeur pour t'exhorter à la suite :)

    · Il y a presque 13 ans ·
     14i3722 orig

    leo

Signaler ce texte