chapitre 8

Sergueï Bonal

Tôt le matin, Livingstong

 

Je me réveille d'un bond pour me rendre chez monsieur Rupertz. Le contrat signé, je le relis pour me rassurer. Camilla marche vers moi en souriant, nue et lascive.

– Bonjour chéri, comment vas-tu ? Tu ne veux pas reporter tes affaires pour rester au lit avec moi toute la matinée ?

– Minou, je dois aller le voir, je ne peux pas décliner.

Sans dire un mot, elle prend ma main et la glisse entre ses cuisses. Excité, je l'attrape par les hanches et l'emmène jusqu'au lit.

– Tu as gagné, mais je pars quand même le voir après !

Une heure plus tard, je suis dans la voiture. En arrivant chez Rupertz, j'entends une musique douce et délicate. La sonate pour violoncelle de Chopinrésonne dans le haut-parleur. Un petit homme se tient devant l'entrée, vêtu de noir et blanc. Le majordome, je suppose. Il a une voix sèche et grave.

– Vous êtes ?

– Monsieur Young, j'ai rendez-vous avec votre employeur, Monsieur Rupertz.

Sans répondre, le petit homme peu aimable me fait signe de le suivre. Il marche oscillant de gauche à droite comme le balancier d'une pendule. Nous traversons un immense jardin fleuri, je vois enfin l'imposante demeure. Cette maison de maître doit dater du XVIIIe siècle, les murs sont en pierre recouverts de lierre.

– Comment trouvez-vous ma propriété ? demande Mr Rupertz. D'ici, il est possible de voir tout le quartier ! C'est l'avantage de vivre en hauteur. Je peux aisément surveiller le reste de ma famille. Ce quartier est en majorité habité par ma famille, et croyez-moi, elle est grande. Vous voyez la maison avec les fenêtres rouges, c'est mon frère qui y réside. Celle avec le coq sur le toit, c'est la famille Kroutz. Les pauvres, ils viennent de vivre une tragédie, leur fille est portée disparue. J'espère qu'on va la retrouver ! La maison sur votre gauche avec des roses partout appartient à ma charmante tante. Elle a empoisonné son mari il y cinq ans, car elle l'a surpris couchant avec une autre femme.

Je regarde attentivement chaque maison en retenant chaque information. Afin de ne rien oublier, je note tout sur un petit carnet.

– Votre tante n'a pas été arrêtée pour le meurtre de son mari ?

– Quand votre neveu est avocat, il est plus facile d'échapper à la justice. Mon frère est un brillant avocat, féroce, agressif et malin. Ma sœur Helena réside au bout du quartier, elle est psychanalyste. Elle a étudié à l'université de Francfort. Elle doit être la plus saine d'esprit de toute la famille ! Vous remarquerez que ma famille est des plus étranges ! J'ai plusieurs fois songé à faire un livre sur eux. Hélas, je n'ai pas le don que vous avez.

– Parlez-moi de la famille Kroutz, vous dites que leur fille a été enlevée ?

– Il y a quelques jours en effet ! Je les connais bien, je suis ami avec monsieur Kroutz. C'est un homme charmant qui travaille énormément. Il est en voyage d'affaires en ce moment. Si je peux aider la police, je le ferai naturellement. D'après ce que j'ai pu entendre, c'est un policier de Londres qui gère le dossier !

À ce moment-là, je compris la situation. C'est Stewart qui est chargé de l'enquête. Personne ne veut se mouiller avec une affaire pareille. Généralement, ce genre d'affaire se termine toujours mal. Stewart me le dit assez souvent, les agents qui gèrent des enlèvements finissent en dépression à cause de la pression psychologique. C'est pour cette raison qu'il s'est arrangé pour les éviter !

– Il n'y a pas d'informations sur l'affaire ?

– Non, elle n'est pas encore totalement résolue. Nous savons que la pauvre enfant est âgée de quinze ans et qu'elle a disparu en sortant du collège. Sa mère avait une réunion au cabinet, elle est avocate avec mon frère. Je crois qu'ils couchent ensemble, occasionnellement !

– Vous n'intervenez pas ?

– Vous savez, mon frère fait ce que bon lui semble ! S'il veut détruire sa famille, c'est son choix. Je me suis trop souvent battu, maintenant je les laisse faire.

– Vous ne vous entendez pas avec les autres ? demandai-je intrigué.

Monsieur Rupertz n'a pas le temps de répondre, une femme répond à sa place avec froideur. Sa femme, je suppose.

– Monsieur Young, si vous tenez à votre santé mentale, prenez la fuite tant que vous le pouvez. Ma belle-famille est détraquée ! Mon mari est obsédé par son foutu livre. Il vit dans son monde, ne perdez pas votre temps ! Pour ce qui est des membres de sa famille de malades, ils n'attirent que le malheur !

Monsieur Rupertz ne répond pas, il dévisage sa femme et me fait signe d'entrer dans le hall. Subjugué par la beauté de la pièce, j'ai les yeux rivés sur les tableaux et les meubles anciens.

– N'écoutez pas ma femme, elle me hait depuis des années.

– Pourquoi ne pas divorcer ?

– À nos âges ? Non, je l'aime encore ! Elle est libre de me quitter, mais mon argent l'attire inexorablement. Elle dit vouloir partir, mais elle est accrochée à moi et à mes biens telle une sangsue. Je l'ai épousée par amour et elle, pour ma fortune. Si vous devez vous marier, soyez certain de vos sentiments !

À ces mots, je pense à Camilla, il n'y a aucune comparaison possible. Nous nous aimons, on ne se cache rien et l'argent de l'autre ne nous intéresse pas. Nous nous sommes connus avant mon succès !

Ralph me fait visiter l'intégralité de la maison. Il m'en explique toute l'histoire.

– Vous voyez les tableaux ? Ils représentent tous les hommes de la famille ! Le premier c'est mon grand-père Adolf.

– Comme Adolf… Hitler ?

– Ne craignez rien ! Mon grand-père est d'origine allemande certes, mais il ne partageait pas les idées de l'époque. Le seul qui pourrait être de ce bord, c'est mon oncle Henrik, le fils d'Adolf. Un homme peu fréquentable, ce détraqué habite à l'écart de la ville.

Je fixe le portrait avec effroi en imaginant les horreurs qu'il pourrait commettre. Puis je croise le regard de Johan le second oncle de Ralph. Il est grand, blond, mince avec un regard ténébreux et charmeur.

– Le regard de votre oncle Johan est envoûtant. Il est bel homme !

– En effet ! Johan est en Suisse. Il travaille dans la haute couture depuis des années. Il vient à la maison à la période de la chasse pour se ressourcer. Vous le verrez peut-être. Ah ! Et Gustav, mon père, l'entrepreneur. Il est le seul à avoir repris l'entreprise d'Adolf. La famille vend des montres. Vous connaissez les montres Rupertz ?

Je fais un petit signe de tête pour approuver. Décalant d'un pas, je croise le regard de Gunnar. C'est un homme de taille moyenne brun aux yeux en amande. Il a un physique banal et pourtant une chose chez lui nous attire. Son sourire, un sourire franc et expressif. Afin de ne pas perdre le fil de l'histoire, je note chaque information. Une clochette retentit, un majordome se dirige vers moi et annonce d'une voix stridente :

– Le déjeuner est servi ! Monsieur, veuillez rejoindre la table du maître !

Ne voulant pas le contrarier, je m'exécute sans rien dire. Voyant une place vide, je comprends que c'est la mienne. Sans me laisser le temps de me poser, Ralph me mitraille de questions.

– Alors le contrat est signé ? Tout est en règle ? Avez-vous des idées ?

Madame Rupertz fixe son mari avec mépris.

– Quand cette pitrerie va-t-elle s'arrêter ? Personne n'est intéressé par votre histoire policière ! Vous êtes un enfant pourri gâté voulant assouvir ses moindres désirs !

Ralph se lève et jette sa serviette sur la table en regardant sa femme. Au milieu de ce charmant couple, je me revois avec Stewart et Linda se disputant pour des broutilles. C'est fou comme toutes les familles se ressemblent ! On est à table et ça crie ! Ça pourrait faire un bon sujet de psycho ! me dis-je en affichant un sourire en coin.

– Pourquoi riez-vous, monsieur Young ? Je suis heureuse que la situation vous amuse ! lance madame Rupertz froidement.

– Oh ! Je connais des repas où ça brasse du début jusqu'à la fin ! Alors, quand je vois les autres faire pareil, je me dis que nous sommes tous semblables.Madame Rupertz, votre mari ne m'a pas enrôlé, je suis assez grand pour faire mes propres choix. Je veux tenter cette expérience !

– Ainsi soit-il ! J'espère que vous aimez l'étrange, jeune homme, car vous allez être servi !

Un peu plus tard dans la soirée, je repense aux propos de madame Rupertz au sujet de la famille. Intrigué, je demande sans détour à Ralph qui fume un cigare en buvant du vin.

– Monsieur Rupertz, de quoi voulait parler votre femme au déjeuner ?

– Oh ! Elle cherche à faire peur à mes invités. Elle veut tout faire pour me nuire ! Alors, elle n'arrête pas de médire sur ma famille, qui, il est vrai, est atypique ! Le fils de mon frère, Arthur gère une boîte de nuit. Ma tante a longtemps tenu une maison de plaisir. Mais il n'y a pas d'histoire sordide ! Elle veut vous faire peur ! Allez venez, allons parler roman !

Nous partons vers son bureau. Ralph me parle de son projet en me montrant un tas de papiers. Pendant ce temps, loin du regard indiscret de visiteurs tels que moi, madame Rupertz fixe longuement une porte rose. Un prénom y est écrit en lettres fantaisies : MARIA RUPERTZ.

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