«Pourquoi vouloir donner un sens à la vie? La vie n'a pas de sens, c'est un désir.»
Lorsque Charlie Chaplin écrit ces mots en 1974, il est au crépuscule de sa vie, laissant derrière lui, en plus d'une empreinte définitive sur le 7ème art, une impressionnante collection de chefs-d'oeuvre et tout autant d'égéries.
C'est que le pygmalion n'est rien sans ses muses.
Alors entre Charlie Chaplin, le séducteur, et son double Charlot, l'éternel amoureux, quelle place pour la femme dans l'œuvre du maître?
Avec plus de 60 films à son compteur d'auteur-réalisateur, le moins qu'on puisse dire c'est que Chaplin a eu l'occasion de mettre les femmes en scène. Et de quelle manière l'a t-il fait !
De façon surprenante et audacieuse pour l'époque, dès 1914, Chaplin écrit une multitude de visages féminins qui se recoupent pour former un portrait de femme subtil et tout en nuances.
Si la figure maternelle est aimante, douce, éplorée (Le Kid, L'Opinon Publique), la femme en couple est difficile voire inaccessible (Jour de Paye, Charlot et le Masque de Fer). Quant à la jeune fille en fleur, elle est tour à tour fragile (Le Pèlerin, Le Cirque, Les Lumières de la Ville), désirable (Une Idylle aux champs) mais aussi tentatrice et changeante.
Quand la toute jeune Lita Grey interprète, à 12 ans, l'ange malicieux à la fin du Kid, elle préfigure, plus de 30 ans auparavant, la fameuse Lolita de Nabokov.
Et que dire également du personnage de la 'Gamine' dans Les Temps Modernes? Sauvage, impétueuse, libre, Paulette Goddard est une force de la nature, un Gavroche pieds-nus, piquant et sexy en diable.
Bien sûr, toutes ces héroïnes rappellent la propre enfance déchirée de Chaplin, cruellement éloigné de sa mère à l'âge de 7 ans, ses premiers balbutiements amoureux et, par la suite, sa sulfureuse réputation d'homme à femmes. Tout de même, chez Chaplin, la richesse et la diversité du sexe, dit faible, est déjà en soi une avancée scénaristique.
D'un autre point de vue, quel que que soit leur âge et leur statut, dans le cinéma de Chaplin, les femmes ont un point commun terriblement saisissant: elles subissent toutes l'oppression masculine.
Violence physique (Le Cirque), morale (L'Opinion Publique), alcoolisme (Charlot et le Masque de Fer), pression financière (Le Kid, M. Verdoux), la main mise de l'homme sur le monde féminin n'a visiblement pas d'exception pour le metteur en scène.
Mais ce n'est pas tant dans sa peinture du tissu social féminin que Charlie Chaplin a consciemment, ou inconsciemment d'ailleurs, contribué à changer les mentalités. Le 'Tramp', Charlot lui-même est une rupture radicale avec l'image autoritaire et rigide de l'homme de l'époque.
Bien avant les bouleversements de la première guerre mondiale et la révolution des années folles, Charlot danse, rêve, offre des fleurs... Parfois même à des hommes ! (Jour de paye)
En 1918, dans Une vie de chien, il pouponne un labrador. En 1921, dans Le Kid, il s'occupe tendrement d'un enfant, présentant alors au monde entier une figure paternelle avant-gardiste, résolument moderne et propulsant par là-même le personnage du clochard dans la légende.
De manière générale, tout dans sa gestuelle, sa délicatesse, sa sensibilité assumée éloigne Charlot du cliché traditionnel masculin. Jusqu'aux vêtements lâches qu'il porte et qui contrastent avec le fameux complet 3 pièces, à la coupe irréprochable, de ses contemporains.
Alors, oui, plus qu'un féministe, Charlie Chaplin était avant tout un socialiste, un humaniste convaincu, un éternel optimiste. Celui qui s'est élevé contre la production de masse, contre l'industrialisation effrénée, contre la déshumanisation du travail.
Mais il est aussi celui, dont les partis pris, en matière d'émotions, l'ont immédiatement positionné en dehors d'une vision masculine dominante, celui qui a dénoncé les dérives machistes d'une société déjà pervertie par la guerre et la lutte des classes.
À l'image du dernier plan du Dictateur. Face au pouvoir militaire, à la dictature, Paulette Goddard relève la tête et se tourne vers la lumière, nous présentant un visage radieux, le visage de l'espoir.
Vision très juste de Chaplin ! Oui, cette dernière image dans "Le Dictateur" : Paulette Goddard murmurant: "Ecoutez... Ecoutez !" (Listen !)
· Il y a presque 10 ans ·astrov
Merci! Vraiment heureuse que ça vous ait plu.
· Il y a presque 10 ans ·Nicole Bastin