Charmant petit bonhomme.

Christophe Hulé

Charmant petit bonhomme, au veston élimé, le même en toute saison.

Son sourire édenté ne le quitte jamais, de la vieille école, il ôte son chapeau à chaque dame qui passe.

La démarche raide comme un piquet, grand échassier monté sur ressorts.

Il veut parler à tous en bégayant un peu, de la pluie, du beau temps.

A part quelques morveux, le quartier le respecte, il va s'asseoir sur la terrasse du bar en face de l'église, le chapeau sur la table à côté du café, il observe et tout semble l'amuser.

Seuls les quelques rares touristes s'étonnent de ces yeux bleus, presque translucides, qui les fixent sans vergogne. Mais voyant son sourire, ils se disent « Heureux les simples d'esprit ... », ou encore : pauvre homme il n'a pas l'air méchant.

Cheminot retraité, veuf depuis trop longtemps, allongé sur son banc dans son jardin minuscule et en friche, il guette les passants et leur envoie quelque bonjour inlassablement.

Il a connu la dernière guerre, une petite boite en fer près de la télé hors d'âge, qu'il n'allume jamais,contient quelques photos et galons.

Son chien est mort aussi, parfois, par habitude, il tend la main pour le caresser.

Les voisins de partout déposent des paniers, de fruits, de légumes, et parfois quelques petits cadeaux à Noël.

Ils le font sans être vus, car la conversation peut durer des heures, et personne ne voudrait lui faire de la peine en l'écourtant, il ne le comprendrait pas.

Le petit bonhomme est né dans le quartier, à l'époque, il n'y avait que champs à perte de vue, et quelques fermes disséminées.

On allait chercher le lait tous les matins à la ferme, on aidait aux cueillettes et aux foins.

Aucun salaire pour la peine, mais une récompense bien plus grande, tous se retrouvaient du matin juqu'aux veillées, chez les uns, chez les autres.

Son travail était rude, celui des autres aussi, c'était l'époque, on ramassait les pommes avec une charrette  attelée au pauvre canasson qu'on plaignait un peu.

De retour du travail, ou les rares moments de congé, ils courait donner un coup de main.

Charmant petit bonhomme, il en aurait des choses à raconter, mais malgré son sourire, il sait bien que ça n'intéresse plus personne.

La nuit tombée, il reste sur le banc et contemple les étoiles.

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