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L’être humain est à la fois physique, biologique, psychique, culturel, social, historique. C’est cette unité complexe de la nature humaine qui est complètement désintégrée...
A Susie Morgenstern, sa patate et
L'Agenda de l'apprenti écrivain.
A Gil Scott-Héron, mon échelle de Jacob.
Et à ma famille, que j'empoisonne.
Merci pour votre amour.

 

 

L'être humain est à la fois physique, biologique, psychique, culturel, social, historique.
C'est cette unité complexe de la nature humaine qui est complètement désintégrée dans l'enseignement, à travers les disciplines, et il est devenu impossible d'apprendre ce que signifie être humain.
Il faut la restaurer, de façon à ce que chacun, où qu'il soit, prenne connaissance et conscience à la fois de son identité complexe et de son identité commune avec tous les autres humains.
 
Edgar Morin, in Enseigner la condition humaine, Les sept savoirs nécessaires à l'éducation du futur, UNESCO 1999, Seuil



INSTANT 1a/6

 

 

La loi physique de l'élimination

 

 

Samedi 18 novembre 475 ou 3319 / 05h09

 

         C'est au pied de la tour du cinquante-douze de la rue Jean-Baptiste Colbert érigée entre une mosquée noire à minaret triangulaire et une église néo-gothique mormone en cours de rénovation que le corps nu avait atterri de plein fouet sur le bitume la tête la première et les bras parfaitement tendus à angle droit semblable à une pose insensée pour une étude de proportions du corps humain selon Vitruve revisité. C'est pourtant l'image d'une crucifixion qui s'imposait à l'esprit malgré la posture obscène du cadavre au mitan du trottoir. L'identification de la victime serait malaisée.

         Autour de cette scène lugubre le faisceau jaillissant des projecteurs halogènes et des gyrophares des véhicules d'intervention firent immédiatement scintiller l'objet métallique de forme oblongue qui pointait depuis la région rectale de la silhouette difforme ramassée par terre.

         Une demi douzaine d'officiers de la police scientifique et technique revêtus de leur fameux habit de scaphandre aramide grège s'affairaient au montage d'un abri imperméable afin d'abriter la proximité immédiate du point d'impact car les premières gouttes de pluie commencèrent à tomber.

A chaque bout de la rue, dans un intervalle de cent cinquante mètres environ, quelques autres agents en uniforme et en civil délimitaient un périmètre interdit dans la mesure où le moindre indice pouvant être recueilli par les hommes de l'identité judiciaire devait être préservé en vue d'appréhender avec le plus de précision possible le déroulement des évènements intervenus ou reliés à l'homicide.

La pluie redoubla de force, les rares badauds agglutinés derrière les barrières de sécurité pour assister à l'opération de police s'avouèrent vaincus mais certains revinrent bien vite les uns équipés d'une ombrelle les autres d'un trench-coat à la Harpo Marx ou d'un extraordinaire sombrero ramené d'un séjour de vacances à Puebla offert au gagnant du célèbre jeu télévisé « Tout schuss sur le Popocatépetl ».

- Le meilleur collègue qui soit, hasarda l'un des plus jeunes fonctionnaires subalternes affectés au cordon de sécurité.

- Qu'est-ce que tu sors comme bulle encore ? rétorqua justement l'un de ses collègues malheureusement à portée de voix.

- Je voulais dire que la pluie a le mérite de décourager les fouille-merdes, s'expliqua in extremis le bleu de service.

- Tu veux dire que la pluie est notre meilleure alliée ?...

- Oui, elle fait fuir…

Venue de nulle part, une rumeur sourde émergea ostensiblement de la crépitation de l'averse orageuse contre le sol détrempé et la toile plastifiée de l'abri finalement déplié au-dessus du macchabé, ce borborygme tellurien emplissait l'atmosphère d'une mysticité étrange.

Une mélopée funèbre émanait de cette horde farouche de pauvres diables enveloppés dans des ombres mouvantes dont les capuchons dissimulaient des visages austères. La cohorte improvisait une procession constituée d'une foule apparemment hostile qui s'agglutinait derrière les barrières de sécurité.

La main sur la crosse de son revolver, prêt à dégainer, la jeune recrue recula de quelques pas avec l'intention de rejoindre le véhicule de patrouille stationné le long du trottoir.

- Qu'est-ce que tu comptes faire là ? demanda son collègue.

- Me poster derrière le véhicule de service et faire un carton.

- Tu pourrais tout aussi bien l'utiliser comme voiture bélier et foncer dans le tas !

- Excellent ! Et en plus, je ne risquerais pas d'être à court de munitions.

Sous la tente d'intervention, l'effervescence autour du cadavre prit une autre tournure. Les éclairs des flashs perdirent en intensité, le furetage concentrique des experts médico-légaux avait abouti inexorablement à resserrer leur espace d'investigation sur le tube métallique jaillissant d'entre les fesses du mort. Le ruminement ambiant du chant d'incantation resta en suspens.

 

(Suite au prochain épisode)

  • Vivement la suite !
    Je dois vous dire que j'apprécie les textes courts ! Certains sont trop longs et peuvent décourager le lecteur. Et puis, il y a ainsi plus de suspense !

    · Il y a environ 8 ans ·
    Louve blanche

    Louve

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