CHEERS

isk

©ISK Illustration Pierre Farel

Je ne lève pas mon verre
Je bois
À la santé du con qui paye
Comme on disait quand on savait encore rire
Je bois aux gares désertes aux patrons de troquets
Qui vous claquent la porte battante au visage
Parce que c'est soir de fête
À ces trains que je pris à ceux que je manquai
Que je ne prendrai plus
Je bois aux plaines du Serengeti
Que je ne verrai pas
Aux lions d'Amboseli qui me feront la gueule jusqu'à la fin des temps
Sur le papier glacé
Sur mon toit sous la lune imbécile
Je bois
Et leur répète de loin pardonnez-moi
D'avoir tellement aimé l'asphalte et les lumières
Si j'avais su
Je bois à mes dernières fois
Les compte sur mes doigts
Au soir où trop pesante elle m'a posée par terre
Pour ne plus jamais me reprendre
J'aurais dû me douter
À nos mille dernières fois mon roi
Qui m'ont guérie de toutes les fins
À ma rouquine de porcelaine qui sentait le Ceylan
Perdue et retrouvée
Reperdue
On recolle pas la porcelaine
Je bois à mes chagrins tout neufs
Aux abîmes inédits que je n'espérais plus
Et à ceux à venir
À mes plus jamais avinés
Déclamant sur mon toit poète réjouis-toi !
Tu vas saigner encore !
Le vieux ricanement qui coince un peu rouillé
Trébuchant sur les tuiles
En crachant les papillons morts
Je bois à l'amertume
Qui est le Pompéi de la mémoire
Quand la colère qui meurt toujours un peu trop vite
N'aura pas tout brûlé
Vésuve de carton-pâte ô Pompéi de foire – mes pauvres colères fatiguées
Vos visages de cendre
Et cette envie de rire
De la cendre du mien dans la vitre
Avec mon reflet cafardeux et la lune qui se marre
Narcisse miteux je bois
À ma tignasse sacrifiée
Qui me cachait si bien
Va te cacher dans un carré d'institutrice toi
Avec tes cernes noirs
Et cet air ahuri de la gourde qui a cru
Qu'elle ne voudrait plus se cacher
Plus jamais
Et qu'elle saurait toujours pleurer
Je bois à ma sobriété
Ma pauvre chérie
J'ai fait ce que j'ai pu
Mais que veux-tu
Trop de toits pour danser ivre quand personne ne nous voit
Trop de lune trop de gares
Trop de dernières fois
Alors je ne lève pas mon verre tu vois
Je ricane perchée sur mon toit
Et je bois

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