Cher Michel Sardou
sophie-dulac
Cher Michel Sardou
Je ne vous aimais pas.
A l'évocation passée de vos chansons, je rétorquais sur votre réputation de vieux phallocrate patriotard doublé d'une tendance au populisme pur et dur, je l'avoue maintenant je bannissais automatiquement toutes vos chansons.
J'étais de ceux qui vous snobent, intellectuelle discrètement à gauche, je me revendiquais branchée sur le monde. John Baez, Rickie Lee Jones ou Bob Dylan tournaient en boucle sur mon walkman et J'arborais, péteuse juvénile un discours vaguement néo baba cool, des histoires de maison bleue adossée à la colline.
En vieillissant, la vie active puis les enfants ont été le fondement d'un vrai groupe d'amis unis loin des vieux clivages idéologiques. Votre chanson, Les Lacs du Connemara en est l'hymne et, en ce qui me concerne, l'exception à la prohibition de vos refrains.
A chacune de nos virées, c'est toujours le même rituel. La chanson résonne, clamée monstrueusement déformée. Bras dessus, bras dessous, nos gambettes se lèvent en rythme et on se promet toujours de partir festoyer ensemble un jour autour de la fameuse gouille.
Il faut bien reconnaître que sur la mappemonde, au moment de faire le choix de nos villégiatures communes, l'Irlande est supplantée par des destinations plus exotiques et la Guiness et la Georges Killian's sont détrônées par le Ti punch ou le rosé corse.
Quand j'en fis la remarque à la Saint Sylvestre, réclamant une année 2015 plus celtique qu'antillaise ou bonifacienne, on me rétorqua, l'alcool aidant, que Dublin serait à mes pieds après l'exposé dument argumenté des griefs que j'ai en votre encontre.
On aurait pu trouver plus sympathique comme résolution de nouvelle année d'être obliger de se plonger dans la discographie d'un vieux chanteur ringard et je vous avoue, qu'au premier janvier, je regrettai les agapes de la veille.
Je diluai une aspirine devant le banc d'abdominaux, stigmate de la liste 2014 en pensant qu'en définitive pour que mes résolutions tiennent, il ne fallait pas que j'en prenne.
Contre toute attente, c'est une de mes filles, la benjamine, qui m'aida à m'affranchir.
Elle était revenue d'une séance de cinéma avec ses copines et avait vu la comédie du moment, le « feel good movie » de l'année, « La Famille Bélier ». Peut être par snobisme et à tort, je me méfiais des gros succès du box office. Pour la plupart d ‘entre eux, ma progéniture se chargeait de la diffusion et souvent du battage associé directement à domicile, le matraquage et ses aléas.
Avec le Seigneur des Anneaux et sa suite, merci à l'imagination débordante de Tolkien, Je me remettais tout juste de la chasse aux orques, aux trolls et aux nazgûl, des trajets jusqu'au club de tir à l'arc, une quinzaine de kilomètres aller-retour deux fois par semaine parce qu'Aragon et les elfes sont tellement beaux et bons !
Que me réserverait la gentille et bienveillante famille Bélier ? Une inscription à des cours de langues des signes, une orientation vers les métiers de l'agriculture, un casting à The Voice ?
Que nenni !
La demoiselle se chargea simplement de copier quelques chansons du film et comme vous savez que mieux que moi maintenant que « Michel Sardou est à la variété française ce que Mozart est à la musique classique », la douce élargit ses recherches et copia la majorités de vos gros succès sur une clef USB adaptable sur tout ce qui pouvait diffuser de la musique y compris l'habitacle de mon véhicule, les malheurs des nouvelles technologies.
Le matraquage sera sonore et retentissant.
Contrairement à son frère qui garde farouchement son casque audio visé à ses oreilles, et dire qu'à sa naissance, nous avions fait une fixation sur leur forme en feuilles de chou, ma fille aime partager voire imposer ses choix musicaux.
Oh Surprise. Je n'avais jamais acheté un seul de vos disques et pourtant je connaissais les paroles de la plupart des refrains et je dois bien l'admettre à mon « cœur » défendant la diffusion de vos mélodies a fait ressurgir des souvenirs peuplés d'émotion, l'image d'une robe bleue de demoiselle d'honneur au mariage d'une grande cousine à la campagne, des tréteaux sous des pommiers qui fredonnent la Maladie d'Amour, des vacances vers le Bretagne, l'odeur de la voiture neuve de mon père, l'autoradio qui répand les youyou de Musulmanes.
Moi, la plus gourmande parmi les gourmandes, me voilà partie à la recherche du temps perdu avec vos chansons en guise de pâtisserie au beurre ! Vous allez me rétorquer que vous n'êtes pas responsable de mes remontés de souvenirs, ni du coup de la madeleine du père Proust.
Pour ma fille, après deux jours d'écoute intensive, elle s'enflamma pour le nouvel album d'un beau chanteur tatoué plus doué semble t il pour la danse que pour la rhétorique et elle tapissa sa chambre des sourires du carnassier. L'inconstance de la jeunesse !
Revenons à nous cher Michel !
Magnanime, j'admets volontiers que vos tubes sont entrés dans l'inconscient collectif.
D'où venaient donc cette réputation et ce ressentiment ?
Je me penchais donc davantage sur votre carrière et vos débuts avec une évidence : Ce n'est pas un lifting raté ni des injections de Botox intempestives qui vous donne cet air revêche ; vous aviez déjà cette expression bougonne et cet air rétif, la vedette qui fait la gueule parce que chanter c'est un métier et ce n'est pas à la portée du premier venu.
Dés vos premiers succès aussi vous n'avez pas fait dans la dentelle question provocation. Vous commencez avec « les ricains » alors que la France quitte l'OTAN, en oubliant bien évidemment de citer les autres alliés et les réseaux de résistants !
Vous vous faites épingler par le Générale de Gaulle avec une première censure, ça ne rigolait pas à l'époque, et ce n'est qu'un préambule à la cascade des polémiques qui suivra !
Les féministes qui commencent à vous houspiller vous taxant de sexiste. L'opprobre viendrait des paroles des « les vieux mariés » et « les villes de solitude » où vous chantez « avoir envie de violer des femmes et les forcer à vous admirer ».
Puis courant des années 1970, c'est l'émeute « anti Sardou » !
En cause principalement deux chansons « le temps des colonies » et « je suis pour » où vous semblez faire l'apologie du colonialisme et de la peine de mort.
S'ensuivent des manifestations hystériques lors de vos tournées. Vous êtes brocardé par la presse de gauche qui va même à titrer « cet homme est dangereux », vous échappez à deux attentats.
Il faut être sacrément crétin vous en conviendrez pour intenter à la vie d'autrui pour des chansons alors qu'on se revendique contre la peine de mort !
Enfin bref , bouc émissaire de la pensée de droite, vous gagnez alors une grosse réputation de réac même si quelques intellectuels de gauche vous soutiennent à l'époque, d'Yves Montant à Serge Reggiani sous couvert de la liberté d'expression.
On peut dire que vous ne vous êtes jamais gêné pour vous exprimer quel que soit le sujet, votre carrière est jalonnée de vos prises de position et coups de gueule :
- Le Curé où vous plaidez contre le mariage des prêtres
- J'accuse, sous entendu les hommes, où vous vous prenez pour Emile Zola
- Le France pour le démantèlement du navire où vous vous attirez la sympathie de la CGT, vous mangez à tous les râteliers
- Vladimir Ilitch où vous dénoncez le régime communiste de l'URSS, retour à vos fondamentaux.
- Les deux écoles où vous opposez école laïque et école libre à l'époque du projet de loi Savary.
- Le Bac G où vous fustigez les lycées poubelles.
- Selon que vous serez, etc, etc, où vous tapez cette fois sur la justice
- Mon dernier rêve sera pour toi où vous évoquez la pression du fisc
- Allons danser où vous courtisez Nicolas Sarkozy lui même.
Bien évidemment vous abordez aussi des sujets moins clivants, les voyages (les lac du Connemara, Afrique adieu, la java de Broadway, chanteur de jazz) et surtout les femmes.
Car si vous ne vous êtes pas fait que des copains dans un registre plus engagé, on sent bien qu'avec la gente féminine, il y a dû y avoir défilé de copines.
On notera immanquablement dans le thème « Etre une femme » et « Marie Jeanne» dans le registre de l'ironie avec quand même un soupçon de sexisme, « Musulmanes », gros succès publique et critique certainement plus consensuel et puis des chansons d'amour.
Sur ce registre, il faut dire que vous faites fort. Vous commencez dés les années 70 par « Mourir de plaisir » puis vint l'énorme tube « la maladie d'amour » dont le refrain, toxine obsédante, reste trois plombes en tête et enfin, bien sûr la très sensuelle presque érotique « je vais t'aimer », à damner une carmélite !
Je les imagine très bien mes amis, cher Mimi, leur petit sourire en coin me taxant de fleur bleue. Certainement votre voix dans ce registre ne me laisse pas impassible, on ne se refait pas …
Je l'avoue j'ai quelque peu aussi changé de position en ce qui vous concerne.
Vous clamez que vous n'êtes pas l'homme de vos chansons, je vous rétorque que vous êtes assurément très bon comédien ! Mais qu'importe !
Vous êtes râleur, bourru et surtout libre ! Dans ce métier où tout n'est qu'apparence, mise en scène et faux-semblants, vous ne trichez pas, vous êtes vrai, irrespectueux, instinctif et parfois cynique, mais toujours rebelle et insoumis et ça même après cinquante ans de carrière !
Voilà, il n'y que les imbéciles qui ne changent pas d'avis dit l'adage, alors je l'avoue, veste retournée, doublure suédine, coutures et étiquettes apparentes, cher Michel Sardou, vous êtes un grand de la chanson française.
Assez de fausse pudeur, je ne vais pas attendre que Michel Drucker, la goutte au nez, fasse votre nécrologie, pour faire mon coming out !
Je souhaite, Cher Michel, cela va de soi, que ce grand moment de télévision française arrive le plus tard possible !
En ce qui concerne, une certaine promesse faite un certain soir de beuverie ; les amis, j'ai pris la liberté d'effectuer quelques réservations dans le comté de Galway dans de pittoresques Bed and Breakfast.
Les filles je vous conseille de troquer votre bikini Wonderbra contre un Kway, ils font quelques modèles cintrés très fashionables cette année. Oubliez votre crème « Monoï soleil actif » et munissez vous d'une petite laine. On se trempera peut être les pieds !
Avec moi tous en chœur
« Terre brûlée au vent
Des landes de pierre,
Autour des lacs,
C'est pour les vivants
Un peu d'enfer,
Le Connemara » …
Merde alors, en vieillissant je vais donc aimer Mireille Mathieu, Didier Barbelivien? Je vais moi aussi m'émouvoir aux chansons de Sardou, l'hétéro-colonialiste qui est pour la peine de mort et pour le droit de viol machiste? La vieillesse est vraiment un naufrage, Allez je jette tous mes disques de Léo Ferré...
· Il y a plus de 9 ans ·arthur-roubignolle