Chère Marie ( Partie 1 )

Devenir

Ce jour là, le froid me gelait les mains et le ciel arborait cette teinte bleue/gris des jours de pluie, il devait être 17h et je sortais de la fac... J'empruntais comme à mon habitude le parc, vide à cette période de l'année. Mon regard se portait souvent vers les jeux pour enfant et le bac à sable, et je songeais à cette époque révolue avec une certaine nostalgie. Je n'avais pas pour habitude d'observer les passants, à vrai dire, ça ne m'était même jamais arrivé, et je bousculais souvent avec inattention tous ceux qui se trouvaient sur mon passage.. Mais ce jour là, on avait interpellé mon attention. Assise, le regard dans le vide, une jeune femme d'une vigtaine d'année se laissait portait par les mouvements de vas et viens de la balançoire, aérienne et légère comme une plume, elle rejetait son visage vers l'arrière et se propulsait en avant tout à fait naturellement avec l'ardeur d'une gamine de 10 ans, le sourire aux lèvres. Avec étonnement d'abord, je la contemplais.. Jusqu'ici, je n'avais jamais vu quelqu'un de mon âge agir de la sorte, la majorité d'entre eux étant scotchés sur leur téléphone... Puis, la fascination me gagna.. Sa longue chevelure se frayait un chemin dans les airs et le balayait comme une caresse invisible.. J'avais l'étrange sensation que rien au monde ne pouvait la rendre plus heureuse que ce petit bout de bois et ces deux cordes suspendus à un portique.. Quand avais-je étais aussi heureux qu'elle pour la dernière fois? A cette idée, je soupirais.. J'étais irristiblement attiré par l'inconnue avec l'espoir qu'un petit éclat de son bonheur apparent rejaillierai sur moi comme par enchantement et que je serai à mon tour habité de cette folie enfantine qui m'avait quittée depuis bien longtemps.. Presque inconsciemment je laissais mes pieds se déplacer l'un après l'autre et parcourir le chemin qui me séparait d'elle.. Une fois près d'une des deux barres en fer, je m'immobilisais et la vit à son tour poser ses pieds à terre pour freiner brutalement tout en me fixant d'un drôle d'air.. Un silence gênant s'installa entre nous.. Mais je n'eu pas la force de le briser le premier. Elle m'étudiais sans ménagement, sans discretion, ses deux mains serrant presque férocement les cordes de la balançoire.
- Oui? Demanda-t-elle, attendant mes justifications. Pris de court par cette situation que je n'avais pas envisagé, je fixais mes pieds comme un enfant pris en flagrant délit... Les mains dans les poches et l'air coupable, je cherchais une excuse à ma venue, en vain.. La vérité n'avait pas plus de sens qu'un piètre mensonge. Amusée, elle se leva brusquemment avant de me tendre le petit bout de bois.- Il suffisait de demander à ce que je vous laisse la place, vous aviez l'air d'en mourir d'envie ! Ce n'est pas une honte vous savez, il n'y a pas d'âge pour ça.. Personne ne vous jugera, certainement pas moi. J'eu un petit rire nerveu avant de rétorquer à mon tour : - Oh non, merci.. Ce n'est mon truc.
elle éclata de rire
- Alors c'est quoi votre truc? Mater les filles qui se balancent?
Horriblement gêné par la situation je trouvais la force de répondre :
- Je voulais simplement voir le bonheur de plus prés, ça fait longtemps que je ne l'ai pas cotoyé, il se fait rare ces derniers temps.
Elle s'adoucit alors, me scrutant comme elle l'avait fait quelques minutes plus tôt, le visage penché sur le coté comme si elle tentait de déchiffrer un énigme, puis, sans poser plus de questions elle tendit sa main avec l'air solennel qu'aurait pris un directeur lors d'un entretient d'embauche.
- Je m'appelle Marie.
Je saisi sa main, exerçant une douce pression sur cette dernière.
- Julien.

Assit sur ce banc, je l'écoutais parler de sa foi, de l'amour infini qu'elle éprouvait pour le seigneur, et des nombreux rituels auxquels elle s'adonnait chaque jour. Elle me parlait de l'importance qu'avait pour elle le fait d'être quelqu'un de bien aux yeux du tout puissant, ajoutant qu'il fallait commettre le moins de pêché possible. Dérouté, je l'écoutais sans vraiment l'entendre. J'avais toujours été bien trop cartésien pour être croyant et cette idée me paraissait folle.. Remettre sa vie entre les mains d'une chose, dont on ne savait même pas si elle existait me semblait absurde.. Je hochais la tête sans grande conviction pensant que cela devait être trop importantpour elle pour que je puisse y poser une quelquonque objection, elle ne me laissait pas le choix, si je devais pénétrer dans son monde, je me devais d'accepter Dieu. Après cela, elle me posa de nombreuses questions sur mon enfance, sur ma vie, sur qui j'étais, et je parlais à mon tour, sans retenue.. Encore et encore, comme j'aurais pu le faire chez un psy, je me mettais à nue, décortiquait chacun de mes sentiments.. Chacun des évènements, je faisais ma propre introspection face à elle, et elle, dans un silence absolu emplit de respect, m'écoutait et m'incitait à me devoiler toujours plus.. Je n'avais pas pour habitude de parler de moi, j'étais même de nature pudique.. Mais une force dont je ne savais rien me déshabillais de chacune de mes inhibitions..
Le mercredi suivant nous avions décidés de nous revoir.. Et comme la fois dernière, l'échange avait été passionnant, pertinent. Nous exposions chacun nos idées sur divers sujets allant de la politique à la philosophie, des sciences naturelles à la littérature, de la psychologie à nos gouts en matière de musique.. Elle trouvait malgré elle, toujours les mots justes et exprimait toujours les ses idées avec clarté et lucidité.. Elle m'impressionnait et me captivait de par sa vision du monde tranchée et bien à elle. A son âge, elle ne doutait pas, de rien, ni de ce qu'elle voulait ni qui elle était.. Elle savait, comme si elle avait toujours su.. J'avais été admiratif, moi qui n'avait jamais été sûr, de rien.. Qui avait toujours porté mes doutes à bout de bras espérant un jour réussir à faire le tri... Les heures passèrent, et après 4 longues heures à parler, elle décida de s'en aller, 1h du matin.. Je n'en revenais toujours pas. Perdu dans mes pensées je ne l'entendis pas dire au revoir et la vit s'éloigner avec un petit signe de la main avant de disparaitre dans l'obscurité de la nuit.
Les jours se suivirent et chaque jour après la fac, je retrouvais Marie pour discuter. J'avais remarqué malgré moi, qu'hormis son amour pour Dieu, j'ignorais tout d'elle, jusqu'à son âge, et lorsque je lui rappelais, elle souriait et orientais la conversation sur moi, alors sans broncher, je me livrais.. Encore et encore, et elle m'écoutait avec la plus grande des attentions. Avec elle, j'avais l'impression d'être important, j'avais l'impression que mon avis comptait, que mes sentiments comptaient, j'avais l'impression d'exister, d'être quelqu'un à prendre en considération. Parfois, elle me sermonnait sur mes comportements, ou sur ceux que j'avais eu, me rappelant l'omniprésence de Dieu, et cela m'amusait. Après des heures qui me paraissaient toujours trop courtes, elle me quittait sans dire mot et m'adressais un signe de la main. Nos rendez vous étaient systématiquement sur ce banc, à 17h.. Je me suis souvenu ce jour là que nous n'avions fixés aucune règle, je la retrouvais simplement toujours assise à cette heure-ci.. Et nous nous mettions à discuter le plus naturellement du monde.
Un soir, en rentrant de la fac.. Mon coeur s'emballait à l'idée de la retrouver car l'idée s'insinuait en moi toute la journée jusqu'à cette heure précise de soulagement.. Mais à ma grande déception, il n'eu personne cette fois-ci. Le banc glacé était vide.. Comme si tout ce que j'avais vécu avec elle n'avait été qu'un songe.. Comme si elle s'était volatilisée brusquement... Avec espoir je jetais un coup d'oeil en direction de la balançoire.. Mais rien.. Aucun signe de Marie, aucune preuve qu'elle avait réellement existé.
Malheureux, je reparti chez moi en trainant les pieds.
Une semaine passa sans aucun signe d'elle, j'attendais parfois de longues minutes sur le banc, espérant qu'elle se pointerai, s'excuserai, et que nous reprendrions les choses là où elle s'était arrêtées.. Mais rien ne se produisit, 7 jours, 7 interminables jours vides de sens, vides d'elle.. Je ne savais rien à son sujet, mais elle me manquait, elle avait laissé derrière elle un vide presque surréaliste.. Je n'arrivais pas à oublier et je pensais constamment à elle.
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