Christine Boutin VS Jeanne D’Arc : pas le même genre

Manue Shao

La nuit était tombée depuis plusieurs heures sur le petit village des Yvelines. Christine, 70 ans, était installée à son bureau, les yeux rivés sur l’écran de son ordinateur.

« Je vais me coucher. Tu as encore beaucoup de travail ? » Christine grommela un oui éreinté, sans même se retourner vers son mari. Elle avait promis à son attachée de presse de répondre à cette interview « légère » avant le lendemain. C'était soi-disant pour augmenter son capital sympathie.

Passées les premières questions futiles, Christine poursuivit sans trop de convictions. Question 7 : A quel personnage historique vous identifiez-vous le plus ? Voilà un peu plus intéressant : « Jeanne d'Arc, pour sa dévotion patriotico-religieuse et pour son combat pour la France ».

 

« Hum. Pardon, excusez-moi… ». Affolée, Christine fit volte-face, manquant de tomber de sa chaise. Une silhouette flottait là, entre le guéridon et la banquette. « Oui, euh pardon de vous avoir effrayée. Enchantée, Jeanne », fit-elle en lui tendant énergiquement la main. Christine, inquiète, ne moufta pas.       « Alors comme ça, vous vous identifiez à moi ? C'est que je fais partie depuis peu d'un nouveau crew qu'on a créé avec Roland, François, les Henri et quelques Louis », continua Jeanne. « On essaye tant bien que mal de défendre l'Histoire de France et ses valeurs… 

-       Tout comme moi, la coupa Mme Boutin, incrédule. Je suis politicienne, et c'est aussi ce que je défends : l'Histoire et la civilisation française, poursuivit-elle.

-       Ah oui ? C'est dingue ça. Pardonnez-moi, mais je vous confondais avec la dame qui s'égosille à la télé depuis plusieurs mois à propos de cette bête question des genres.

-       …

-       Non mais parce que, excusez-moi hein, mais elle est un peu flinguée l'aut' dame. Dites-vous, que si elle avait vécu au XVe siècle, elle aurait voté ma mort, tout ça parce que j'avais de l'avance sur mon temps, et que j'ai osé la coupe garçonne…

-       Ça n'a rien à voir avec ce qu'il se passe en ce moment. A l'époque, vous étiez obligée d'en passer par là, ne serait-ce que pour prendre part à la guerre. Aujourd'hui, ils veulent inséminer des idées ragoûtantes dans l'esprit de nos enfants !

-       Oui enfin, prendre part à la guerre, c'est un peu exagéré. J'ai enfilé ces fringues parce que c'est hyper chiant de monter à cheval avec une jupe ou un corset et que, pour le coup, je faisais beaucoup de cheval…

-       C'était une autre époque de toute façon, acquiesce maladroitement Christine. Et c'est bien plus qu'une question de vêtements. Il est question ici de déviances, de sexualité, et de dérèglement de l'ordre du monde. Vous, votre engagement était pur, pieux et patriote.

-       Haha, j'avais raison. C'est vous l'excitée de la télé. Mais vous vous méprenez un peu sur l'Histoire. La vérité, c'est que j'étais amoureuse d'une fille de mon village. Elle aussi m'aimait, sauf qu'aux yeux de tous, notre amour était impur. Je lui ai dit : ne t'en fais pas, je vais me faire Sainte pour que tu puisses m'aimer pieusement et ce n'est qu'après qu'il y'a eu toute cette histoire avec les Anglais. Bon je vous laisse. Et c'est vous qui voyiez hein, mais si j'étais vous, je changerais d'avatar historique.

-       …

 Du bout des doigts, Christine effaça sa réponse et recommença : « Marie-Antoinette, pour son côté famille avant tout »

« Hum. Pardon, excusez-moi… »

 

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