CHRONIQUES FEMINISTES (I)

Victor,

J'ai une question qui va peut-être vous paraître bizarre mais avez-vous déjà rencontré des féministes (hommes ou femmes) "jeunes" ? Non car si je demande ça c'est parce que sur toutes les pages de groupes ou de personnes individuelles féministes que j'ai pu voir depuis deux ans, il n'y avait que des personnes d'un certain âge (enfin largement adultes quoi, pas forcément "vieux"). J'ai vraiment l'impression que les féministes "jeunes" (on va dire moins de 25 ans) n'existent pas. 
Je me sens vraiment à part du coup XD enfin ça c'est pas le problème, c'est juste que j'ai l'impression que les jeunes sont vraiment plus cons que les plus vieux, tandis que nous sommes censés être au contraire une génération plus "ouverte", dû à l'évolution des mentalités etc... mais non.

J'ai même l'impression que les jeunes sont pires !!
Expliquez-vous ce phénomène que je constate ? Ou alors je suis bigleuse, je sais pas. La moyenne d'âge des féministes, j'ai l'impression que c'est entre 40 et 50 ans ! Les gens doivent-ils vivre si longtemps pour accepter d'ouvrir les yeux ??

Juliet,

J'ai largement eu le temps de me faire cette réflexion qui me déprime dans le même constat que toi. Heureusement pour moi, j'évolue dans un milieu de survivantes et survivants comme moi où la nature masculine est évidemment rapidement découverte. J'ai même plusieurs fois été pris à partie par certaines victimes de viols, jeunes, pour le simple fait d'être un individu masculin...

Maintenant, je te dirai ou te répéterai que, féministe depuis l'âge de 17 ans (par intuition surtout, après mon vécu personnel), il m'a malgré tout fallu “plusieurs siècles” pour prendre la vraie et terrorifique mesure du machisme patriarcal. J'imagine que les femmes sauves du viol ne le réalisent franchement qu’à partir de l'âge de la vie active professionnelle et que les mecs qui s'en soucient, le découvrent hallucinés, seulement à partir de l'âge de 40 ans.

Heureusement encore, la médiatisation intense actuelle ne va pas faire réagir que les masculinistes qui perçoivent le danger pour eux... Beaucoup d'hommes de tous pays et de toutes religions sont assez intelligents pour le percevoir et, notamment, de nombreux Musulmans.

 Victor,

Mais pourquoi les "mecs qui s'en soucient", justement, ne le découvriraient qu'à partir d'environ 40 ans ? Justement, s'ils s'en soucient, ils devraient le savoir plus tôt, ce n'est pas comme si le machisme était quelque chose de si caché que ça...  Pour moi c'est juste évident, et je pense que ce doit l'être …même pour un homme. Car un homme ne subit pas le machisme, certes, mais il le fait ou bien, s'il ne le fait pas parce qu'il est respectueux des femmes, alors il est bien obligé de voir les comportements des autres hommes envers les femmes et de se rendre compte qu'il y a un problème !!!!

Martin Dufresne m'a dit qu'il y avait beaucoup plus de "jeunes" féministes dans les manifs, justement, que ailleurs. Cela je n'en sais rien à vrai dire. Quand vous dites avoir été pris à partie par certaines victimes de viols, jeunes, c'étaient des femmes, non ?

Vous dites que les femmes "sauves" se rendent compte du machisme quand elles entrent dans la vie professionnelle, ce qui expliquerait le manque de féministes jeunes. Moi je dis que les femmes, enfin les filles plutôt, bien avant de rentrer dans le milieu professionnel, ont maintes et maintes occasions, malheureusement, de se rendre compte du machisme. Je ne pense pas qu'il faille attendre d’entrer dans la vie professionnelle pour cela. Car, s'il y a peu de féministes jeunes, en revanche malheureusement, il y a beaucoup de machos jeunes. Et c'est de pire en pire, même. Dans les écoles primaires, ce n'est pas rare du tout de voir les petits garçons parler des filles de leur âge comme de putes. Ils sont très "précoces", si je puis dire, et, de plus en plus tôt, les filles sont des objets sexuels aux yeux des garçons de plus en plus jeunes. Mon père m'a raconté beaucoup d'anecdotes à ce sujet-là, c'est très flippant ! Quand on voit les gamins comment ils sont à 9 ans, on se dit que, à l'âge de 16 ans, ils auront déjà violé quelqu'un !

Même les filles/femmes ayant été plus ou moins gravement victimes de machisme ne sont pas forcément féministes, voire même sont elles-mêmes machistes ! Il n'est pas nécessaire d'avoir vécu soi-même des choses atroces pour se rendre compte du machisme : il suffit de regarder autour de soi, AVEC DE LA BONNE FOI, bien sûr !!!! Evidemment si l'on s'efforce de se cacher les choses, de se donner des raisons fausses, ça empêche toute objectivité...

Donc, que ce soit pour les filles ou les garçons, la reconnaissance du machisme n'est qu'une question de bonne foi. Pas besoin d'être super intelligent-e pour s'en rendre compte !!! Les garçons s'aveuglent parce qu'ils voient dans le machisme un privilège pour eux et ils ne veulent y mettre fin et je pense que les filles s'aveuglent par terreur et, parce que certaines croient, à tort bien sûr, qu’être elles-mêmes machos les sécurise. Comme je l'ai déjà dit, elles se rangent du "côté des forts", pour avoir le sentiment d'être protégées...  Car se défendre face aux machos, c'est risquer d'être attaquée... Voilà pourquoi elles se rangent du côté des machos. C'est pas forcément conscient, parfois ça l'est cependant je pense. Faut dire, c'était presque mon cas y'a pas si longtemps... Sauf que j'en avais 100% conscience !!! Je préférais les hommes aux femmes, je les considérais supérieurs et je pensais que les femmes devaient se sacrifier pour les hommes... Malgré tout, même à cette époque-là, je trouvais inacceptable qu'un homme maltraite une femme de quelque façon que ce soit ! Les femmes devaient tout faire pour les hommes, oui mais de leur plein gré, sans y être forcées par la violence ! Disons que ça devait être une contrepartie : les femmes s'occupent des hommes, les chérissent, se sacrifient pour eux etc. mais, en échange, les hommes les respectent ! Maintenant, je n'accepte plus cette notion de sacrifice car le sacrifice nuit à la personne qui le commet.

Donc, je pense que les hommes comme les femmes mettent juste trop de temps à accepter d'être de "bonne foi", plutôt qu'ils ne mettent du temps à voir les choses telles qu'elles sont... Les choses telles qu'elles sont, tout le monde peut les voir, il suffit de les regarder... Mais le temps à l'accepter est beaucoup plus long... Parfois ça ne vient jamais. Voilà.

Juliet,

“Putes” :

De tout âge, la grande majorité de mes camarades, condisciples, collègues, se sont très souvent référés aux femmes comme des putes (bonnes à baiser, chaudes, sans coeur, vierges effarouchées, mijaurées, elles-ne-demandent-que-ça, elles- cherchent-le-pognon, toutes-des-salopes..., pourquoi-tu-le-fais-avec-lui-et-pas-avec-moi, tu la baises, elle n'est bonne qu'à baiser, c'est de la viande,…)

C'est dire l'incroyable, l'abismale horreur de la pensée masculine. Bon, tous ne sont pas comme ça mais tous ont entendu ces mots et ces phrases des centaines de fois (justifiées par les instructeurs militaires, les curés tordus, etc.) et il doit toujours en rester quelque chose chose (voir les chansons de Jacques Brel notamment mais aussi d'autres chanteurs de l'époque). Nous sommes dans une culture du viol et des “femmes salopes”. Quel mec n'est pas allé "aux putes" ?

Victor,

Je pense que beaucoup mesurent largement la mesure de leurs crimes et c'est bien parce qu'ils en savent l'ampleur et les conséquences qu'ils les commettent : ils savent que, en commettant ces crimes, ils domineront par la force et la terreur.

Et, oui justement, il me semble que c'est en Amérique que j'avais lu qu’un peu plus de 70% des hommes étaient déjà allés "aux putes". Pour moi c'est impardonnable. Ils peuvent bien se racheter après, ils n'y réussiront jamais. Toutes les bonnes actions du monde pour moi n'effacent pas un crime et, aller aux putes, c'en est un de crime. D'ailleurs, j'ai un jour découvert sur FB une page intitulée "AUX PUTES !!!! HAHAHAHAHAHA !!" mais je n'ai pas eu le courage d'aller voir cette page, rien que de voir le titre m'a suffi. Le seul fait que pour les mecs, même les "vierges effarouchées" soient des putes est la preuve qu'ils prennent juste leur désir pour la réalité (leur désir = que les femmes soient leurs putes) car, par définition, une pute ne peut pas être vierge. Quand ils traitent une femme de pute, c'est pas parce que cette femme a forcément couché avec beaucoup de mecs : c'est parce que cette femme les attire et que, dans la tête d'un macho, une femme qui attise le désir d'un homme DOIT aussi SATISFAIRE ce désir; le contraire pour eux est impensable, ça leur serait bien trop frustrant (pas sexuellement mais mentalement, dans leur fierté mégalomane) de ne pas voir leurs fantasmes assouvis par une femme. Ou bien, c'est une pute juste parce que c'est une femme, même s'ils ne la trouvent pas attirante, car toute femme doit satisfaire les hommes. Ils pensent que les femmes ne vivent que pour ça, pour satisfaire les hommes, et que donc, même les "vierges" sont des putes car elles n'attendent que ça : baiser avec des mecs (enfin, se faire baiser par eux, plutôt) car elles ne vivent que pour ça à leurs yeux, elles n'ont pas d'autres raisons d'être ! Et quelque part, c'est vrai, pendant bien longtemps et même encore maintenant dans nombre de pays, les femmes vivent non pas pour elles mais pour les hommes, à travers eux, à travers leurs regards, et voilà pourquoi certaines femmes ne pensent qu'à plaire physiquement aux hommes car être "bonnes", c'est tout ce que les hommes demandent aux femmes, rien d'autre, et si elles ne le sont pas, ils ne s'y intéressent pas. Voilà pourquoi les femmes ont si facilement mauvaise opinion d'elles-mêmes et se discréditent sans même le savoir en faisant tout pour attirer l'attention des mecs par leur physique. Enfin bref, je me tais sinon je vais parler pendant cent ans.

Juliet,

Je pense que nous ne sommes pas seulement dans la culture du viol et des "femmes salopes", je vois que nous sommes à la fois dans la culture du machisme, somme de confort proche de l'esclavage féminin ou - comme une nationalité d’"êtres humains de seconde classe" = domestiques, et de privilège d'accès masculin aux activités, postes et titres intéressants. Le problème est que cette culture était / est véhiculée par les structures et systèmes de pensées patriarcaux, à travers leurs sturctures masculinistes et via les femmes consciemment ou inconsciemment victimes de ce système : traditions, religions, rites, cultures. Donc, sans doute, beaucoup de mecs sont conscients de cela très tôt et d'autres moins. Beaucoup de confusion règne et on reproduit des modèles relativement inconsciemment, notamment parce que c'est cautionné par papa ...et par maman ! Après, l'apprentissage du pouvoir sur les plus faibles arrive rapidos. Dans certaines familles, néanmoins, on enseigne le respect dû aux femmes, j'imagine que dans ces familles règne le respect et l'amour. Dans celles qui connaissent la destruction, la manipulation et le mépris s'installent en quatrième vitesse.

Pour ce qui me concerne, j'ai toujours senti le besoin de participer à la transformation de la société et à l'installation d'une culture égalitaire (à 18 ans, j'étais communiste). Néanmoins, je n'ai commencé à découvrir qu'à partir de 27 ans (un an après mon mariage), les réflexes machistes que j'avais intégrés dans cette culture où j'avais baigné.  ...Et ce n'est qu'après la découverte brutale du concept de viol à 48 ans (découvrant l'exacte définition des agressions sexuelles que j'avais subies dès la petite enfance), que j'ai découvert le crime du machisme. Et, dès lors, j'ai démonté mentalement toutes les infinies réductions du statut fait aux femmes (publicités, littérature, films, revues et magazines). J'en ai été suffoqué et scandalisé. Durant quelques années, j'ai alors perdu pied, contenance et usage de la parole : un voile tombait lentement de mes yeux et j'étais enfin capable de voir, à travers le rideau de fumée d'une éducation essentiellement machiste et prétendûment idéaliste à la Malraux ou à la St-Exupéry et consorts, ce que représentent effectivement les sociétés humaines, la "résignation" face à la prostitution, face aux féminicides, face aux viols tus, face au trafic d'êtres humains, face à la discrimination et au sexisme.

Dès lors, j'ai commencé à aborder franchement ces sujets dans tous les cercles où j'étais reçu et j'ai constaté la résistance sociale à ce genre de conversation, comprenant par la même occasion "le silence des femmes". Depuis plus de 15 ans maintenant, je m'applique à plusieurs heures quotidiennes de lectures sur ces sujets, principalement de la plume de féministes du 2° et du 3° mouvement. Notre rencontre virtuelle à toi et moi continue d'alimenter ma réflexion et aiguille aussi mes recherches. Je comprends maintenant à 63 ans, l'importance de ces enjeux pour une société de liberté et de progrès, pour une révolution radicale immédiatement nécessaire tout autour du globe visant à erradiquer ces systèmes pourris, vicieux et que je taxerai de crimes contre l'Humanité.

A te lire.

Victor,

Oui mais la culture du machisme "somme de confort proche de l'esclavage féminin ou comme une nationalité d’"être humain de seconde classe" = domestiques", comme vous dites, induit inévitablement la culture du viol.

Domestiquer les femmes, c'est aussi sur le plan sexuel. Les abuser et les avilir sexuellement parlant est le "meilleur" moyen (le plus cruel, traumatisant et donc efficace) de réduire les femmes en esclavage. Sans machisme, pas de viol.

Mais l'inverse n'est pas forcément vrai : il peut y avoir du machisme sans viol, en revanche, il ne peut y avoir de viol sans machisme.

Juliet,

Je pourrais réciter toutes les paroles et situations de misogynie et de mépris des femmes que j'ai eu l'occasion d'ouïr dans les écoles, dans les quartiers militaires, à l'université, non seulement de la bouche de "camarades" mais tout autant de la bouche d'instructeurs ou de professeurs ...laïcs ou religieux, ou d'éducateurs ou de parents de sexe masculin !! Rien que des mecs s'encourageant dans leur machisme immonde. Je suppose que les adultes qui se rendaient responsables de tels propos voulaient autoriser les ados à entrer dans une culture du viol, telle que je l'ai découverte abasourdi, après que j'aie été moi-même violé et agressé sexuellement par plusieurs adultes mis au courant. Bien sûr, tous les hommes ne sont pas violeurs ou prédateurs. Bien sûr, un grand nombre d'entre eux, comme je l'ai été moi-même, ont vécu de longues années dans le déni ou l'inconscience de cette culture du viol, puisqu'on nous l'enseignait au biberon ...dans les cours de religion et dans les cours d'Histoire, directement !!!

Néanmoins, à partir d'un certain âge (à définir pour chacun), l'innocence n'est plus acceptable face à la systématisation du statut fait aux femmes dans les modus vivendi, dans tous les types de littérature, dans la cinématographie, dans la publicité, dans la "morale véhiculée par des sociétés" où nous évoluons, dans la "justice rendue", dans le vocabulaire et dans "l'humour" utilisés à chaque minute. Mais aussi et surtout dans ces violences physiques, meurtrières et prostitutionnelles au quotidien, malgré le déni conformiste social qui lui est fait très souvent pas les hommes de tout âge et de situations, et trop souvent aussi, par certaines femmes ...par des pères et par des mères de familles soucieuses de protéger "l'innocence" de leurs enfants et leur intégration sociale (celle des trois singes).

Je dis NON, viscéralement, avec mon engagement verbal et écrit, avec les risques que cela comporte à quelque niveau que ce soit. Je revendique mon féminisme et mes combats à toute heure pour une société égalitaire et respectueuse de ses enfants et des femmes. Ma volonté et mon espérance sont tout entiers focalisés vers la transformation possible de ces sociétés de fondements patriarcaux grossiers, égotistes et criminels. Vers la lumière de l'amour vrai, vers la remise en question permanente de l'éthique, vers la valorisation juste du rôle des femmes pour une Humanité de Progrès et de Liberté.

15 juillet 2013

Extraits d’échanges épistolaires entre Juliet Suzuki et Victor Khagan