CLAIRE

dechainons-nous

Une lumière dans la nuit

C'était un jour imprégné de pluie, pas de cette pluie qu'une grande partie de la planète attendait avec impatience pour la survie de nos frères miséreux. Je parle de cette pluie qui maintient votre cœur dans un brouillard diffus et de ces nuages qui embrument l'esprit et nourrit les états d'âme les plus sombres. 

Cette pluie qui parasitait la télécommande de la porte et l'empêchait de fonctionner correctement, en ce début d'après midi. Claire se leva de sa chaise, sortit de son bureau et alla débloquer l'ouverture de la porte pour accueillir le visiteur.

Cela faisait un peu moins d'un an qu'elle était passée de l'enfer au purgatoire, qu'elle marchait à tâtons dans sa tristesse et ses vagues à larmes. La vie au bureau et son lot de routines était une échappatoire qui lui permettait de maintenir un contact avec une pseudo réalité l'aidant à chasser les fantômes qui peuplaient ses nuits. 

A son sourire naturel et spontané dissimulant les scarifications de son âme, il lui répondit par un sourire tout aussi naturel mais un peu plus emprunt de réserve, la faisant pénétrer un bref instant dans une réalité surnaturelle. Peut être un rayon de soleil qui s'immisçait en elle préparant le renouveau de son existence.

Le verdict fut sans appel, "ostéosarcome" cancer des os à un stade avancé, les soins envisagés ne seront que palliatifs. A trente deux ans vous attendez autre chose de la vie, à trente deux ans dans le cabinet du cancérologue il lui serra fébrilement la main, il ne dit rien. La gorge serrée, l'esprit concentré pour ne pas évacuer ce trop plein de larmes en ce lieu, en cet instant, c'est plus tard et en tête à tête qu'il confiera à Claire:
- j'ai eu honte et me sent coupable d'avoir laissé la maladie s'installer en moi et n'avoir rien fait pour l'éviter. 
- Je n'ai pas réalisé tout de suite qu'il me fallait me préparer à quitter cette vie, à vous quitter toi et Alexis
- Je souhaite finir ma vie à la maison et n'en partir qu'une fois le grand sommeil arrivé. 

Il venait pour un entretien d'embauche, tout à la fois décontracté et réservé il semblait ne projeter qu'une partie de lui même, il portait son moi profond comme une fragile aura qu'il voulait protéger. Il convaincu facilement le directeur qu'il était la pièce du puzzle que le service recherchait. Parmi les cinq candidats qui s'étaient présentés Claire avait aussi porté son choix sur lui alors qu'elle ne participait pas au recrutement.

La maladie aussi grave soit elle, a un côté anesthésiant, comme un choc violent dont vous ne ressentez pas de suite la douleur, Claire vécut les sept mois d'agonies de son conjoint dans un état léthargique se voilant les pavés de l'enfer qu'elle dévalait. L'amour commun porté à leur fils de quatre ans dut être plus fort que la pharmacopée prodiguée par son médecin pour qu'elle puisse continuer d'avancer dans cette putain d'histoire qu'elle n'aurait jamais voulu avoir à connaitre.

Au bureau depuis le décès de son mari, Claire n'allait plus manger au restaurant d'entreprise avec les collègues, elle préférait retourner le midi dans son isolement protecteur, reste d'un cordon ombilical du passé qui devenait filigrane et qu'elle peinait à s'en draper. Le lit médicalisé avait quitté la salle à manger temporairement aménagée en salle de soin. L'odeur des perfusions et de la morphine avait imprégné  chaque fibres des tissus de la maison, il n'était plus là mais sa rémanence se projetait sur chacun des murs et l'accompagnait dans toutes les pièces la retenant en otage dans tous ces projets communs inachevés.

Semaine après semaine il trouvait sa place parmi le personnel du service, il apportait un complément à chacun des membres de l'équipe, petit à petit à chaque croisement de leurs regards leurs esprits s'enchaînaient et tissaient une toile créant un lien de sentiments permanents. Du jour où il lui proposa de se joindre au groupe pour aller déjeuner, inconsciemment elle détacha les amarres qui la retenaient à son passé pour les projeter dans un avenir à construire. Régulièrement, plus que le hasard ne le prévoyait, ils se retrouvaient à proximité l'un de l'autre, à se frôler, à partager cette envie de se tendre la main et de s'enserrer pour oublier le monde environnant et s'y croire seul. Un midi ils allèrent manger en tête à tête, sa raison à lui l'empêchait de faire ce premier pas vers elle qui naturellement sans calcul aucun le fit en allant se réfugier dans ses bras.

Pendant toute cette longue agonie, leurs douleurs s'assemblaient et les éloignaient de la destinée qu'ils avaient choisie. Elle redoutait l'instant où il perdrait l'envie de vivre, que la mort deviendrait délivrance et qu'il lui demanderait de faire cesser cette absurdité de continuer à nourrir la révolte de ses cellules. Elle ressentait de l'égoïsme à se réconforter de sa présence alitée, de ce cordon de vie si tenu qui lui permettait de ralentir le temps et de refuser d'entrer dans le costume de la solitude. 
Elles se disait : "que l'amour qu'il lui portait était plus fort que le sien pour ne pas m'avoir soumise à cette épreuve". 
Bien avant son départ en exil Claire se rendait compte qu'au jeu de la vie, tous n'avaient pas les mêmes cartes en main pour jouer la partie.

Veuve à trente deux ans, vous prédestine à découvrir la complexité humaine et vous fait pénétrer dans un monde nouveau insoupçonné. Le désir de certains de consoler et protéger la dame en noire se révèle en cache misère de leurs propres maux. Claire sombra dans une foule d'âmes en peines, esseulées dans des couples ou dans des vies en fin de non recevoir. Alors qu'avait il de plus ou de moins ? pourquoi était-elle aspirée par cet ange bleu qui ne comprenait pas cette attirance réciproque. 

Il avait un enfant en bas âge et il n'avait aucun doute sur le cap à suivre pour sa vie familiale et professionnelle. Il avait échappé à tous dialogues entre cœur et raisons et se faisait fort de ne se reconnaître aucune faiblesse.

Après une errance dans le désert à la lisière des portes de l'enfer et que vous parvenez à atteindre une oasis, vous ne faites pas le tour du propriétaire en dédaigneux, vous vous installez sans préjuger du temps de votre halte. Ce petit coin de paradis qu'il lui offrait à son insu, ou bien qu'elle s'octroyait de plein droit lui permit d'entrevoir un possible bonheur à construire. 

Claire apprit de nouveau à redevenir exigeante envers elle même et à réclamer sa part de vie qui lui était dû. Leur idylle prit fin naturellement, il s'était enchaîne à elle et était incapable de se libérer d'un choix qu'il ne savait faire. Claire le libéra comme il l'avait libéré des ombres de son passé, elle quitta cette oasis bienfaitrice et retourna vers la civilisation dans la lumière.

Lcm 

  • Trente-trois ans, un âge aussi particulier je crois.

    · Il y a presque 6 ans ·
    30ansagathe orig

    yl5

  • la souffrance, puis le deuil et les roses qui refleurissent chaque printemps. :o))

    · Il y a presque 6 ans ·
    Photo rv livre

    Hervé Lénervé

    • Le printemps source universelle annonçant le renouveau, telle notre amie la rose
      https://youtu.be/2ICFtXx546A

      · Il y a presque 6 ans ·
      Chainon manquant

      dechainons-nous

  • Un témoignage très émouvant et j'ai réécouté Elton John qui a chanté Candle, aux obsèques de la princesse Diana. Cette chanson m'émeut à chaque fois que je l'écoute...

    · Il y a presque 6 ans ·
    Louve blanche

    Louve

    • J'ai hésite avec :
      https://youtu.be/9muzyOd4Lh8
      Merci de la lecture

      · Il y a presque 6 ans ·
      Chainon manquant

      dechainons-nous

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