Claude
Pascal Mess
C'était la photo parfaite, où Claude semblait être encore parmi nous. Il se présentait en costume, les jambes croisées, une main sur le genou, le sourire pincé, les yeux souriants. Cette image, en noir et blanc, trônait sur le buffet, dans le salon.
Certains admiraient cette photo, d'autres la haïssait. Elle ne laissait personne indifférent ni mitigé, et semblait s'entourer d'un mystère. Claude était mort depuis longtemps, mais beaucoup pensaient encore à lui en une satisfaisante disparition, d'autres en une tristesse intarissable, immortelle.
Certains le voyait simplement, tout bonnement, sans détestation ni mépris, dans l'acceptation.
Pour cette pose parfaite, rien n'avait été laissé au hasard. Un cadre doré travaillé avec soin, un fond de photo presque sombre contrastant avec le teint blanchâtre du personnage.
Claude semblait dire quelque chose, comme un secret qu'il étouffait, mais qui dessinait toute sa personnalité.
Il en observait, figé dans son cadre, des repas de famille, des rigolades entre amis, des tendresses exprimées, parfois déçues, des faveurs refusées. Il en voyait des visages le dévisageant sainement, vicieusement, aussi. Il en entendait des médisances, sur lui, sur la présence de cette photo, pourtant parfaite.
Mais dans son fort intérieur, c'est lui qui comprenait tout, ce qui dérangeait et attirait, ce qu'on voulait fuir et ce qu'on désirait rejoindre, pour un temps, pour toujours.
Cette photo était idéalement placée, pas trop sous les rayons du soleil afin qu'elle ne s'altère pas, ni trop dans l'ombre, afin qu'elle ne s'oublie pas.
C'est là que Claude finirait sa vie de photo, sa vie de souvenirs. Quand à sa présence dans les coeurs, en amour ou en haine, elle risquait d'être éternelle.
Cet homme, dans sa différence d'être, sans provocation, tout simplement comme il était, sans méchanceté aucune, avait fait sa vie comme cela.
Et par ce que la nature en avait décidé ainsi, il avait vécu en équilibre parfait d'un homme et d'une femme, réunis dans le corps d'un homme.