clint

Patrick Brothier

Il a souvent mis dans le mille. Il a pu rater la cible aussi, surtout ces dernières années. Mais les encoches sur le revolver sont plus nombreuses que les balles perdues.

Il a beaucoup tourné. Il est déjà vieux. Il a pu se tromper mais il voit souvent juste. Il n'a pas tout dit, n'a pas voulu donner à voir de lui-même et s'est finalement révélé plus encore. Il abhorre les postures et les impostures. Il sait donner les cartes et il en connait la face sombre. Il est indépendant, républicain, épris d'un monde libre où il faut savoir se faire pour exister. Mais Il est bienveillant, ne piétine pas les humiliés, pourfend l'injustice jusqu'à la rendre insoutenable.

Acteur, Il est (vraiment) né dans le western, dans une série improbable entre ranch et prairie. Il su sortir du troupeau. Un berger nommé Leone l'a soustrait du cul des vaches, l'a vêtu d'un jean propre et d'un poncho ajusté comme il faut. Cigarillo dans le bec, gachette facile, faciès halé et épargné par le rasoir, démarche imparable, un nuevo gringo était né, prêt à gravir les marches du box office.

Passé au monde urbain, ce héros a joué les très méchants, les trop durs, les sans pitié. Il a beaucoup tué dans l'habit d'un inspecteur peu enclin aux préséances, aux précautions, à la tolérance. Appelons le Harry et disons qu'on a fini par croire que ce flic était un peu lui-même, la face sanglante et rude d'un homme prêt à fouler le droit pour mieux le faire respecter. C'était inventer Guantanamo avant l'heure et ça ne plaisait déjà guère de ce côté-ci de l'Atlantique.

On ne sait s'il a voulu se laver ou se réinventer en tournant ses propres films. Il a réussi à nous retourner, à confondre nos jugements péremptoires et hâtifs. Car cinéaste il était en plus d'être un acteur.

Ses films ne sont pas complaisants. Ils chatouillent souvent des réalités dérangeantes. Ils sont construits avec une fluidité rare et happe le spectateur le plus rétif. Car l'homme a l'art de conter les histoires sans (trop) céder à la putasserie.

Il a caressé nos pulsions de colère pour mieux nous montrer les tourments du vengeur (L'homme des Hautes Plaines, Josey Wales). Il a souligné la fragilité d'une amitié d'enfance balayée par le soupçon infondé d'un crime odieux (Mystic River). Il a adopté la face du rédempteur pour enseigner la boxe et douer de vie une jeune fille abîmée (Million Dollars Baby). Il a montré l'inhumanité de la guerre et l'humanité de ceux qui la font depuis le camp d'en face (Lettres d'Iwo Jima). Il a peint le visage d'une mère dépouillée de son fils et rudoyée par un retour factice (L'échange)

La veine créative s'est rompue depuis les sorties de ces chefs d'oeuvre. Et le nouvel opus American Sniper n'annonce pas la régénération de la source tarie. Qu'importe. Si un alpiniste n'atteint plus les sommets, rien ne saurait lui retirer le mérite des précédentes ascensions.

La trace qu'il laissera sera plus l'empreinte d'un géant lumineux que l'ombre d'un cavalier sans nom perdu dans le 7ème art.

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