Cloé

jeanro

Voyager avec Cloé n'est pas de tout repos.

Voyager avec Cloé n'est pas de tout repos. Avec elle, je ne fais pas ce que je veux. Elle décide de tout et si je refuse elle boude et me fait la tête. Je supporte cela très mal. Elle le sait et elle en abuse. Elle est fantasque, change d'idée tout le temps. Elle veut tout tout de suite. Les filles d'aujourd'hui sont comme ça. Elle m'agace un peu et me provoque mais elle est si belle.


A Girone nous aurions acheté des glaces et certainement fini par prendre le petit train touristique pour visiter la ville. « Plus marrant et moins crevant » aurait-elle décrété en riant.


A Paris nous n'avions pas coupé à l'excursion en bateau mouche. Je me souviens, il faisait très chaud. Elle portait un petit short rose et un grand chapeau de paille. Il avait fallu faire la queue pour les billets. L'air était poisseux. Les extracteurs du métro rabattaient des senteurs aigres sur les quais de Seine. A sa demande j'avais pris des photos d'elle aux bons endroits : Notre Dame, la Conciergerie, le Pont Alexandre III : Cloé – Paris – Avril 2015 – Longs cheveux noirs sous son chapeau que soulève un peu le vent – Léger déhanché – Assez travaillé quand même – En appui sur le bastingage – Sourire Ultra Brite sur fond de Tour Eiffel. Elle est heureuse, insouciante, se faisant plaisir avec les propositions convenues d'un Paris pour touristes. « Paris is so romantic  ». J'avais suivi sans conviction. Qu'est ce que je faisais là ? Nous étions dans la foule, menu fretin pris dans la nasse des visiteurs du monde entier que le bateau blanc avait dragués. Nippons, chinois, américains, australiens, tous badgés et portant les sacs siglés des grands magasins. L'après-midi se traînait et Cloé s'amusait. Je l'observais de loin, à l'avant du bateau, elle échangeait, volubile avec un homme à cheveux blancs en bermuda marine et chemise blanche. Il pouvait largement avoir mon âge.


Ce jour là à Paris je m'ennuie et je m'inquiète. Elle est si jeune !


A Girone, je suis seul. Chien courant. La Catalogne me plaît. Je vais où je veux, je flaire des pistes. Je ne verrai rien de ce qu'il faut voir et je suis capable de confondre la cathédrale et l'église San Feliu. Quelle importance. J'avais déjà fait ça à Londres. Pas vu Tower Bridge, pas vu Buckingham. Mais où as-tu été m'a-t-on demandé au retour. Je ne sais plus. Plusieurs pubs sans doute et une déambulation dans Soho. A Girone, Cloé n'a pas voulu venir. Elle est à Majorque, jusqu'à la rentrée... soit disant avec son frère. A Girone, sans elle, je me sens un peu seul et je me perds dans les ruelles. Je pousse la porte d'une librairie low-cost : Read and go ! Il n'y a que des livres en catalan. J'aime les livres au point que peu m'importe si je n'ai pas accès à leur contenu. Les livres comme les jeunes femmes sont secrets et souvent inaccessibles. On ne les en aime pas moins. Plus loin une boutique propose des cours de langue catalane. La région est en effervescence, la revendication identitaire et le projet indépendantiste sont partout affichés. Des drapeaux et des banderoles aux couleurs jaune et rouge flottent aux balcons. Une grande fête se prépare. J'aurai quitté Girone quand cela aura eu lieu. Mais je suis content pour eux. Au détour d'une rue, un chantier avec évidemment un gros camion et une grue mais sinon tout un petit peuple avec pelles et pioches s'affaire à la réfection d'une calade en galets roses. Ils travaillent à l'ancienne, des garçons avec des brouettes et, au milieu d'eux, c'est une fille en casque et gilet fluo qui commande. Elle lit le plan et dirige toute son équipe de petits bonshommes Playmobile. Les filles d'aujourd'hui n'ont peur de rien. J'aurai quitté Girone quand toute cette belle jeunesse aura fini son travail. Mais ils ont l'air heureux et moi ça me fait plaisir.

Girone est une ville historique. Qu'as-tu aimé le plus me demanderont mes amis ? Je ne saurai pas leur répondre. Allez-donc leur expliquer, la librairie low-cost, l'indépendance de la Catalogne et ce frémissement de joie dans les rues ou encore le chantier des Playmobiles et surtout cette sensation de vide sans Cloé.

Aurait-elle aimé Girone ? J'aurais pris une photo d'elle devant la petite voiture de collection Humber 1910 exposée au musée d'histoire de la ville : Cloé – Girone – Septembre 2015 - Petite robe blanche très légère – Appui sur le marchepied droit - Léger déhanché – Assez travaillé quand même – Sourire Golgate dents blanches. Cloé aurait voulu prendre le petit train touristique. J'aurais refusé. Elle aurait boudé. Mais je sais ce qu'elle aurait aimé : Elle m'aurait fait grimper sur l'échelle pour embrasser le derrière de la statue de la Lleona. C'est une tradition ici. Ainsi nous aurions été protégés tous les deux des mauvais sorts à venir pour notre vie entière. Elle se serait moqué de moi. J'aurais été heureux. Nous aurions ri ensemble.


Et pourtant, il ne faut pas rire avec la protection de la Lleona. Cloé est si jeune. Des fois l'avenir m'inquiète.


L'an prochain, pour ses seize ans, je reviendrai à Girone avec Cloé.


Après tout je peux bien lui faire ce plaisir. C'est quand même ma petite nièce.


  • Jolie chute.

    · Il y a plus de 8 ans ·
    Au rayon des livres

    chloe-n

    • Même prénom ? Coïncidence ?

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Randonneur

      jeanro

    • Hé hé ;) En tous cas, vous m'avez fait découvrir Girone :)

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Au rayon des livres

      chloe-n

    • L'an prochain,, je reviendrai peut-être à Girone avec Chloé.

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Randonneur

      jeanro

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