Cœur papillon

plumedesang

Petit texte inspiré par l'image de couverture.

   Cette année, l'hiver était plus glacial que jamais. Un épais manteau de neige recouvrait les terres alentour, étouffant toute végétation sous sa blancheur immaculée. Les mers et océans, d'ordinaire déchaînés, étaient figés sous la glace. A l'extérieur, aucun signe de vie, les hommes s'étant enfermés dans leurs foyers à la chaleur des cheminées. Pas un chant d'oiseau, pas un seul animal pointant le bout de son museau pour braver le froid inhabituellement élevé dans ces régions d'ordinaire abondantes de vie, au climat tempéré et à la végétation luxuriante. Tout semblait mort.

 

    Soudain un léger mouvement. Puis un autre. Une minuscule tache violette se déplaçant lentement dans le ciel gris couleur de cendre, ses mouvements semblables à des battements d'ailes. Gros plan sur cet infime signe de vie mauve: c'est un papillon.

   

    Un petit papillon aux frêles ailes violine, qu'une bourrasque de vent aurait tôt fait  d'emporter et pourtant décidé à atteindre coûte que coûte sa destination, peu importe les dangers semés par le froid mordant. Car ce froid mordant charriant des embûches pouvant lui être fatales, il en est la cause.

    En effet cet être ailé était autrefois humain. Beau, jeune,intelligent et fou amoureux d'une jeune femme dont la beauté égalait la sienne, il avait tout pour lui, sauf la richesse, chose dont était aussi dépourvue sa bien aimée. Tout cela aurait pu être sans importance et ils auraient pu vivre des jours heureux si un obstacle de taille ne s'était pas mis en travers de leur route.

    La reine, aussi riche que cruelle, désirait, elle aussi, le cœur du jeune homme.

 

    C'est ainsi qu'un jour, elle le fit capturer et amener à sa cour.

    L'homme, qui n'avait d'yeux que pour sa belle, déclina les avances de la monarque. En vain. Folle de rage, elle lui fit une dernière proposition qu'il ne pût refuser: soit il acceptait de devenir sien et son amante serait heureuse pour toujours, soit il refusait et les pires tourments seraient infligés à sa bien aimée. C'est le cœur empli de chagrin que l'homme se résigna alors à donner sa main à la reine.

    Pour honorer ce serment il devait néanmoins faire une chose le soir même: briser le cœur de sa chère et tendre.

 

    Ce qu'il fit. A la fin de son infâme discours, une larme, une seule, couleur grenat, roula le long de la joue de celle qu'il avait toujours aimé. Puis elle tomba raide morte. Sous le choc, en proie à une infinie tristesse, le jeune homme retourna à la cour. C'est le cœur empli de haine qu'il exigea des explications de la reine. Sourire narquois aux lèvres, elle les lui fournit volontiers: bien évidemment que la jeune femme coulait à présent des jours heureux, puisqu'elle reposait en paix.

    Éprouvant du  dégoût quant à la fourberie dont faisait preuve sa nouvelle compagne, le jeune homme, le soir même, mit fin à ses jours.

 

    Depuis, le froid s'est peu à peu installé dans la région, doux au départ, désormais insupportable pour qui oserait s'aventurer hors de son logis.

   

    La reine, suite au décès de son nouveau roi, retrouvé pendu dans ses appartements, l'a fait enterrer dans ses jardins et a fait bâtir une statue d'ange par dessus sa dépouille.

 

    Le corps de sa bien aimée, lui, est resté sans sépulture, enfoui désormais sous une épaisse couche de neige.

 

    Certains sujets de la reine, alors qu'ils se promenaient dans ses jardins lorsque le temps le permettait encore, ont vu un papillon mauve s'envoler depuis la main tendue de l'ange de marbre. Ce papillon ne s'arrêtera pas de battre des ailes tant qu'il n'aura pas atteint sa destination.

   

    A première vue, cela semblera n'être qu'une parcelle de terre sans aucun intérêt. Mais sous le blanc linceul qu'est la neige, repose le corps d'une jeune femme dont la beauté n'a d'égal que l'amour que lui portait son amant avant que ce dernier ne lui brise le cœur. Cœur sur lequel trône désormais un papillon mauve.

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