Colocation

Caroline Morello

Depuis quelques mois je cohabite avec une fille un peu farfelue. Non pas qu’elle soit folle, mais son train de vie un peu dissipé me perturbe parfois. Il y a toujours plein de monde à la maison. Moi qui n’aspire qu’à la quiétude, j’avoue avoir souvent les nerfs en pelote lorsque je rentre le soir et, qu’à peine passée la porte d’entrée, j’entends le bruit des conversations, la musique saturée sur la chaîne hi-fi et le choc des cannettes que l’on trinque.

Alors, comme toujours, je me fais discret et me faufile vers la cuisine pour un repas en solitaire. Quelquefois, l’un d’eux me lance un regard vide d’expression, un autre jette un : "Ah ben il est là lui ?". Je fais mine de ne rien entendre.

Il faut dire que je n’ai pas beaucoup de conversation. Quant à celles de ma colocataire, je dois dire qu’elles ne m’intéressent pas vraiment. D’ailleurs, je ne comprends pas toujours tout ce qu’elle me dit tant elle parle vite. Parce que, malgré mon mutisme, parfois, elle m’adresse la parole, quand nous sommes seuls, bien entendu. À croire que lorsqu’elle a des invités, ma présence n’a aucun intérêt pour elle. Je ne suis qu’un fantôme qui, ayant à peine traversé le salon est déjà oublié. En général, on fait très peu attention à moi, mais ça me va très bien. Je ne supporte pas ces gens qui gesticulent et parlent fort. Je vous l’ai dit, j’aime le calme. D’autant plus que mes journées sont relativement fatigantes, mais, ça, c’est une autre histoire.

Une fois seuls, je m’installe confortablement sur le canapé pendant qu’elle regarde un film ou une série qu’elle seule peut apprécier car personnellement, la télévision m’exaspère et je m’endors très vite. Quant à elle, il faut toujours qu’elle commente le moindre fait ou geste d’un acteur : "Pas par là !", "Mais qu’il joue mal !", "Comme c’est mal fait !", "Oui ben ce n’est pas le genre de choses qui arrive dans la vie… "."Non, bien sur que non, pensé-je, tu regardes un film, une histoire tout droit sortie de l’imagination d’un scénariste qui, très certainement, exprime par ce biais, ses désirs, ses frustrations, ses craintes". Je m’abstiens de tout commentaire et garde les yeux fermés en attendant l’heure.

Lorsqu’elle éteint l’écran, sans jamais me demander mon avis, je me lève, encore endormi et je vais dans la chambre. Je me cale sous la couette qui porte son odeur et je l’attend. Elle arrive, en petite tenue pour se coucher, elle est belle. Elle me prend dans ces bras, me caresse, m’embrasse, me souhaite une douce nuit, je suis heureux.

Dans ces moments-là, je me dis que j’apprécie vraiment ma paisible vie de chat.

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