Colore-moi Chapitre 1

Alicia Lo

Moi? Moi je ne suis rien ni personne. Je suis une page blanche ou noire. Sans vie ni relief. Trouve-moi. Aime-moi. Brise-moi. Impose-toi à moi. Exprime-toi. Peints tes couleurs en moi. Colore-moi.

Moi? Moi je ne suis rien ni personne. Je suis une page blanche ou noire. Sans vie ni relief.

Je suis Clément. Enfin, c'est comme ça que l'on me nomme. Je n'ai pas la prétention de me présenter en tant que personne. Pour être quelqu'un, il faut être vu par les autres, non? Si c'est le cas, je ne suis personne. Puisque personne ne me voit.

Non, je ne suis pas dépressif ou un déséquilibré. Je suis juste... réservé. Et dans un monde où il faut être populaire pour exister, je n'existe simplement pas. Mais ça me va.

Enfin, c'est ce que je croyais jusqu'au jour où elle m'a rencontrée. 

***

J'ai la conviction que le monde dans lequel nous évoluons n'est qu'une succession d'images et d'informations artificielles. Je déteste les jeunes de mon âge qui s'apprêtent chaque jour à la pointe de la mode et qui courent sans cesse après les nouvelles tendances. Je ne comprends pas quel est le plaisir d'étaler sa vie sur les réseaux sociaux, de se comparer entre soi, parce que c'est ce qu'ils font au final. C'est à celui qui captivera le plus l'attention des autres. Ce n'est qu'un jeu sans fin. Mais après tout, c'est sans doute là qu'ils trouvent réconfort lorsque moi je m'évade en peignant. Mon paradis à moi c'est l'art. C'est pourquoi dans mon année de Terminale Littéraire, j'ai pris l'option "lourde" d'arts plastiques, soit huit heures par semaine. Suis-je anormal?

18h15, le TGV en direction de Reims s'apprête à quitter la gare Est de Paris. Il me tarde de retrouve ma chambre et mes tableaux. Mes parents sont divorcés depuis que j'ai onze ans. Cela ne m'a jamais vraiment dérangé jusqu'à l'année dernière où mon père a demandé de me voir tous les week-ends pour resserrer les liens "pères/fils". Je n'aime pas mon père, il habite à Paris et ma mère à Reims. La distance est assez grande pour que je me rapproche de lui et le voir tous les week-ends n'a pas pour don d'arranger les choses.

Le TGV démarre, je mets mon casque sur mes oreilles et je choisis d'écouter une chanson de Muse. Là, je me mets à m'impatienter. J'ai vraiment hâte de retrouver mon espace de création chez ma mère. Bien que mon père ne m'empêche absolument pas de peindre chez lui, son appartement luxueux de riche avocat et sa décoration millimétré sont bien trop précieux pour que je ne chamaille le travail parfait d'un décorateur intérieur hors de prix. Puis, j'ai aussi hâte de rentrer chez moi pour prendre ma petite sœur de six ans, Laïna, dans mes bras.

Un violent coup sur la tête me fait revenir dans le TGV. Je me retourne et une dinde trop maquillée fait des signes disgracieux dans tous les sens. J'ôte mon casque et j'ai le droit à une avalanche d'excuses.

"Pardon ! Je voulais mettre mon sac là haut mais il m'a glissé des mains parce qu'il est trop lourd..! C'est sûrement à cause de ma nouvelle collection de vernis à ongles ! Je n'aurais pas dû les acheter mais les couleurs sont trop belles ! Mais je n'avais déjà pas assez de place dans ma valise mais j'ai craqué quand même... Et puis les vernis ça ne prend pas trop de place non plus mais c'est lourd !"

Blablabla, voilà ce que j'entendais. Déjà qu'elle m'avait presque assommée avec son sac, là, elle allait m'achever en parlant !

"Oh ! Vous êtes à la place 77 ! J'ai la 76 ! Je suis à côté de vous ! Enfin, je pense qu'on a le même âge ! On se tutoie?"

Là, j'ai la preuve formelle que dieu n'existe pas.

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