Combat à mots

annamuller

à ma bataille avec les mots/ mesurer l’envie d’écrire à son manque inéluctable/ l'impossible tranquillité



Le soir, une idée, une chose, un mot à écrire et le besoin de rapidité. Se jeter sur le moindre support qui peut garder l'idée, un cahier, une feuille, un mouchoir, un drap, un avant bras. Peu importe. Tout sauf l'oubli du lendemain matin, le matin les idées du soir ont disparus, comme les rêves que je m'efforce de noter et qui semblent des listes incohérentes ou des cadavres exquis. Ceux-là aussi ce sont des mots, ces bribes de rêves désarticulés sur du papier, mais trop proches, trop intimes. Et si quelqu'un tombait dessus je ne sais pas ce qui me ferait le plus peur entre l'incompréhension ou le déchiffrage, entre l'insignifiance ou le viol.

Le matin, on se retrouve avec un mot et les problèmes commencent,  l'autre soir c'était valise ou exil. Valise qui attend sur le bout du mouchoir posé sur le rebord du lit, il faut bien en faire quelque chose. « Sur la droite une valise, vite, posée. Une valise de passage jusqu'à glisser sur le sol en parquet brun imitation bois » et alors  continuer, « la valise qui dit qu'il faut rentrer» le dégoût de la proximité du mot, pensée égocentrique de cette phrase.
Ecrire pour ne pas régler ses comptes, s'obstiner à vouloir en faire quelque chose, faire quelque chose du mot, du mot mou et usager, le parer, l'agrémenter, le torturer, l'inventer, le déguiser, l'orner : « valise : écume qui rampe sur les eaux exilées », l'enguirlander  « valise : c'était une valise feutrée, bleue, dont la face au sol était imprégnée de rayures. L'anse rouge était décorée de rubans argentés pliés en noeud de papillon », l'épargner, laisser le mot à la tribu, aux aéroport et aux maroquineries. Finalement arrêter l'entreprise de faire quelque chose du mot, le laisser sur le bout de mouchoir.

Ou alors, un paysage. User des mots comme peinture, connaitre les palettes habituelles : l'hiver, le rouge mandras , acajou, brun et blanc puis les traduire : « Moscou béante sur la place rouge », « les arbres humides recouverts de givre, la trace boueuse des pas dans la neige, la neige qui fond pour devenir cette gadoue misérable ». L'eau, la mer, les ports, l'orange, l'ocre, azur, cobalt, pétrole, pastel et blanc et leur traduction « Les mats et les cordes des bateaux montaient dans l'air, à des hauteurs différentes, plus ou moins larges. On aurait dit que ces antennes marines portaient sur leur dos la voile enroulée comme l'aile d'un papillon repliée », « le mouvement doux de l'écume peignait de légères vagues sur le lit défait de la mer tandis que les flots se mélangeaient aux rayons confus et tamisés », « le mutisme discret des ports au repos ».
Le soir , aluminium, rouge vif, zinc, gris noir, gris sombre, titane, miel, ambré, or, chrome, bleu marine, « Sous la berge des couchants nocturnes, s'élèvent mes rêveries drapées de nuit » , « au dessus, la lune ronde leur donne des teintes d'argent ».

Les souvenirs : véritable mine de mots et d'images. Des mots poussiéreux, vétustes, inexistants, archaïques, délabrés et fatigués. L'autobiographie : se violer, se vendre, se déshabiller, trahir, se nombriler. Mais l'envie, la séduction des descriptions, le plaisir de parler de soi, le charme de l'imparfait qui rend les verbes si chaleureux, je me sens glisser…c'est tentant je pourrais décrire ce passage de la foret, « quand même tu ne faisais pas tes nuits, tu imagines un peu? Tes soeurs ne pouvaient pas fermer l'oeil avec tes crises », « c'était une seule fois, 5 minutes seule, pas la peine d'en faire un drame » puis écrire le souvenir au plus proche, les mots sont organiques, il faut les arracher du dedans, ils collent, puis l'envie de dire sans trop parler « plus de frontières entre les contes et la réalité, le petit Poucet c'était moi » pathétique. Les mots qui pleurent, les mots énervés, blessés, torturés, trop crus. Changer les noms, ou ne pas en mettre, la peur de l'invention de sa propre histoire, la paranoïa : distance/proximité, la dystopie réelle.

La fiction comme recourt, je n'y parvient pas, il faut que je connaisse ou bien j'ai l'impression de mentir, comme si l'écriture était un jeu/je  d'authenticité, comme si on allait venir me bruler pour mensonge, fraude, usurpation d'identité «et cette histoire de la rive gauche c'était réellement vous? ». Ecrire la vérité ou ne pas écrire.

La poésie et les mots sont innombrables, multipliés , c'est trop, je suis infiniment petite devant les interprétations infinies, je me perd, je suis impressionné, ils sont plus fort que moi. Un mot sort de ma bouche et je pourrais le déplier encore et encore, déplier les sonorités, les couleurs, les associations, la longueur, le sens. Je m'éloigne du mot premier, je suis loin, j'ai peur de la folie

L'écriture automatique, vitesse et nudité. Désinhibition et paralysie. prostitution des pensées.







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