Comme peau de chagrin
Barbara Vi
Après l'avoir lu et relu, il a bien fallu que je me rende à l'évidence que mon exemplaire de La peau de chagrin de Balzac était usé jusqu'à la corde et qu'il ne lui restait au mieux qu'à nourrir le feu de cheminée. Certaines pages commençaient à s'effriter entre mes doigts et l'encre était quasi illisible sur d'autres. Je connaissais ce livre par cœur mais je décidai d'en acquérir un autre après avoir laissé celui-ci à ses cendres. Le jour-même, je partis parcourir plusieurs librairies, et c'est là que bizarrement il me fut impossible de débusquer la bête. Déçue tout autant que piquée au vif, je finis par fouiller frénétiquement les rayons d'un petit bouquiniste, allant même jusqu'à retourner ceux consacrés à la gastronomie et à la pêche. Surpris par mon comportement, le libraire s'approcha de moi, un peu inquiet. Je lui parlai aussitôt de mes vaines recherches. Il hocha la tête. Balzac, Balzac… Oui cet auteur que tant d'élèves ont tout autant haï qu'aimé. Moi, franchement, le Père Goriot au bac de français, je m'en serais bien passée. Le libraire semblait bien ennuyé. En effet, plus de peau de chagrin en stock. Je lui demandai alors s'il était possible de le commander. Il sursauta et s'écria « surtout pas ! » Ah… Comment ça « surtout pas » ? J'avançai le refus de vente mais il devint si pâle que je compris que quelque chose n'allait pas. Je ne lui cachai pas mes soupçons et quand il me répondit, sa voix n'était qu'un chuchotement. Il me proposa de repasser plus tard, de préférence à la fermeture. La patience n'étant pas toujours mon fort, je lui donnai une sacrée grimace comme réponse car il me restait trois heures à attendre. Mais le bouquiniste ne fléchit pas. Je serrai les dents. Un peu de sagesse ne me ferait pas de mal.
Je retournai chez moi et décidai d'aller faire un tour sur le web. Je trouvai biographies de l'auteur, résumés de l'œuvre, analyses et commentaires, et j'en passe. Et là, comble du tout ou rien, aucun site ne le proposait à la vente. Continuant mes recherches, je tombai alors par hasard sur l'article d'un magazine littéraire qui attira mon attention. L'auteur y parlait d'un riche donateur qui avait étrangement légué à la BNF l'ultime page d'une ancienne édition de La peau de chagrin avant de mourir dans son sommeil. Il n'y donnait pas plus d'informations mais y soulignait tout de même la malheureuse coïncidence qui reliait l'œuvre à son lecteur. L'ironie qui en découlait ne m'échappa pas mais ma curiosité fut titillée. Je regardai l'heure et soupirai de voir le temps si peu pressé de m'amener à l'heure fatidique. J'essayai de m'occuper tant bien que mal, surveillant sans cesse ma montre. Je cherchai d'autres articles pouvant parler de cette même histoire mais apparemment j'étais tombée sur la seule aiguille perdue dans la botte de foin.
Enfin, le moment tant attendu arriva. Je soufflai un bon coup en m'apercevant que j'avais une boule à l'estomac.
Quand j'arrivai à la librairie, je fus soulagée de constater que le libraire terminait une vente avec un dernier client. Ce dernier ne s'attarda pas et quitta l'endroit avec un sourire de satisfaction que je lui enviai. J'aurais eu le même si j'avais pu trouver ce livre que désormais je convoitais.
Le libraire me fit enfin signe et je le rejoignis dans un coin reculé du magasin. Il sembla avoir la gorge sèche car il manqua s'étouffer quand il commença à me parler. Mais ce qu'il me dit d'une voix venant d'outre-tombe ne me plut pas car il me conseilla fortement d'oublier ce livre. Je secouai négativement la tête. On peut oublier de manger, de se brosser les dents, de payer les factures, mais les livres c'est comme l'amour, on ne les oublie pas. Je l'encourageai alors à m'expliquer ses propos. Je dus user de patience et de compréhension pour l'en convaincre. Ce qu'il me raconta me fila la chair de poule. Pour lui, et pour bien d'autres, l'œuvre de Balzac était maudite.
L'histoire a commencé avec les premières éditions numérotées. Une coïncidence inexorable finit par délier les langues et attirer l'attention des autorités lorsque l'on découvrit des restes d'exemplaires, en fait une seule et unique page, aux côtés de personnalités mortes de façon inattendue. En premier lieu, on pensa aux agissements d'un psychopathe mais les années passant, la situation se répéta encore et encore. L'on cria finalement à la malédiction dans le milieu littéraire. Puis, tout se calma car les gens prirent soin de conserver les ouvrages dans les conditions dignes d'un musée. Puis vint l'impression à faible coût. Devant le désastre certain, le livre fut retiré des ventes mais à l'échelle où il fut imprimé, il est plus que probable que la malédiction est toujours en marche.
C'est peu dire que je fus secouée par ce récit.
Je compris à son ton qu'il ne me servait à rien d'insister. D'ailleurs, tout à coup, il me sembla pressé de me voir quitter les lieux. Néanmoins, il me pria une fois de plus d'oublier la peau de chagrin.
Quelques jours plus tard, après avoir parcouru tous les sites de vente sur internet du plus général au plus obscur, alors que j'acceptai l'idée de ne jamais relire ce roman, je reçus un colis sans mention de l'expéditeur. Quelle ne fut pas ma surprise quand je découvris une édition rare de cette fameuse Peau de chagrin. Un livre en parfait état que je pris entre les mains le cœur serré. Je ne sus jamais qui me l'a envoyé. Je pensai au libraire mais ce dernier fut très inquiet pour moi en apprenant la nouvelle. Quoiqu'il en fût, je le relus une dernière fois avant de le mettre sous verre et à l'abri de la lumière.
Je vous souhaite une bonne lecture de l'oeuvre de Balzac!
· Il y a plus de 13 ans ·Barbara Vi
Merci, grâce à vous je me suis documentée, c'est une bonne idée votre nouvelle !
· Il y a plus de 13 ans ·Edwige Devillebichot
C'est vrai que c'est bien écrit, vous m'avez donné envie de lire ce livre que je n'ai pas lu, merci !
· Il y a plus de 13 ans ·Edwige Devillebichot