Comme un pantin sur la route

oliviermk

EPISODE 1

— Françoise, où es-tu ?

— Maman ! hurla Tao.

Mon fils n’avait que trois ans, mais sa voix portait déjà. On était tous les deux, juchés au milieu d’une aire d’autoroute. Nos cris couvraient les ballets incessants des bagnoles sur la voie à grande vitesse. Je pris mon garçon par la main pour traverser le parking. Je fis deux pas. Un klaxon déchira mes tympans. Horrifié, je vis un camping-car crisser des pneus. Il freina et son pare-choc manqua de nous percuter. Le conducteur descendit. Il cracha une guirlande d’injures en brandissant un poing.

Je m’en foutais. Je soulevai Tao par les aisselles et je le blottis contre moi. Par chance, mon petit ne semblait pas effrayé par la masse de ferrailles qui l’aurait écrasé. De l’autre côté du parking, un amas de véhicules rangés en batailles. Fenêtres ouvertes pour laisser pénétrer l’air frais. Coffres dégueulant de bagages hétéroclites. Je pris à parti le premier vacancier.

— Vous n’auriez pas vu une jeune femme ? Vingt-cinq ans et débardeur blanc ?

Manifestement, le type ne parlait pas français. Sous son bob orange, ses yeux trahissaient l’incompréhension. Merde ! Alors j’en chopai un autre en lui posant la même question. Et encore un autre. Des tables de pique-nique quadrillaient un espace vert. Sans ménagement, j’interrogeai chaque touriste qui se bâfrait de chips et de sandwichs. Les bouches pleines marmonnaient la sempiternelle réponse négative.

Personne ne l’avait vue.

Où était ma femme ?

— T’as pas fini d’emmerder le peuple ? me demanda un mec graisseux.

Je le jaugeais. L’archétype du beauf. Sa bedaine explosait son marcel et son short. Son attitude était assortie à ses frusques. Je me risquais à lui expliquer notre problème :

— Je cherche ma femme, Françoise.

— Toi, le Chinetoc ? Tu as une femme qui s’appelle Françoise ? Les Jaunes n’ont pas fini de nous envahir. Ils nous piquent nos jobs et maintenant ils baisent nos femmes !

— Ne soyez pas vulgaire devant mon fils !

— Ah ! Vous avez eu un petit bâtard ?

Mes muscles se crispèrent. La rage bouillonnait dans mes veines. J’ai rarement su me maîtriser et j’aurais pu lui fracasser le crâne. Je m’imaginais lui éclatant la cervelle contre une de ces tables en béton. Ce film sanglant qui défilait dans ma tête me faisait un bien fou. Et j’aurais souhaité concrétiser cet exutoire. Mais pas devant mon fils. Si Tao n’avait pas été là, ce gros porc aurait morflé.

Alors, je m’éloignai, sous les regards intrigués des dizaines de vacanciers. Je retrouvai ma bagnole, un joujou à plus de cinquante-mille euros que j’avais désiré pendant des années. Cette Audi A6 ronronnait d’un V6 surpuissant. Longtemps, Françoise s’était opposée à cet achat tape-à-l’oeil. Et, juste avant de partir en vacances, elle avait cédé sous mon insistance.

Mais maintenant cet objet de convoitise me paraissait désuet, insignifiant. Paniqué par la disparition de ma femme, j’avais même laissé les clés sur le contact. Je déposai mon fils à terre, à côté de notre glacière. Tao trouva qu’il s’agissait d’un bon tabouret et grimpa sur le cube de plastique. Les deux billes noires sur son visage innocent me lancèrent un regard lourd d’inquiétude.

— On va retrouver maman, promis-je.

Avec un double tourment coincé dans la gorge, je retirai mon iPhone de la poche de mon jeans.

Premièrement, Françoise n’avait pas donné signe depuis plus d’une demi-heure.

Deuxièmement, je devais appeler des types qui me refilaient la nausée. Les flics.

Autant demander à un agneau de causer à un loup.

* * *

Je venais de la banlieue, du célèbre département de Seine-Saint Denis. Le « neuf-trois » comme l’aime à le surnommer les jeunes de la cité : les racailles. Moi, ça ne me gêne pas d’en parler. Avant d’être chef d’entreprise, j’en étais une.

Alors comment passe-t-on de la rue à une tour d’ivoire ? Vous voudriez connaître mon secret ? Le secret de la réussite ? Je ne le connais pas moi-même. Tout ce que je peux raconter, c’est mon parcours. Et il n’est pas à prendre en exemple. Une idée avait germé en moi, lors de la bulle internet. Après des études d’informaticiens, j’avais vu mes camarades de promo se déchirer pour une place sur la toile. Mes potes de classe avaient investi leurs économies (et souvent celles de leurs vieux) pour façonner des châteaux de sable.

Mais avec quoi fabrique-t-on des châteaux de sable ? Avec des seaux et des pelles. Au début des années 2000, fleurant le filon et le fric, j’avais vendu des modems et autres équipements de réseaux. Mes clients, galvanisés par des réussites virtuelles, m’achetaient du matos. Plein de matos.

Je me suis enrichi sur leur dos. Pendant qu’eux se rattachaient à des utopies numériques, moi j’amassais des bénéfices. Du fric sonnant et trébuchant. Internet était comme une ruée vers l’or, il y avait les chercheurs et les profiteurs. Moi, je faisais partie de la deuxième catégorie.

Avant de devenir un vautour capitaliste, j’étais donc une racaille. Je trainais mon cul à travers la cité de Noisy-le-Grand où j’étais une célébrité. Déjà petit, je fournissais du matos de contrebande. Mon oncle tenait une boutique d’informatique dans le centre commercial. Il y vendait des PC que j’assemblais après le lycée. Les pièces détachées étaient envoyées au compte goutte depuis la Chine. Ma famille restée là-bas me fournissait tout ce que je voulais. Pas de frais de douanes, ou très rarement. On se faisait un fric monstre.

Puis, avec l’arrivée des téléphones portables, j’avais étendu mon activité. Je distribuais les derniers modèles à tous les caïds du quartier. On s’arrachait ces petits bijoux de technologie, très utiles pour être alertés des descentes des flics. Mes potes faisaient fructifier leur trafic de drogue. Moi, j’étais plus malin. Je ne touchais pas à la dope. Et ma petite entreprise se cachait derrière des circuits d’approvisionnement complexes. Les flics avec leur crâne de bulot n’avaient jamais réussi à remonter ma filière. J’ai connu la garde à vue et l’humiliation de la fouille au corps. Mais ça s’arrêtait là. Après coup, j’avais trouvé une parade : ils effaçaient mon ardoise contre un petit cadeau. Je leur avais servi des noms de petits malfrats. Et des fois je leur avais donné mon téléphone portable.

J’appréhendais ma rencontre avec les flics qui, pour moi, n’étaient qu’un ramassis d’incompétents et de pourris.

* * *

Quelques minutes après mon appel, une Ford aux couleurs de la gendarmerie stationna sur l’aire d’autoroute. Deux condés en sortirent. Je m’efforçais de rester calme, mais la vue de leur uniforme me révulsait. Allant à leur rencontre, l’un d’eux se présenta. Il tendit une poignée de main que je saisis de mauvaise grâce. Avec amabilité, il me posa une série de questions. Le ton contrastait avec celui des flics de ma banlieue. L’autre me lança une phrase bienveillante, réconfortante. Je faillis presque par les trouver sympathiques.

Les questions s’enchainaient et mon angoisse augmentait. On avait acheté des casse-dalles dans le relais routier, de l’autre côté de l’autoroute. Une passerelle surplombait l’autoroute. On l’avait traversé au sens aller et on était revenu. Tous les trois. J’étais formel. Au moment d’entrer dans la voiture, ma femme avait souhaité faire un tour aux toilettes. Pendant ce temps, Tao avait refusé d’engloutir son burger. A vrai dire, le sandwich était presque aussi gros que sa tête. Ensuite, j’avais sorti la glacière pour le ranger avec le reste de notre bouffe.

Après mon récit, les gendarmes ne savaient pas quoi chercher. Ils m’interrogèrent même sur ma relation avec Françoise.

— Est-ce que vous vous êtes disputé avec elle ? demanda poliment l’officier.

— Non ! Jamais de la vie !

A ce moment Tao bondit de sa boite pour interrompre la conversation.

— Si ! Maman t’a demandé de faire taire ta poufiasse !

Les deux gendarmes toisèrent mon fils avec un œil intéressé. Je fus obligé de me justifier :

— Poufiasse, c’est le nom que Françoise donne à mon GPS.

— D’accord. Votre épouse s’appelle Françoise Chan. Elle mesure un mètre soixante-dix. Avez-vous une photo ?

— Certainement, dans mon sac…

J’ouvris la portière de mon Audi, sous les regards jaloux des deux officiers. J’avais glissé au pied du fauteuil un sac en cuir dans lequel j’avais mon portefeuille. Je plongeais dans l’habitacle à sa recherche, mais je ne le trouvais pas.

— Je suis désolé, mes papiers ont aussi disparu, dis-je en me redressant. Ma femme devait garder mon sac.

— Et sur votre téléphone ? Avez-vous des photos ?

— Oui, je peux envoyer des fichiers par e-mail.

Prenant soin d’éviter les clichés trop sexy, je choisis quelques images que je transférai à l’adresse qu’on me dicta.

— Où allez-vous ? ajouta le gendarme.

— A la campagne, dans le massif du Mont Dore en Auvergne... Nous avons loué une villa au bord d’un lac.

— Ecoutez. Avec cette chaleur, je vous déconseille d’attendre ici. Rejoignez votre destination. Nous avons votre numéro. Nous vous recontacterons.

— Alors c’est tout ? m’écriai-je. Vous prenez ma déposition et vous partez comme si de rien n’était ? Vous ne déclenchez pas l’alerte enlèvement ?

J’avais déjà perdu mon sang froid. Mais là, leur passivité m’exaspérait. Ma voix n’était qu’une éruption de colère. Je lâchai quelques obscénités en oubliant Tao qui se tenait à côté de moi. Le gendarme posa une main sur mon épaule. Un geste compatissant qui me calma instantanément.

— Nous faisons notre travail, monsieur Chan. Je vous promets qu’on mettra tous nos moyens en œuvre. Dans quelques secondes, le portrait de votre femme circulera à chaque péage.

— Je suis désolé, fis-je honteusement. Je suis à bout de nerfs.

Les deux gendarmes gagnèrent dans leur Ford bleu. Au moment d’ouvrir la portière, un des officiers me lança :

— Monsieur Chan, étant donné la circonstance, je ne vous verbalise pas. Mais votre fils doit voyager avec un réhausseur. C’est obligatoire à son âge !

Sur ces mots, il claqua la porte. Le véhicule alluma ses gyrophares et fendit un attroupement de vacanciers curieux.

Mais qu’est-ce qu’il me chantait ce poulet ? Tao avait un réhausseur à l’arrière de ma voiture. A moins que…

Rongé par la panique j’ouvris la porte arrière. Sur la banquette, il n’y avait rien. Pas de réhausseur. Je reculai, puis je fis le tour de l’Audi.

Les plaques d’immatriculation affichaient le département numéro 13.

Ce n’était pas ma voiture.

* * *

Encore une malchance. Deux voitures identiques s’étaient retrouvées garées sur la même aire d’autoroute, à la même heure. Et comme par hasard, l’une d’entre elles m’appartenait. Quant à l’autre Audi, j’espérais que son propriétaire se manifesterait. Une idée tordue germait en moi. Des scénarios s’entrechoquaient dans mon crâne comme des balles dans un flipper. Et si on s’était trompé de véhicule ?

Non, peu probable. La meilleure hypothèse fut que Françoise eût foutu le camp avec notre bagnole. Elle nous aurait abandonnés pour une raison qui m’échappe encore.

Une nouvelle fois, je tentais de refaire le parcours qui nous avait séparés. Je revivais le film des dernières minutes. Devais-je rappeler les gendarmes ? Je leur aurais raconté que ma voiture avait disparu avec ma femme. Là, on se serait gaussé ! J’imaginais déjà ce que penseraient les keufs : Françoise nous avait plantés.

— Papa ! J’ai soif !

Tao escaladait mon pantalon pour réclamer son jus d’orange. Je ressortis une bouteille presque vide, d’un air navré.

— Voilà, mon chaton, dis-je en lui tendant la maigre boisson.

— J’ai encore soif ! se plaignit Tao après sa gorgée.

— Je n’ai plus rien.

Plus rien. C’était vraiment le cas. Ma voiture, mes papiers, mon fric, mes bagages. Voilà l’inventaire à la Prévert des choses qui me manquaient. Et Françoise.

Le propriétaire de l’Audi A6 se moquait d’avoir laissé les clés sur le contact. Il ne revenait pas. A croire que lui aussi s’était volatilisé. Moi-même ancien possesseur d’un tel bolide, je ne souhaiterais pas me le faire tirer.

— J’ai soif ! insista Tao.

— On retourne au restaurant. Je vais acheter à boire.

— Youpi !

Cela dit, je fouillai dans ma poche à la recherche de quelques pièces. Mais je n’en retirai que quelques centimes. Peut-être que dans l’Audi je dénicherais de la mitraille qu’on aurait gardée pour les péages ?

Sans scrupules, ma main s’inséra dans les vide-poches. Je la glissai sur le haut du tableau de bord. Rien. Puis j’ouvris la boite à gants. Et là, grosse surprise.

J’en sortis un rouleau de billets. Une liasse de billets tellement épaisse qu’elle tenait tout juste dans ma main. Rares étaient les personnes se trimballant avec autant de liquide. Un commerçant, certainement.

Mon fils avait soif. La fournaise de l’été nous écrasait. Mon choix fut vite expédié. Je fis sauter l’élastique du rouleau et en retira un billet. Certain que ça ne lui manquerait pas. Au pire je le rembourserais plus tard.

Alors, je pris les clés, claquai la portière et verrouillai la caisse d’une pression sur le bip. Je demandai un papier et crayon à une famille qui mangeait non loin. J’écrivis un mot pour le propriétaire de l’Audi, en lui laissant mon numéro de portable.

* * *

Dix minutes plus tard, Tao et moi étions attablés dans le relais routier. Cette bicoque avait été construite dans les années 80 et elle baignait dans son jus. Rien n’avait été refait, tout avait été rafistolé. Les abat-jours des plafonniers étaient mités, rapiécés avec du chatterton. Le formica des meubles s’écaillait. Les chaises tombaient en miettes et des grosses vis chevillaient les pieds pour éviter qu’ils ne se barrent.

Une verrière en polycarbonate laissait filtrer les rayons ardents du jour. Quelques ventilateurs en bakélite nous crachaient un peu de fraicheur. Sous cet abri, des vacanciers s’amoncelaient au gré des arrivées. Je jaugeais toutes ces personnes qui avaient le même but : se ressourcer après une année pleine de labeurs. Ce flot humain se déversait comme chaque week-end de juillet sur les autoroutes françaises. Telle une batterie d’oiseaux migrateurs, ces hommes et femmes s’accumulaient ici, avant de reprendre, comme chaque année, le chemin du soleil.

Moi je n’étais pas bien différent. Françoise et moi avions réservé notre résidence au calme, loin du béton parisien. Puis nous avions chargé le coffre de vêtements et de notre réserve de nourriture. Jugeant qu’on avait de la place, on avait permis à Tao d’emmener un tas de jouets inutiles.

A côté de moi, une famille se déchirait pour savoir qui jouerait à l’unique Nintendo. D’autres se plaisaient à s’imaginer leur camping. Tandis que certains rejoignaient leurs grands-parents et cousins.

Je ne suis pas sociologue, mais, dans ce restaurant, j’y retrouvais une réduction de la France. Comme si un modéliste avait miniaturisé la population dans cette baraque.

— On va quand même aller en vacances ? me demanda Tao.

— Bien sûr.

A vrai dire, je n’y croyais pas. J’ignore si c’est bien de mentir à son môme. J’imagine que je lui disais ce qu’il voulait entendre, pour son bien.

Nerveusement, j’effleurai l’écran de mon iPhone. Un peu comme Aladdin voulant faire sortir le génie de la lampe, j’espérais déclencher un coup de fil. Le propriétaire de l’Audi. Les flics. Françoise.

Mais aucun son ne s’échappa de mon portable. Le mutisme de mon appareil m’angoissait. J’avais envie de lui ordonner, à vive voix, de sonner. Sonne, bon sang !

Pour tuer le temps, je composai à nouveau le numéro de Françoise. Son téléphone n’était pas coupé. Mais personne ne décrocha…

Soudain, j’entendis une musique. Le groupe Black Eyed Peas envoyait leur célèbre tube « Boom boom boom ». C’était le morceau préféré de Françoise. Mais c’était surtout la sonnerie de son portable.

Je coupai mon iPhone. La musique se tut instantanément. J’appelai de nouveau le téléphone de Françoise, le son électro se propagea dans la salle du restaurant.

— C’est la chanson de maman ! s’écria mon fils

— Oui, ne bouge pas. Je reviens.

Je suivis la musique jusqu’à une table où déjeunait un couple et ses deux enfants. La fille, en âge d’aller au collège, avait l’iPhone de Françoise.

— Excusez-moi, leur dis-je. C’est le téléphone de ma femme.

Le père semblait confus, voire coupable, comme pris la main dans le sac.

— Je suis désolé. On a trouvé cet iPhone tout à l’heure, par terre, devant le restaurant.

— Rendez-le-moi.

L’homme fixa sa fille, puis d’un signe il lui demanda de me remettre l’iPhone. Avec une mine renfrognée, la collégienne me tendit l’appareil. Elle me le jeta presque à la gueule.

Avec cette trouvaille, l’espoir de tracer la piste de Françoise s’amenuisait. Les gendarmes souhaitaient trianguler le numéro de portable. C’était mort.

 * * *

Une heure passée dans cette gargote, et je n’avais toujours pas de nouvelles. Je m’étais résigné à informer la gendarmerie de mes deux problèmes : le téléphone de Françoise et ma voiture. Et puis il y avait la voiture jumelle de la mienne, l’Audi abandonnée. A tout hasard, je demandai :

— Si je vous donne son numéro de plaque, pourriez-vous me dire à qui elle appartient?

— Désolé, il m’est interdit de vous fournir l’identité d’un propriétaire. Mais si quelqu’un réclame cette voiture, nous saurons comment vous joindre.

— D’accord.

— Courage, monsieur Chan.

Je raccrochai. Autour de moi, les tables se vidaient. Je compris qu’on avait largement dépassé l’heure du déjeuner. Ma montre affichait 15 :48.

Maintenant que faire ? A moins de piquer dans la liasse de billets, je n’avais aucun moyen de payer un moyen de transport. Par chance, Tao se montrait calme. Il s’était même assoupi sur la banquette. Pour tuer le temps, et surtout pour éviter de gamberger, je m’allongeai à mon tour. Je repliai les jambes vers moi. Je tentais de m’endormir. Mais rien n’y fit, mon cerveau était devenu une mélasse bouillonnante… Impossible de fermer une paupière.

* * *

— Monsieur, s’il vous plait ! Ici c’est un restaurant ! Votre gamin n’a pas à pioncer. Vous consommez ou vous mettez les voiles !

Un homme se penchait vers moi. En arrière plan j’avais la salle hideuse avec ses tables en formica. Sur la banquette en face de moi, Tao dormait toujours.

Mon casseur de sommeil devait être le tenancier de l’établissement. Du moins, il portait des fringues périmées et en harmonie avec le lieu.

Je me redressai et passai une main dans mes cheveux ébouriffés.

— Ce n’est pas un hôtel, me gronda le patron du restaurant.

— C’est sûr.

Sa banquette, confortable comme un oursin, n’aurait pas fait mon meilleur lit. Alors je m’étirai pour atténuer mes courbatures, puis je sortis Tao des bras de Morphée. Mon petit bonhomme se frotta les yeux. Il accrocha ses bras autour de mon cou et se laissa porter. Le pauvre, d’habitude si énergique, n’avait pas la force de se mouvoir.

Sous les yeux accusateurs du patron, je fendis une foule de vacanciers. A en juger par l’affluence, je m’étais rongé les sangs toute l’après-midi. Poussant la porte du restaurant, ma montre me donna raison, il était 19:00.

Je gagnai la passerelle, le grand pont qui enjambait la voie rapide. Sous mes pieds une furie mécanique valsait de gauche à droite. Puis en sens contraire.

Arrivé de l’autre côté, je rejoignis l’Audi A6 délaissée par son conducteur. Je constatai que le mot glissé sur le pare-brise n’avait pas bougé. L’idée qu’on eût interverti nos véhicules se fit de plus en plus plausible.

Je posai doucement Tao à terre. Puis j’ouvris la voiture comme s’il s’agissait de la mienne. Je me ruai dans l’habitacle à la recherche d’un indice. Une facture, un téléphone… Mais je ne trouvai rien. Je poussai la clé dans le contact et j’allumai le GPS. Peut-être que le domicile du propriétaire serait enregistré dans les adresses favorites. Non, rien.

Je soupirai. Pendant ce temps, Tao s’était réfugié à l’arrière de l’Audi.

— On a perdu mon petit fauteuil ! geignit-il.

Tao n’avait pas compris que cette bagnole n’était pas la nôtre. Je soupirai d’impuissance. Puis, me gardant de le lui avouer, je sortis inspecter le coffre. A en croire les amortisseurs, le propriétaire ne voyageait pas léger. J’appuyai sur le bouton. Le coffre s’ouvrit avec un sifflement électrique.

A mon grand étonnement, il n’y avait aucun bagage à l’arrière. Par contre, des cartons s’entassaient, occupant tout l’espace. Ces cubes de cinquante centimètres étaient comprimés, insérés dans le coffre avec un chausse-pied. J’entrepris d’en déloger un, espérant y trouver un bon de livraison ou tout autre document.

Le carton pesait plus lourd que mon fils. Je le posai sur le bitume. Ignorant le ballet de véhicules qui rasait mon postérieur, je cisaillai le ruban adhésif avec la clé.

Je dépliai les rabats. Je découvris son contenu. Aussitôt je remballai la marchandise et la chargeai dans la voiture.

De la drogue.

De la cocaïne.

Synopsis des 10 épisodes.

1

Partie de la banlieue parisienne pour rejoindre sa résidence de vacances, la famille Chan s’arrête pour manger sur une aire d’autoroute. Paul voyage avec sa femme Françoise et son fils Tao. Sa femme disparait au moment de partir. Après avoir averti la gendarmerie, il constate que sa voiture a été échangée par une autre. Puis il découvre que le coffre est rempli de cocaïne.

2

Paul prend la route, dans la voiture chargée de drogue. Il pense avoir trouvé le fil : un dealer a paniqué et aurait confondu les deux voitures. Pensant que ce dealer détient Françoise, Paul veut prévenir la police. Entretemps Tao tombe malade. Puis une personne l’appelle sur son portable. Elle lui demande de faire la mule.

3

La voix au téléphone confirme que Françoise est entre ses mains. Le ravisseur menace de la tuer. Paul est contraint de passer de la drogue. Pour cela il doit suivre un itinéraire que le dicte son mystérieux interlocuteur. Paul doit faire un choix, trouver un médecin pour Tao ou sauver Françoise. A un barrage de police, Paul ralentit. Soudain son portable sonne. Le ravisseur lui demande d’accélérer.

4

Après une course poursuite, Paul trouve refuge dans une ferme. Il constate que la voiture est piégée : on a placé une caméra et des micros dans l’habitacle. Avant de partir en vacances, le couple battait de l’aile. Perriot, le fermier, aide Paul à soigner Tao. Paul cache la drogue dans une grange. Il veut faire chanter le dealer.

5

Grâce à l’historique du GPS, Paul trouve le dealer : Vince, un vieil ami. Celui-ci voulait se venger. Lorsqu’ils étaient jeunes, Paul l’avait balancé. Vince était une petite frappe du clan Simoni, la pègre marseillaise. Vince s’échappe et se tue sur l’autoroute. Paul retrouve sa voiture. En fouillant, il trouve un mot d’adieu de Françoise.

6

Dans sa lettre, Françoise évoque un éventuel suicide. Désespéré, Paul entre dans une station-service pour faire le plein. Par hasard, son portable trouve une connexion avec une oreillette bluetooth. Cette oreillette avait appartenu à sa femme. Paul demande à voir les vidéos de surveillance. La propriétaire fait mine d’accéder à sa requête, puis elle l’assomme et le séquestre.

7

Le petit Tao trouve le moyen de faire sortir son père. Une fois hors de sa geôle, Paul va interroger la femme de la station-service. Cette dernière dit ne pas connaitre sa femme comme étant Françoise, mais Valérie. Paul accède quand même aux vidéos. Sur une image, on voit Françoise partir avec un inconnu. Ils semblent assez intimes.

8

Paul a déjà trompé sa femme. Il le regrette. Il comprend maintenant le mal qu’il a causé. Françoise a changé d’identité. Aux informations, on décrit l’assassinat d’un fermier. Paul reconnait la victime : Pierrot qui a soigné Tao.

9

Tao est laissé à l’assistante sociale. Paul est mis en garde à vue. On a trouvé ses empreintes sur les lieux du crime. On l’a vu payer avec de l’argent sale, l’argent de la drogue. Quelqu’un lui trouve un alibi. Sortant du commissariat, Paul ignore qui est ce bienfaiteur. Contre toute attente, il voit un homme. La cinquantaine, il dit s’appeler André Simoni. Paul reconnait le type qui était avec Françoise à la station-service.

10

Le dernier péage. André Simoni se présente comme un ami de Françoise. Mais Paul a baigné dans le milieu de la drogue étant jeune. Il sait qu’André Simoni travaille pour la pègre. Tous les deux filent vers un village en Auvergne. Dans une villa, Françoise et Tao les attendent. Paul s’installe et trouve, par hasard, un papier au nom de Valérie Simoni. Il comprend qu’il est marié avec une fille de la mafia.

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