commencée par la fin
Sabrina Bellon
Commencée par la fin
Alors, il ouvrit la porte. Je ne le reconnus pas, au point d’être surprise de l’avoir déjà vu. Il ne me plut même pas. Pourtant, je savais que je coucherais avec lui dans la soirée. Je le voulais pour C.
J’entrai. Ma bouche, déçue et maladroite, dit un timide bonjour, ainsi qu’un « j’ai apporté des bières ».
Je le regardai avec un léger sourire quand mes yeux s’arrêtèrent sur une partie de son anatomie. Ses oreilles ! Je ne voyais qu’elles ! Avait-il seulement des cheveux ?
Lui avait l’air à l’aise, plutôt content. Il me fit m’asseoir sur le canapé, et alors que ses oreilles retenaient toute mon attention, il commença à me poser les questions habituelles auxquelles on doit faire face à chaque nouvelle rencontre. J’y répondais docilement.
J’appris qu’il était bien plus jeune que moi, presque huit ans de moins en fait. Cela me dérangea d’abord –pas autant que ses oreilles néanmoins- puis finalement, me rassura. Il se rendait ainsi un peu inoffensif. Il n’était pas bien grand non plus, puis assez maigrelet. Ca serait l’histoire d’un soir et puis voilà.
On parla de C. A ce moment-là, il commença à m’intéresser car il avait la même vision que moi du personnage. Comme c’était un personnage qui me fascinait et qui, quelque part, avait transformé ma vie, j’étais satisfaite que quelqu’un d’autre ait pu en avoir la même lecture. Cela me donnait du crédit, cela lui donnait du crédit.
« Des fraises, tu veux des fraises ? ».
On continua à discuter de choses et d’autres et puis ce qui devait arriver –j’étais quand même là pour ça !- arriva. Il commença à me toucher, à me caresser…à m’embrasser. Je me laissai faire, ne sachant que faire d’autre. Il avait l’air d’y trouver beaucoup de plaisir. Je continuai à me laisser faire. Ses oreilles étaient toujours là.
Tout à coup, il me porta et m’emmena jusque dans la chambre, telle une princesse ! « Il est peut-être maigrelet mais costaud », pensai-je, « et romantique… ? ».
Alors qu’il se déshabillait, alors qu’il me déshabillait, je ne vis plus ses oreilles mais un corps d’homme, un beau corps.
La rencontre de nos nudités commença. Des mouvements naquirent. Des soupirs aussi.
Je sentais son désir. Je ne sentais pas le mien.
Il me surprit. Il révéla une fougue qu’il m’avait cachée jusque là, une certaine inconvenance aussi. Mais cela ne me suffit pas.
Son désir, son envie restaient intacts. Moi, je trouvais le temps long.
Quand enfin, il cessa sa chevauchée, je lui dis un peu abruptement que je devais partir. En effet, il était déjà tard et il était hors de question que je restasse dormir avec lui. Il insista mais je ne cédai pas. Je voulais partir. J’avais rempli ma part du contrat.
Il m’accompagna jusqu’au vélo que j’avais laissé dans la rue, mais n’attendit pas mon départ. Il s’en retourna aussitôt, triste.
Le lendemain, alors que j’allais effacer son numéro de mon portable, il me laissa un message tendre et, quelque peu passionnel, qui appelait une suite. Pour moi, il n’y en avait pas. C’était convenu comme ça ! « Encore un qui allait me coller ! ». Je tentai ainsi de lui expliquer la chose.
Quelques jours après, je reçus un nouveau message. Il me proposait d’aller voir un film. Bon, pourquoi pas.
Quelques films plus tard, il me fit comprendre qu’il était fou de moi. J’étais plus qu’embarrassée. Pour moi, c’était juste un bon compagnon de cinéma. Il m’embrassa plusieurs fois. Je me laissai faire, pour lui faire plaisir. Mais il voulait plus. Je lui dis que c’était impossible, pour le moment mais qu’ « on ne sait jamais, avec la vie…et puis, tout évolue, tout change… ». Il se fit alors une raison.
Tout allait bien –pour moi- On continuait de se voir pour aller au cinéma, on discutait beaucoup, on se découvrait aussi. Il arrivait à me dissimuler son désir, qui, loin de diminuer, s’attisait. Mon désir, lui, restait inexistant.
Pourtant, un soir, tout bascula : Cris me toucha, m’émut. C’était ce moment, pas facile, juste après une projection de film. Ce soir-là fut un moment de silence, un long moment de silence, pendant lequel ses yeux parlèrent mais sa bouche se tut, par respect. Ce soir-là fut un moment que je n’oublierai pas, ce soir-là fut le moment où je l’ai aimé.
Ce soir-là je réalisais que nous avions commencé notre histoire par la fin.