Comment éviter un paradoxe temporel ?

Steve Grau

Un groupe de scientifique découvre le voyage dans le temps et sont vite déçus lorsque des paradoxes les empêchent de changer le passé. Ils feront tout pour comprendre comment résoudre ce problème.



          La salle de contrôle dégageait une nouveauté stimulante depuis la dernière fois que Thomas était venu. Elle portait fièrement sa nouvelle couche de peinture toute fraîche et abritait une dizaine d'ordinateurs dernière génération. Un subtil stratagème de la Direction, qui ne l'empêcherait pas de se rappeler tous ceux qui étaient morts.

L'accélérateur de particules servait à précipiter des particules atomiques à toute vitesse pour les faire entrer en collision. Le projet de l'an dernier était d'ouvrir des mini trous noirs pour l'étude de la physique quantique, voir même prouver l'existence de monde parallèle. Mais l'expérience s'était terminée en catastrophe lorsqu'une explosion inattendue avait tué cinquante personnes. Ce fut un coup du sort qui obligea Thomas à quitter la salle de contrôle pour vérifier un équipement de cryogénisation. Une minute de plus ou de moins et il serait mort lui aussi. Pourtant, il avait survécu. Revenir dans cette salle lui rappela tout ce qui s'était passé. Cela faisait déjà un an, mais certaines blessures ne se refermaient jamais.

Les longs travaux étaient enfin terminés et la nouvelle installation allait réaliser sa première expérience. Aujourd'hui encore, personne ne savait ce qui était arrivé l'an dernier et c'était la mission de Thomas et de ses nouveaux collègues. Une dizaine de chercheurs et ingénieurs étaient installés dans la salle devant leurs ordinateurs. Le responsable de l'équipe, un vieil homme prénommé Henry, s'apprêta à commencer l'expérience lorsqu'un homme entra brusquement dans la salle.

— Les mesures de sécurité sont elles en place ? demanda le Directeur Antoine Richard.

— Vérifié et revérifié ! affirma Henry.

— Thomas ?

— Oui Monsieur, tout est bon. La puissance utilisée est cent fois moins importante que celle de l'an dernier.

— Bien. Faites attention, un nouvel accident et on sera sur la paille, les prévint-il.

Richard resta debout dans la salle en observant tout le monde. C'était un homme d'affaires en costard cravate qui ne pensait qu'en terme de profit. Thomas était le seul présent lors de l'accident et le Directeur Richard se référait souvent à lui. Ce qui lui rajoutait une grande pression sur les épaules. Anna posa sa main sur le bras de Thomas pour le rassurer.

— Ça va bien se passer.

— J'espère, marmonna-t-il absorbé dans son travail.

L'équipe était prête et Henry lança le feu vert. Les chercheurs enclenchèrent la procédure et les ordinateurs exécutèrent leurs calculs. Les particules atomiques entrèrent en collision à toute allure sans que rien de spectaculaire ne se produise. Tout se passait dans le conduit de l'accélérateur à une échelle trop petite pour être visible à l'œil nu. Au lieu de cela, les scientifiques reçurent une foule de données grâce aux détecteurs qui observaient le phénomène. Tout le monde avait maintenant un travail colossal pour analyser ce qui s'était passé.

Thomas resta tard le soir dans son atelier malgré le départ de ses collègues. L'expérience réalisée était identique à celle de l'accident, avec une puissance inférieur et une sécurité accrue. Rien n'expliquait ce qui s'était passé l'an dernier. En revanche, quelque chose d'autre attira son attention. Un problème de quantité dans les particules utilisées. A un moment, il y en avait trop, puis à un autre, il n'y en avait pas assez. Pourtant, rien ne se créait ou se perdait par hasard. Surtout que l'expérience n'avait pas encore commencé. Puis il comprit. Ces particules avaient voyagé dans le temps.

 

 

           Cela faisait deux semaines que Thomas ne dormait et ne mangeait plus. Il n'avait fait part à personne de sa découverte dont il était certain. Aujourd'hui, la nouvelle expérience allait prouver qu'il avait raison. Il s'apprêta à entrer dans la salle de contrôle, lorsqu'Anna lui bloqua le passage.

— Depuis combien de temps n'as-tu pas dormi ?

— J'ai dormi cette nuit, râla-t-il.

— Tes yeux rouges me disent le contraire.

— C'est ma responsabilité de comprendre ce qui s'est passé, de découvrir pourquoi ils sont morts.

— Mais tu n'y es pour rien. 

— C'était notre expérience et elle a été un échec. Un échec qui leur a coûté la vie ! Sauf la mienne. Alors je ne me reposerai pas tant que je n'aurai pas fini. Je leur dois au moins ça.

Il entra agacé dans la salle de contrôle où se trouvait déjà le reste de l'équipe de scientifiques. Il s'assit à sa place et Anna fit de même. C'était une jeune ingénieure recrutée il y a quelques mois. Thomas la trouvait assez jolie avec ses cheveux noirs, mais il n'avait pas de temps à perdre pour ce genre de chose. Plus depuis l'accident. Henry le tira de ses pensées.

— Puis-je savoir ce que cette chose fait à l'intérieur de l'accélérateur ? demanda-t-il en regardant un écran vidéo sans se soucier de sa mauvaise haleine.

— C'est une chaise en métal très inconfortable, mais vous verrez bientôt à quoi elle sert.

— Je n'ai jamais vu une expérience où on met quelque chose « dans » le tube de l'accélérateur !

— C'est nécessaire pour ce que je veux démontrer.

— Vous avez de la chance que le directeur ait validé ça ! Tout est prêt, on peut commencer l'expérience en avance.

— Non, on ne change pas l'heure, c'est très important.

— Alors pourquoi est on là si tôt ? Qu'es-ce qu'on attend ?

— Je ne sais pas quand ça viendra, mais ça viendra.

L'heure de l'expérience approcha et les chercheurs s'impatientèrent. Le directeur Richard entra et un lourd silence pesa dans la salle.  

— Je ne comprends pas, s'énerva Thomas.

— Peu importe, on y va ! ordonna Richard.

Les chercheurs actionnèrent les commandes selon la procédure, puis l'expérience se réalisa. La chaise disparut soudainement sans que personne ne comprenne.

— Qu'est-ce qui s'est passé ? demanda l'un des ingénieurs.

— C'est de la destruction de matière ? s'interrogea Henry.

— Thomas, qu'est-ce que ça veut dire ? demanda Richard. Où est passée cette chaise ?

— Elle doit être dans l'accélérateur, déclara Thomas avec émerveillement. Inspectez tout !

— Il y a des kilomètres de tunnel !

— J'ai dit tout, elle est forcément quelque part !

— Je l'ai trouvée, intervint Anna dont l'écran affichait une portion de l'intérieur de l'anneau.

— Où ça ? demanda Henry.

— Depuis combien de temps est-elle là ? demanda Thomas en s'approchant.

Elle fit défiler la vidéo en arrière et s'arrêta lorsqu'elle ne la vit plus. Elle ralentit ensuite la vidéo au moment où elle se matérialisa comme par magie.  

— Elle est là depuis une demi-heure ! déclara-t-elle choquée.

— Impossible ! s'énerva Henry.

— Si, c'est un voyage dans le temps ! déclara Thomas. C'est ce qui s'est passé il y a deux semaines pour les particules de l'accélérateur et maintenant pour cet objet imposant. Vous pouvez faire tous les tests que vous désirez, les faits sont là !

— Belle blague Thomas ! C'est juste un montage vidéo, affirma Henry.

— C'est une procédure sérieuse qui nous coûte de l'argent Thomas, plus que tous vos salaires réunis ! le menaça Richard.

— Vérifiez les détecteurs, il y a des choses qu'on ne peut pas trafiquer. Je vais aller analyser tout ça dans mon atelier. On se revoit quand vous aurez compris.

— Je vous interdis de partir comme ça ! le menaça Richard.

Thomas sortit quand même de la salle, en claquant involontairement la porte comme un adolescent.

 


      Après une minutieuse enquête sur tous les appareils de mesure et les relevés de l'expérience, il s'était avéré que Thomas avait raison. L'équipe de chercheurs avait été tellement excitée qu'ils en avaient oublié de s'excuser auprès de lui pour ne pas l'avoir cru. Après trois jours et trois essais sur l'accélérateur, ils avaient réussi à envoyer un scooter, un ballon gonflable et une poule dans un passé proche. Aujourd'hui, ils étaient capables d'envoyer n'importe quoi dans le passé, vivant ou mort, dur ou mou, à la date qu'ils voulaient, exactement où ils voulaient dans l'accélérateur.

Au matin du quatrième jour, tout le monde se préparait à un nouveau test, excité par ce qui arrivait. Thomas était avec le directeur Richard à l'intérieur du tunnel de l'accélérateur pour placer le nouvel objet. Le conduit où voyageaient les particules était nettement plus gros pour cette génération bien plus puissante, au point qu'on aurait pu y faire entrer un homme.

— C'est dommage que tant de personnes soient mortes pour une telle découverte, commenta Richard.

— Nous avons sécurisé la réaction maintenant, mais on n'avait aucune idée de ce qu'on faisait à l'époque, répondit Thomas d'un air triste. Quel est le but de ce quatrième test ?

— Etude des applications du voyage dans le temps, dit-il en posant une feuille au centre du conduit de l'accélérateur.

— A quoi correspondent ces numéros ? Ce sont les chiffres du loto !

— Et les bons ! J'étais dans l'accélérateur à dix heures trente hier. Le but est de m'envoyer ce message à cette heure-là.

Thomas fut stupéfiait de voir avec quelle aisance Richard profitait personnellement de cette invention. Mais c'était son patron et c'était lui qui décidait. Ils remontèrent dans la salle de contrôle et démarrèrent l'expérience. Tout se déroula parfaitement bien, à une exception près, c'était que le papier était toujours au même endroit, ce qui ne manqua pas d'énerver le directeur Richard.

— Qu'est-ce qui s'est passé ? Pourquoi avez-vous échoué !

— Je ne sais pas, répondit Henry perplexe. Tout semble normal.

— Je n'ai rien reçu hier, alors rien n'est normal ! Thomas ?

— La moindre erreur de calcul ou le moindre défaut dans le matériel aurait pu empêcher la réaction, précisa Thomas.

— Pourtant nous vérifions tout dix fois, s'indigna Henry.

— Alors revérifiez ! Faites moi fonctionner cette machine !

Ce fut lui cette fois qui claqua la porte en sortant. Tout le monde travailla sans relâche jusqu'à la nuit et même plus. Car Thomas plus que les autres avait besoin que cela fonctionne.

 

 

        Le lendemain, pour le nouvel essai, Thomas rejoignit Henry dans le tunnel de l'accélérateur. Il était en train de placer à l'intérieur du conduit un papier dont le message disait de déchirer le calendrier de la salle de repos. Une expérience minime afin de prouver que le passé pouvait être changé. Mais ce n'était pas assez pour Thomas.

— Tenez, prenez ça, dit-il en lui tendant une feuille. C'est un message pour Alex.

— Alex ? Votre ancien responsable ? Ne me dites pas que vous voulez…

— Empêcher l'accident de l'an dernier. Quitte à faire des tests, autant être productif.

— Un an en arrière ! Ça va demander beaucoup de puissance !

— C'est pourquoi l'objet en question est petit.

— Si ça fonctionne, ça va radicalement changer la vie de tout le monde ici !

— Est-ce que ça ne vaut pas la vie de cinquante trois personnes ? demanda Thomas avec insistance.

— Changer la réalité n'est pas rien, marmonna-t-il. Avec la causalité …

— Vous aviez des amis parmi eux Henry !

— C'est vrai, vous avez raison. Mais le directeur Richard n'acceptera jamais.

— Alors, ne lui dite rien. Ne dites pas ce qu'il y a sur la feuille.

— D'accord, je vais essayer.  

Ils remontèrent dans la salle de contrôle où les attendaient le directeur Richard et Henry changea secrètement la date d'arrivée du papier. Ils commencèrent ensuite la procédure et la réaction eut lieu. Et comme la dernière fois, le papier ne bougea pas d'une seconde. Henry sembla soulagé et Richard, bien que silencieux, était encore très en colère.    

— Et si c'était juste impossible ? supposa Anna.

— C'est-à-dire ? demanda Thomas découragé.

— Si on avait envoyé le message du directeur ou celui d'aujourd'hui, cela aurait créé un paradoxe. Par ce qu'on aurait changé le passé et on n'aurait plus eu besoin d'envoyer ces messages dans le futur. Peut-être qu'on ne peut simplement pas changer le passé.

— Ne me parlez pas de paradoxe temporel ! râla Richard.

— On en a déjà parlé, déclara Thomas d'un ton catégorique. Envoyer quelque chose dans le passé, c'est déjà changer le passé. Il n'y a pas de causalité.

— Qu'est-ce qu'on en sait après tout ? demanda Henry. 

— Alors trouvez-moi une formule mathématique qui le prouve. Pendant ce temps, je vais essayer de comprendre ce qui ne fonctionne pas.

— Quoi qu'il en soit, on devrait publier nos travaux, déclara Henry. C'est trop important pour qu'on garde ça entre nous.

— Vous êtes malade ! s'énerva Richard avec une fureur inhabituelle, même pour lui. Le gouvernement s'emparerait du projet et nous mettrait sur la touche ! 

— La science se partage, Monsieur Richard. On ne la garde pas pour son profit personnel.

Le directeur le fixa d'un regard noir.

— La politique de l'entreprise vous oblige à garder le secret ! C'est bien compris ?

— Oui Monsieur.

Tout le monde retourna à son travail, mais l'excitation de la découverte du voyage dans le temps était retombée à plat.

 

 

        La journée s'acheva et Thomas resta comme à son habitude tard dans la soirée, à travailler dans son atelier. Anna toqua à sa porte. Thomas n'était pas habitué à avoir de la visite, mais il l'invita à entrer. Son atelier était chaotique et sentait le renfermé. Il l'assit sur une chaise. Elle semblait déboussolée.

— Tu ne vas pas bien ? Que se passe-t-il ?

— C'est Henry. Il est mort, répondit-elle émue.

— Comment ?

— Un accident de voiture, ses freins ont lâché.

— Je n'arrive pas à y croire, répondit-il sous le choc.

— Tu as vu sa voiture ?

— Oui, elle est à l'image de son salaire, comment cela a-t-il pu arriver ?

— Juste après le conflit avec Richard ?

— Tu ne penses quand même pas …

— Réfléchis un peu ! Richard veut le voyage dans le temps pour lui tout seul, pour son propre intérêt ! Il fera tout pour le garder. J'ai peur Thomas. Je songe vraiment à démissionner.

— Non, attends ! Il ne t'arrivera rien, je te le promets.

— Et alors ? Qu'es-ce qu'on fait ici ? Quelqu'un s'est déjà occupé des implications morales de notre invention ? Imagine les conséquences que ça va avoir sur le monde ! Imagine tout le mal qu'on pourrait faire avec !

— Et le bien aussi ! On pourrait sauver des vies grâce à ça !

— C'est ce que pensaient aussi les inventeurs de la bombe atomique ! Enfin, s'ils ne se font pas effacer par un voyage temporel … Si on arrive à changer le passé, on aura un pouvoir presque divin sur la réalité. C'est bien trop de pouvoir pour les hommes.

— Ecoute, je ne veux pas que tu partes Anna. J'ai besoin de toi ici.

— Ha bon ?

— Je sais que ça ne se voit pas beaucoup et que je suis aigri depuis l'accident. Mais tu es ma seule amie.

— J'espérais être autre chose.

Elle sortit sans lui laisser le temps de répondre. Thomas resta là, hébété, à imaginer un million de sens différent à sa dernière phrase. On refrappa à sa porte et il ouvrit aussitôt. Mais ce n'était pas elle. C'était un homme lui ressemblant comme deux gouttes d'eau qui se tenait devant la porte. Un sosie, un jumeau, un clone ! Bien sûr que non, c'était forcément le voyage dans le temps.

— Oui, je viens bien du futur Thomas, déclara cet homme.

Il entra et referma la porte derrière lui, tandis que Thomas resta ébahi par ce qui lui arrivait.

— Je viens d'un jour dans le futur.

— Tu as réussi à faire fonctionner la machine !

— Oui, même si honnêtement, je ne sais pas comment j'ai fait. Mais il y a plus important que ça. Il s'agit de Richard.

— C'est vrai ce qu'a dit Anna ?

— Je pense bien. Quoi qu'il en soit, il m'a viré aujourd'hui. Enfin dans ton demain.

— Comment ça ?  

— Il devient fou, il a dit que j'étais inutile. Hors « nous » voulons absolument sauver nos anciens collègues, alors hors de question d'être écartés. J'ai réalisé une expérience temporelle sans aucune autorisation, j'ai tout trafiqué et je me suis mis dans le conduit, espérant que ça fonctionnerait.

— Et qu'est-ce que cela t'a fait alors ?

— Honnêtement, rien, j'étais presque déçu. Je suis simplement resté dans l'accélérateur et je suis ressorti sans même être sûr d'être dans le passé. Je me suis fait le plus discret possible jusqu'à arriver ici. Le problème, c'est que c'était presque un coup de chance, je ne sais toujours pas comment faire marcher le voyage dans le temps définitivement.

— Ce n'est pas une question de paradoxe ou de causalité, sinon tu ne serais pas là.

— Il doit y avoir quelque chose qui nous échappe dans les calculs !

— Deux cerveaux valent mieux qu'un, mettons nous au travail.

Thomas et Thomas travaillèrent ensemble toute la nuit. C'était vraiment une expérience fascinante de travailler avec « soi ». Ils étaient toujours sur la même longueur d'onde. Quand l'un avait une idée qu'il n'arrivait pas à exprimer, l'autre comprenait tout de suite. L'ennui, c'est qu'aucune nouvelle idée n'apparaissait vraiment.

 

 

          Le lendemain matin, Thomas arriva à la salle de réunion avec ses nouveaux calculs, deux heures de sommeils et une surdose de caféine. Anna était toujours là et l'absence d'Henry pesait dans la salle. Le directeur Richard arriva comme à son habitude à la dernière minute.

— Je dois vous dire que je suis fatigué de tous ces échecs, déclara-t-il sans même rendre un hommage à Henry.  

Thomas sentit son licenciement arriver et commença à angoisser. Il n'avait aucune certitude que ses nouveaux calculs allaient fonctionner, mais il ne pouvait pas faire mieux. S'il échouait, même repartir dans le passé ne servirait à rien. Le directeur Richard continua de parler sans qu'il ne l'écoute, puis s'arrêta subitement. Tout le monde regarda derrière lui d'un air ahuri et il se retourna. Le Thomas du futur venait d'entrer dans la salle.

— Oui, je viens du futur ! s'exclama-t-il. Toujours envie de me virer Richard ?

Le Thomas du présent faillit faire une crise cardiaque. Ils avaient convenu de ne rien faire de stupide et il avait pensé se connaître assez bien pour lui faire confiance.   

— Et oui Thomas, ce qu'on fait ne sert absolument à rien. Continuer de faire quelque chose qui ne marche pas en espérant un résultat différent, c'est stupide. Je sais pourquoi les précédents essais n'ont pas fonctionné. C'est à cause des paradoxes, comme l'avait pressenti Anna. Si le directeur Richard avait reçu les numéros du loto dans le passé, il ne se serait pas donné la peine de les renvoyer à nouveau dans le passé. Si un corps arrivant dans le passé n'est pas renvoyé dans le passé, alors il y a un paradoxe.   

— Et que se passe-t-il en cas de paradoxe ? demanda le Thomas du présent qui ne comprenait cette fois plus du tout son homologue.

— Si toi, le Thomas du présent, tu ne repars pas dans le passé à la date exacte où je suis arrivé, alors je serais effacé du temps. Et ce à partir du moment exact où je suis arrivé, faisant que mon voyage n'aurait pas eut lieu. Je me serais simplement retrouvé face à une nouvelle expérience qui n'aurait pas marché. En d'autres termes, tout voyage dans le passé qui empêche le futur voyage de se produire ne se produit pas. 

— Donc si le Thomas du présent ne va pas dans le passé, continua Anna, toute cette réalité n'existera pas.

— C'est dur à imaginer, mais je comprends, déclara le Thomas du présent.

— Donc on ne peut rien modifier dans le passé ? insista le directeur Richard.

— Commençons déjà par envoyer mon homologue dans le passé, déclara Thomas, avant que cette réalité ne s'efface.

Cette pensée réussit à faire taire Richard et tout le monde se mit au travail.

 

 

          Quelques heures plus tard, tout le monde fut prêt pour commencer l'expérience. Les deux Thomas descendirent dans le tunnel de l'accélérateur avec Anna pour l'ultime étape.

— J'ai le trac, déclara le Thomas du présent.

— Moi aussi j'avais le trac, répondit celui du futur.

— Ça fait tellement bizarre de vous voir tous les deux ensembles, plaisanta Anna.

— Tu vois ce que tu aurais raté si tu étais parti ! s'esclaffa le Thomas du futur.

— Attendez, si on fait ce que je pense, ça comptera comme un plan à trois ?

— Très fin Thomas, ralla-t-elle. Mon dieu, je ne sais même plus qui est qui. Je ne sais même plus s'il y a toujours un dieu.

— Ben si, moi, répondit celui du présent.

— Aucune invention ne peut prouver ou contre dire l'existence dieu.

— Attends, je ne suis peut-être pas exactement le même que celui que tu étais en arrivant dans le passé. On n'a peut-être pas mangé les mêmes choses, j'ai peut-être but plus de café ? Et si ça faisait rater l'expérience ?

— A un jour près ça devrait aller.

— On va créer une boucle temporelle, en fait. Es-tu le premier Thomas à avoir voyagé dans le temps ? Où jouais-tu la comédie ?

— Peut-être, ou peut-être pas. Ne t'en fais pas, cette boucle temporelle n'arrêtera pas le temps.  

Thomas serra la main de Thomas puis se contorsionna dans le conduit. L'autre Thomas monta dans la salle de contrôle avec Anna. Ils procédèrent à l'expérience tandis que la peur d'être effacé régnait dans la salle. Tout se déroula comme prévu et Thomas disparut dans un soulagement général.

— Le temps ne s'est pas arrêté à cause de la boucle temporelle, se rassura le Thomas du futur, qui était maintenant le seul Thomas.

— Te voilà revenu le Thomas du présent finalement, déclara Anna.

— Parfait, comment peut-on changer le passé alors ? demanda Richard.

— Je crois savoir, mais je dois encore réfléchir pour être sûr. Je viens vous voir dans votre bureau dans une heure Monsieur.

— Bien, je compte sur vous. Vous allez être le premier à maîtriser le voyage dans le temps Thomas ! Imaginez toutes les possibilités !

Il sortit de la salle et laissa les scientifiques travailler. Thomas les quitta pour travailler seul dans son atelier.

 

 

       Une vingtaine de minutes plus tard, Anna entra dans l'atelier de Thomas.

— Tu sais vraiment comment changer le passé ?

— Oui, mais je ne vais pas le dire à Richard. A toi, je peux le dire. On peut tout modifier dans le passé. Il suffit juste que la version passée du corps voyageant dans le temps soit renvoyée à la date exacte où il est arrivé. Peu importe les conditions l'ayant amené à voyager dans le passé, peu importe les changements apportés sur le reste de la réalité. La seule chose qui importe, c'est que le nombre exact d'atomes arrive au même moment dans le passé, au même endroit.

— Qu'est-ce que tu vas faire ?

— Je vais utiliser l'accélérateur moi-même, comme je l'ai fait pour remonter le temps. Je vais envoyer un message au « moi » d'il y a un an pour qu'il évite l'accident. Je lui dirai de renvoyer l'exact message à la même date en lui parlant des paradoxes. Il aura un an pour envoyer le message avant que sa chronologie ne disparaisse. Je lui dirai ensuite d'effacer toutes les données permettant de voyager dans le temps.

— Donc, tout ça n'existera plus. Tout ce qu'on a vécu ?

— Pour Henry et les autres. Et pour protéger le monde.

— Dans ce cas, je peux au moins faire ça.

Elle se pencha vers lui et l'embrassa tendrement. Il fut d'abord surpris, puis lui rendit son baiser. Elle sortit alors, les larmes aux yeux. Le monde entier de Thomas venait de basculer. Il voulut tout arrêter, rester ici, avec cette femme. Plus rien n'avait d'importance. Mais il ne pouvait ignorer la mort de cinquante-quatre personnes. Alors il se remit au travail, à contre cœur.

 

 

           Après une heure de planification, le plan de Thomas était en place. Le message était dans l'accélérateur et les ordinateurs étaient correctement programmés. Seul dans la salle de contrôle, il n'avait plus qu'à appuyer sur un bouton. Il prit son courage à deux mains lorsque Richard entra, une arme sur la tempe d'Anna.

— J'ai tout entendu Thomas. J'ai toujours su que vous étiez quelqu'un d'intelligent, alors j'ai mis une caméra dans votre atelier. Comment osez-vous détruire une chose aussi incroyable que le voyage dans le temps ? Vous me dégoûtez ! 

— C'est vous qui avez tué Henry !

— Bien sûr, je ne laisserai rien se mettre en travers de ma route !

— Fait le Thomas ! Tout ça n'existera plus !

— Ferme là ! Si tu appuies sur ce bouton, je la tue. Et si le voyage dans le temps ne marche pas, elle sera morte ! Définitivement !

Thomas était terrifié à l'idée de la perdre et ne savait pas quoi faire.

— Il nous tuera de toute façon ! hurla-t-elle.

Elle avait raison. Il appuya sur le bouton et Richard appuya sur la gâchette. La balle lui transperça le crâne dans un bruit assourdissant et elle s'écroula par terre. Thomas s'élança vers elle et Richard se précipita sur l'arrêt d'urgence. Ils se regardèrent tous les deux, les yeux plein de frayeur et d'espoir. Puis tout s'arrêta.

 

 

            Thomas se trouvait dans le tunnel de l'accélérateur pour vérifier un instrument de mesure et préparer la prochaine expérience de création de mini trou noir. Ce fut alors qu'un papier apparut dans le conduit devant lui, comme par magie. Il le lut et crut d'abord à une farce. Mais en lisant les calculs décrits, il commença à prendre cette histoire au sérieux. Il retourna dans son atelier bien rangé où travaillait Sam et Jade. Il garda le message pour lui et étudia sérieusement les calculs. Il n'en fallut pas plus pour le convaincre. Il passa les prochains jours à apporter des corrections à la procédure de l'expérience et réussit à les faire valider par le responsable.

Le jour de l'expérience, il plaça discrètement une feuille dans l'accélérateur. C'était une feuille prise dans un vieux tas de feuilles inutilisé qu'il avait récupéré chez lui. La même feuille qu'il avait prise dans le futur. Il avait imprimé l'exact message avec la même encre, selon les instructions du message. L'expérience était programmée avec les calculs qu'il avait entré, de manière à ce que le message soit renvoyé à la même date, à l'endroit exact où il l'avait trouvé, pour que seul lui le trouve. L'expérience eut lieu et Thomas lâcha un soupir de soulagement. Rien n'avait explosé, tout le monde était en vie et la feuille n'était plus là. Le voyage dans le temps avait fonctionné. Il se résolut alors à faire ce qu'il devait faire. Depuis son ordinateur dans la salle de contrôle, il pirata toutes les données permettant d'arriver d'une manière ou d'une autre au voyage dans le temps. Quand il eut fini, il ne restait plus rien.

 

 

         Un mois plus tard, Thomas se trouvait dans un café à Paris. Il avait été licencié pour avoir piraté son entreprise et était maintenant poursuivi en justice par le directeur Richard. Mais cela en valait la peine. Anna arriva et s'assit à sa table. Conformément au message, il avait fait sa connaissance et l'avait invitée à sortir.

 

 

        

Signaler ce texte