Compagnon(s)

Casper Kemperski

"Encore des pâtes au thon?!" reprocha Karim à Guillaume, qui remuait le contenu d'une casserole cabossée perchée sur une chauffe artisanale ; un bordel imbitable à bricoler moyennant une boite de conserve, quatre canettes de soda, un tube de dentifrice et des mouchoirs en papier imbibés d'huile. Démerdez-vous pour l'assembler, sinon cherchez la réponse sur la chaîne youtube d'un connard survivaliste. L'astuce était rodée ! Comme le rideau-serviette tendu à l'arrache pour chier tranquille ou encore le yoyo , corde de draps qui leur permettait d'échanger des provisions avec leurs codétenus en le balançant de la fenêtre de leur cellule à une autre. "Oui, mais pas que...", dit Guillaume avec une étincelle dans l'œil, petite flamme qui devint un brasier quand il ajouta : "Car ce soir je t'encule !"

Et Karim, pas décontenancé l'animal, d'esquisser un sourire en allumant son briquet pour raviver le cul de son joint (avant que son conjoint ne s'occupe du sien...). Il cracha la fumée, se laissa tomber en arrière sur la couchette supérieure de leur lit superposé, un bras derrière la tête, puis repris une taf de l'autre main avant de venir cajoler son torse nu, l'air rêveur. La promesse de ce dessert pas catholique faisait passer la pilule de ce plat principal par trop routinier. En continuant à téter son mégot, il décida de la sortir, douce et tendre, bientôt dure, et de la polir machinalement à mesure que Guillaume raclait le fond de la dernière boîte Petit Navire. Par une ironie stupide, Guillaume avait atterri dans ce trou suite à une bagarre près du port du Havre. Il n'était pas marin, non, juste violent. Karim, lui, était un petit malin, une petite frappe qui écumait les quartiers cossus avec son pied de biche. 

- Ton assiette est pleine, queue de velours ! Dit Guillaume en relevant la tête avant d'être surpris par la scène qui s'offrait à lui.

La branlette de Karim s'était faîte plus frénétique. Au rythme des secousses de son avant-bras, il rebondissait sur le matelas miteux, puis massait son gland, puis ses boules fripées, glabres, avant de repartir dans un va-et-vient à trois doigts alors qu'il léchait l'index de sa main disponible. Il gémit à jeun : "Hmmmmmoui mais mon cul est vide et ça se plaint !!"

Pour le bagarreur Havrais, ce mauvais calembours était la goutte d'huile qui faisait déborder la chauffe. En grimpant sur la couche excité comme un veau, il mit par accident le pied dans le plat de pâtes au thon, ce qui eut pour effet d'ajouter colère et frustration à cette absurde équation. La queue de Karim était fumante. Guillaume lui colla une beigne, pour lui apprendre, et parce que la vie lui avait appris qu'on ne faisait jamais l'économie de quelques patates, avant de l'avaler goulûment, jusqu'à la garde, tout en lui enfonçant un pouce de charpentier dans l'oignon. Le Tunisien fit "Ouuuuf" et ses orteils se raidirent , tandis qu'il se cambrât pour tenter de plonger plus profondément dans la bouche de son colocataire de fortune. Mais Guillaume lui mit un crochet dans le foie, recracha le beau membre luisant de bave et basané, avant de retourner Karim sans ménagement pour enfin l'emmancher : "Chose promise chose dûe !" dit-il avant de lui asséner un dernier coup dans les côtes et d'abaisser son jogging, dévoilant un curieux chibre de taille et de pilosité généreuses, arqué tel un boomerang. Image propice au brusque va-et-vient qui s'en suivit, rythmé par les brefs coups du lapin qu'assénait Guillaume à Karim pour lui "contracter la créole", comme il aimait le dire. Pour seule réponse, Karim faisait la sirène à incendie. Une drôle de sirène pour une drôle d'intrusion et, paradoxalement, un fantastique moyen d'évasion.

Quand Guillaume laissa exploser tout son ras le bol du système carcéral entre les reins de l'éphèbe marginal, dans un râle à peine humain, ce fût l'heure pour lui d'aller en promenade. "PROMENADE ET GYM !", cria le maton en cognant la lourde. Karim, de son côté, se rendit donc à la salle de sport pour faire quelques pompes et quelques tractions. Et les pâtes au thon gisaient sur le sol froid de leur cellule, dont les murs étaient encore imprégnés de leur étreinte brutale et désespérée, et de tant d'autres avant la leur.


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