Conches-en-Ouche ou L'oblongue incendiaire
koss-ultane
Conches-en-Ouche ou L’oblongue incendiaire
Se faire sauter, tout un programme. Encore fallait-il être regardante sur le calibre.
Marelle, irréelle marraine, de la terre au ciel !
Elle avait toujours trouvé la paranoïa paternelle normale avec tout ce que l’on voyait à la télé et lisait dans le journal local. Madame Vy, la voisine âgée, s’était faite taper par une bagnole jusque sur le passage piéton pas plus tard que ce tantôt. Certes, cela débarrassait d’une vieille conne mais ce n’en était pas moins de la violence. Et la récente acquisition de ce pavillon n’y changerait rien. Elle devrait jouer à l’abri des regards, côté jardinet, et peu de temps encore car la créativité paternelle avait bien l’intention de s’y exacerber. De plus, le jeu qu’elle affectionnait par dessus tout prenait de la place. La marelle n’était pas un jeu de fillette pour peu que l’on s’y piquât. Parce que farouchement anti-voiture, c’était d’ailleurs la raison pour laquelle ils avaient fui Rouen et sa pollution éradiquant les bronchiteux de tous âges, le garage en terre battue souillée trottait dans la boîte à projet glabre du chef de famille. Il allait la re-surfacer en la creusant un peu, juste ce qu’il fallait pour évacuer les trois centimètres de terre imprégnée de mauvaise odeur d’huile de moteur rance et de chien faisandé. Il avait envie de faire envie maintenant que l’école était plus petite et la rivalité entre les pères plus aiguë. Puisque son action sur-protectrice allait être raillée, il ne se faisait aucune illusion à ce propos, il désirait ardemment frapper un grand coup et donner une leçon à tous les perdants trop gâtés par leurs parents oublieux de tout ce qui était bon pour eux à terme. Sa fille était la meilleure élève depuis toujours et de loin. Puisqu’elle avait jeté son dévolu sur une activité de plein air, voire sportive, il allait la récompenser sans la priver de son choix premier mais en le conciliant avec ses principes de précaution qui auraient fait pâlir d’envie les pourfendeurs de Bruxelles et Strasbourg des fameux fromages à pâte molle non pasteurisée et un peu pourris pour être bons, bordel ! Un aérateur fut posé et une fine couche de terre battue balancée à la déchetterie sous les yeux médusés d’aucun puisque personne ne semblait jamais y travailler.
Elle était avec sa génitrice à Caen pour y visiter sa grand-mère en second, la maternelle donc. Il voulait lui faire la surprise. Ce garage, inemployé chez lui et qui servait de “range vanité quatre roues motrices” aux autres couples de la ville, allait devenir un terrain de jeu pour la prunelle de sa vie. Grande surface, pas trop bas de plafond même pour un adulte de taille standard et bien éclairé par les spots qu’il y avait stratégiquement placés aux quatre coins, il y avait là de quoi faire et défaire. En plus, cela prouverait à tous qu’il était un homme capable et pas seulement un pépiniériste pousseur de brancards à verdure huit heures par jour. Une magnifique marelle de compétition à quinze numéros dessinée à la peinture blanche antidérapante, comme à Roland Garros, trônait au milieu de l’ancien garage à chevaux vapeur et chien diffuseur du père Lucien, l’ancien propriétaire, qui s’était électrocuté dès son premier jour en maison de retraite en confondant le porte-savon et la prise entre la douche et le lavabo. On sous-estime toujours trop le potentiel comique des mal-voyants au profit des aveugles et des cons.
Ayant œuvré pour sa descendance chérie et récolté des louanges filiales et des regards en coin des autres pères encaissant des coups de coudes de leur femme lorsqu’ils le croisaient à la supérette, il bombait le torse car la position de première de la classe de sa fille rejaillissait un peu sur lui désormais. Enfin… l’ancien bonnet d’âne s’en persuadait-il. Sans parler du fait que ce statut de meneuse avait été rehaussé par ce coup d’éclat ludique dans l’estime de tous ses petits camarades envieux ou carrément scotchés devant un paternel aussi délirant et efficace qu’autoritaire lorsqu’il s’agissait du plaisir de sa première de cordée.
Et la petite jouait, invitait des camarades curieuses et les battait encore plus largement qu’en classe. Son père lui demandait toujours les scores des parties de la journée lorsqu’il savait “qu’elle avait reçu” comme il disait. Pas une défaite, pas une mauvaise note, pas une possibilité pour les pédophiles de lui prendre sa chère et tendre. Son seul espace de liberté était cet antre du jeu d’adresse pour jeunes filles en pleurs tant elle les écrasait à plate couture. Excepté un copain cancre dont elle était chargée de remettre à niveaux les carences un peu trop voyantes au goût de la maîtresse, plus aucune fillette ne venait prendre régulièrement la pâtée pour la plus grande délectation paternelle. C’était un grand cornichon belge flamand, aussi doux que maladroit dans son grand corps de redoublant dégingandé, ce copain résiduel. A sautiller comme un benêt pachydermique, il se cognait autant la tête au plafond qu’à l’algèbre dont tous savaient déjà qu’elle garderait ses mystères pour lui jusqu’à la tombe. Ses grands panards mordaient trop régulièrement les lignes pour faire de lui un jour un joueur classé à la marelle, fut-ce à un niveau départemental.
Un calme et normal mardi à la frontière du morne, un de ces jours sécurisés où chaque molécule paraît cadenassée par un emploi du temps et une rectitude pléonastique d’expert-comptable psychorigide, les vitres du quartier s’affranchir de leur mastic et les bibelots poids mouche de leurs manteaux calorifères ou étagères aux alignements militaires. Les experts conclurent que les artificiers avaient sans doute raison en disant que ce qu’ils avaient retrouvé parmi les débris du pavillon du pépiniériste, délocalisé dans les rues voisines, ressemblait fortement à des éclats de bombe de la seconde guerre mondiale. Certainement enfouie dans la terre battue du garage et mise à fleur de sol par les récents travaux du fan de la loi martiale, les sautillements répétés et leurs collatérales secousses titillèrent le détonateur du pétard enlisé et mirent en orbite la huitième merveille du monde et son compagnon de sauterie.
Voici comment, à Conches-en-Ouche, on ensevelit côté à côte la forte en thème et le Q.I. de bulot mort-né et pas autrement. Enfin enterra-t-on un escarpin roussi pointure fillette, amputé de son nœud papillon sommital, et un appareil d’orthodontie, taille grand carnivore, à demi fondu.
D’après les calculs du père de la défunte, le centre du cratère coïncidait avec la case cinq du jeu fatidique, raccourci caché par atteindre l’arc de “ciel”. Remarque désespérée qui frappa tant le divin représentant valétudinaire indigène que… “marelle de quinze… tiers de cime et cime de tiers… cinq… aller double pour le cimetière. Hips ! Amen ! Ah ! Merde !” dégoisa un cureton imbibé, qui ne s’était apparemment jamais remis de la disparition prématurée de la distribution de l’almanach Vermot, avant de vaciller et de balancer son humide goupillon dans le trou avec renvoie simultané mal contenu et signe de croix qui tenait plus de la swastika parkinsonienne.
Tous ceux qui pensèrent qu’avec un père pareil Irène n’était pas prête à s’éparpiller, voyager ou s’envoyer en l’air, durent reconnaître leur aberration multiple.
“Terre battue, salle défaite et coup d’éclat, un mort, deux disparus” titra “Le Conches à foin”, la feuille de chou locale faisant peu de cas du décès de madame Vy, qui la perdit, étonnement intacte sinon, décapitée, la gorge tranchée par son ami Pierrot, porcelaine en plâtre plein, glaçage en série, finition main, numérotée de un à cent mille. Dix-huit centimètres de mime dans la position dite “demandant à la lune”. Josépha Vy, chétive alzheimérisée, convalescente qui, de retour chez elle le jour même après trois mois d’hôpital, s’était assise dans son salon pour lire le programme télé à tête reposée. Reposée, oui, mais où ?
Bravo pour cette sauterie normande avec son trou.
· Il y a presque 14 ans ·yl5