Concours
Maxime Lopez
15h45, la cité se met en branle. Peu à peu, les falaises déchiquetées de la République d’Ecosse s’estompent. Elles disparaissent derrière un amas d’écumes produit par le rythme impétueux des valves nous propulsant vers le Sud. Je range mon cube identitaire au fond de ma poche. Depuis bientôt quatorze ans, toute ma vie se trouve irrémédiablement dans ma poche, mon passe-droit pour m’exprimer, communiquer, consommer, me déplacer, pour exister.
Ce spectacle terminé, je me dirige vers le quartier Flots. Cela fait maintenant trois mois que je réside aux Hautes Herbes, citée mouvante de plus de dix mille âmes dont la majorité n’y vit plus d’une année. De ses entrailles jaillissent immeubles, parcs, maisons, autant d’espaces urbains reproduisant les formes et paysages de nos villes passées. Hautes Herbes n’est qu’une parmi des centaines. Mastodontes d’acier et de béryllium, ces mégastructures sont les nouveaux emblèmes d’une humanité redevenue nomade. Pris dans une spirale de flux incessant devenue immuable, notre modèle du “toujours plus vite“ nous a engagé sur la voie du “tout mobile“.
Toutes ces cités arpentent désormais le monde, sur terre comme sur mer, dans un mouvement anarchique dicté par leurs habitants qui ne voient en elles qu’une simple étape dans leurs migrations perpétuelles. Homo sapiens s’est inscrit dans une mobilité absolue où il multiplie les lieux d’habités, eux-mêmes en mouvement permanent.
Au guidon d’une trottinette universelle - transport individuel collectif - il ne me faut qu’une poignée de minutes de lévitation pour rallier les Flots. Le véhicule rendu, il s’enfonce dans sa station souterraine quand un drone m’interpelle. Avec ses congénères, il est la pierre angulaire du réseau des Hautes Herbes relié au rhizome mondial.
« Monsieur Abru… ». Je sors mon cube sur lequel il se connecte immédiatement.
« Au vu de votre profession, vos goûts et vos récentes actions citoyennes, ce message est pour vous. »
Le R1120 s’applique à m’expliciter ce dernier en projetant ses faisceaux sous mes yeux.
« Dans le cadre du cinquantième anniversaire du concours Les nouvelles proximités dans la ville de demain, l’Observatoire de la Ville lance un nouvel appel à idées sur la ville de demain. La première et jusqu’alors unique édition de cette démarche a été couronnée de succès. Les éléments suggérés alors, explicités et conceptualisés par la suite font désormais partie de notre quotidien et constituent la ville de notre temps. Les réflexions recueillies à l’époque nous ont permis d’appréhender de nouveaux usages et de transformer durablement le fait urbain. Mieux, ils ont engendré un modèle de société.
A tout instant, le citoyen peut se connecter à son avatar et accéder au Domaine. Là, il s’informe, débat, finance, vote, participant intégralement aux processus de décision.
Et que dire des vers prophétiques d’A. Gina quant à la mutation de nos modes de construction (extrait) :
Edifié puis déconstruit pour migrer
Tu sers le présent et pense l’avenir
Le geste n’est plus éternel mais durable
Sa trace, éphémère et fugace
44 degrés 49 Nord, 6 degrés 7 Sud
De par le monde, édifice
Ton uniformité démantèle et protège
Dextérités locales et espaces vierges.
Cet anniversaire est l’occasion de reformuler ce concours.
A l’aube de la seconde moitié du XXIème siècle, de nouvelles problématiques se posent à l’homme quant à son évolution dans ses nouveaux habitats. La montée des eaux a modifié perceptiblement notre compréhension de l’environnement et notre développement sur la planète. Il ne s’agit plus d’inventer mais de s’adapter.
Adaptation, c’est le maître mot et leitmotiv de ce concours. Changements aléatoires du rythme des saisons, multiplication des mouvements tectoniques violents ou encore saturation de gaz à effet de serre, la société contemporaine doit prendre en compte ces nouveaux enjeux loin du catastrophisme ambiant de ces dernières décennies. Dans la continuité des travaux effectués par M. Travowicz sur l’exploitation des courants marins pour un transport durable des marchandises, vous réfléchirez sur la potentialité de tels phénomènes environnementaux pour nos villes.
Dans le cadre du partenariat avec le tout nouvel Ordre des Eruditions, les cinq lauréats seront sélectionnés par les I.A. où sont conservées les consciences du jury de la première édition du concours ».
La lumière dessinant l’écran disparaît sous la carapace de carbone du R1120. Quelques pas et je me retourne vers la station de trottinette déjà disparue dans son foyer souterrain. Un visage me vient alors en tête. Hind, une vieille amie. Je me revois en sa compagnie, lisant sa dernière production dactylographiée la vieille pour ce qui me semblait être un appel à idée. Il était question de ville du futur, d’éradication vitale de l’automobile et de transports individuels en libre accès généralisés. C’était il y a cinquante ans.
Bien, Maxime !
· Il y a presque 11 ans ·nickrandriaman