Confinements intimes #69

Cyrille Royer

9 janvier.

Aujourd'hui, je fais la cuisine. Ce soir, on a du monde, et avec le couvre-feu, on aura du monde ce soir et toute la nuit, ce qui nous laissera le temps de bien baver ensemble et de bien nous contaminer. Le but du couvre-feu, quoi.

Les filles sont parties se promener, à part une de mes petites qui fait ses leçons dans sa chambre. Je prolonge l'état de solitude de la semaine.

J'aime bien écouter de la musique quand je fais la cuisine. Il y a peu, j'ai découvert une artiste : Lingua Ignota (d'une « langue inconnue » inventée par une abbesse au XIIème siècle pour elle toute seule). Définir son style, c'est compliqué, disons que c'est entre chant liturgique et musique industrielle. Quand je lis sa bio, je vois qu'elle a été victime de violences conjugales et qu'elle se libère par la musique. Elle a fait une chanson sur Aileen Wuornos, cette prostituée tueuse en série, condamnée à mort aux États-Unis, et qui assassinait ses clients violeurs.

La voix céleste s'est transformée en cris rauques, on n'a pas vu la transition. Je suis sans doute le seul à aimer ça, en voyant la réaction de ma fille qui descend de sa chambre et qui remonte vite fait.

Je ne sais pas pourquoi ça me touche, pourquoi cette musique me fascine. Sa catharsis n'est pas la mienne, et je ne sais pas pourquoi, en pleine crise et saisi d'angoisse envers l'avenir, j'éprouve plus de bien-être à écouter de la musique apocalyptique que du Patrick Sébastien (bon, là, j'exagère un peu). C'est comme boire un café chaud en pleine canicule. Ça désaltère.

Je ne suis pas normal.

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