Consultation

Caroline Morello

— Docteur, je suis malade. Tout mon corps me joue de vilains tours depuis quelque temps. Je suis sure que c'est très grave.

— Il va falloir m'en dire un peu plus si vous voulez que je vous aide.— Oh là là ! Je ne sais même pas par où commencer !

— Par le début peut-être ? Comment et quand les premiers symptômes sont-ils apparus ?

— Je crois que c'était il y a un mois. Oui, c'est bien ça. Je m'en souviens parce que c'était la pleine lune. Et d'ailleurs, maintenant que j'y repense, je suis souvent dans la lune ces derniers temps. Donc, je passais la soirée dans un bar avec une amie, comme tous les jeudis parce que nos copains musiciens y jouent. Et puis, d'un coup, j'ai eu l'impression de m'envoler…

— De vous envoler ?

— Oui, oui, de planer au-dessus de tous les gens qui étaient présents. J'étais bien, comme sur un nuage tout doux. Je n'entendais que le brouhaha de la musique et des conversations, je me sentais légère. Quand je me suis retrouvée assise sur ma chaise, mon amie m'a demandé pourquoi j'avais ce sourire béat sur les lèvres.

— Aviez-vous bu de l'alcool ?

— Ah ça non ! Jamais d'alcool. Je ne bois que du jus de goyave.

— Aviez-vous consommé des substances illicites ?

— Enfin docteur ! Je bannis tout ce qui peut entraver le bon fonctionnement de mon organisme et c'est pour ça que je m'inquiète de mon état de santé actuel. Je ne bois que des jus de fruits bio, je ne fume pas, je m'adonne régulièrement à des activités sportives, je mange sainement. Ben tiens, parlons-en d'ailleurs de la nourriture. Je ne peux plus rien avaler.

— Vous avez mal à la gorge ?

— Non non, je n'ai juste plus d'appétit. Je grignote de temps en temps, mais je n'ai presque jamais faim.

— Vous devez vous sentir faible si vous mangez si peu.

— Pas du tout ! Au contraire, c'est comme si mes forces étaient décuplées. Tenez, la semaine dernière, je suis partie faire quelques kilomètres à vélo. Quand je suis rentrée chez moi, j'ai réalisé que j'avais pédalé pendant près de 4h. Le pire, c'est que je ne me souviens même plus où je suis allée.

— Troubles de la mémoire donc. Ça vous arrive souvent ?

— À vrai dire, oui. Au travail, j'oublie systématiquement ce que mon chef me demande de faire. Il me dit que j'ai la tête ailleurs et qu'il faudrait que j'arrête de sourire bêtement en hochant la tête quand il me parle.

— Si votre état de santé influe sur votre travail, il va falloir que je vous signe un arrêt.

— Ah bon ? J'en étais sure, vous me cachez quelque chose docteur. C'est plus grave que ce que j'ai pu imaginer.

— Je n'ai pas dit ça. Il me faudrait plus d'éléments et des examens complémentaires pour envisager un diagnostic. Dites-moi, avez-vous des douleurs abdominales ?

— Maintenant que vous le dites, il se passe effectivement des choses étranges dans mon estomac.

— Quel genre de choses ? Des crampes ? Des gargouillements ? Des nausées ?

— Plutôt comme si des dizaines de papillons se mettaient à battre des ailes en même temps. C'est presque agréable d'ailleurs.

— Je vois, je vois…

— Vous voyez quoi docteur ?

— Est-ce que vous avez parfois l'impression que votre cœur s'emballe ?

— Oh oui ! Il bat la chamade ! J'en étais sure ! J'ai un problème cardiaque ?

— Franchement, je ne crois pas. Une dernière chose : ces symptômes s'amplifient-ils dans un endroit ou une situation particulière ?

— Ah ben oui ! Tous les jeudis soirs, au bar. Pourquoi ?

— Je pense avoir trouvé le mal dont vous souffrez. Malheureusement je n'ai aucun traitement efficace à vous proposer.

— Oh non ! Je suis condamnée ? J'en ai pour combien de temps encore ?

— Ça dépendra de vous. En tout cas, ce qui est sur, c'est que vous êtes amoureuse.

— Moi ? Amoureuse ? Mais de qui ?

— Ah ça, je ne peux pas vous dire. Sûrement de l'un de ces troubadours.

— Mais ils sont quatre ! Lequel est-ce ? Comment le reconnaître ?

— Prenez rendez-vous avec ma secrétaire et nous aviserons lors d'une prochaine consultation.

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