Consumés

elyna

Gênée par son acte et pourtant... elle s'en délectait d'avance. La jouissance de cracher son venin sur le papier. Imaginer son visage blême à la découverte des mots. Sa bouteille de vodka à demi consommée ne faisait qu'amplifier son désir de se livrer à la délicate délivrance en assignant l'ultime coup de poignard à son ancien amant. Assise confortablement dans son vieux fauteuil club, elle caressait la feuille encore vierge qui serait l'acte meurtrier.

          Elle ne le laisserait pas refaire sa vie. Personne ne sortait indemne de son monde sans souffrir. Il l'avait dédaigné, trompé, trahi pour une autre. Il serait le prochain à subir. Résolue, elle se leva et rapprocha d'elle la plume et l'encrier qu'elle avait soigneusement remplie à l'aide de son sang quelques heures auparavant. Non qu'elle veuille sa fin, mais la sienne oui. Et donner le sang de la souffrance, mort s'en suivrait. Elle ferait de sa vengeance, une malédiction.

«  Non, je n'accepterais pas. Non je n'accepterais jamais de t'avoir perdu, mon bien Aimé » chuchota – t – elle alors que sa plume effleurée la surface blanche afin que les mots coulent telle une rivière brûlée d'acidité...

        Les griffures prirent la forme de mots, puis de phrases entremêlées de larmes qui vinrent former une lettre à la tristesse d'une vie brisée... «  … Mon aimé, bien de temps ont coulé avant l' inéluctable réalité, je suis intérieurement morte, assoiffée, décharnée par ce manque. Il m'a rongé, entamé, griffé et meurtri. J'ai senti la vie me quitter lentement, je respire toujours mais le froid règne dans ma chair. Mon âme ne peut se complaire sans la tienne. Comprend ma déchéance qui s'est révélée au fil des mois et a fini sa connivence au bord de mes larmes accueillant le deuil de mon existence. Tu m'as tué, autant que tu m'as rendu vie ...  »  La déraison signée le thème. Il était impossible pour elle qu'il est droit de vie avec une autre qu'elle. Elle ne prit la peine de relire. Elle signa de ses lèvres carmin et déposa le manuscrit dans une enveloppe au parfum léger d'agrumes.

        Tout était parfait.

        Elle revêtit sa robe noire, celle qu'il aimait tant, couvrant avec volupté son corps charnu...
        ...Il humectait ses lèvres d'un vieux bourbon, en ouvrant la fenêtre...
        Elle prit la lettre, éteignit les lumières et ferma silencieusement la porte...
        Il alluma sa cigarette, adossé à son vieux fauteuil club. Ses pensées se tournaient vers la femme qui enivrait ses sens...

        L'heure était venue.

        Tout n'était que silence dehors. La rivale n'habitait qu'à quelques pas d'ici. Elle choisira de les parcourir à pied.
        Au rythme du claquement de ses talons, l'excitation grandissait. Elle jubilait en imaginant la scène qui prenait place. Elle ne lui laisserait aucune chance. Elle garderait en mémoire ce dernier comme premier regard croisé avec la femme de la trahison. Elle n'oublierait pas son expression au moment fatidique. Elle ne négligerait pas, non plus, la musique qui envelopperait l'instant. Et surtout l'odeur fugace de la mort à ses oreilles qui viendrait la frôler.   

«  Tu as convoité mon dû, tu subira ma colère.  Personne ne me prend ce qui m'appartient »  souffla – t – elle la respiration saccadée.

        Elle était à présent devant sa porte. Elle sonna...
        Il montait l'escalier en quittant son peignoir...
        Et cette dernière s'ouvra sur un minois candide. La stupéfaction ne lui fit perdre que quelques secondes. Elle braqua l'arme sur ce visage et tira, sans attendre. Une détonation sourde retentit. Elle offrit la lettre à la défunte et quitta les lieux...
        Il poussait lentement la porte de sa chambre et éteignait afin de retrouver la douceur de la nuit...

        … On pouvait lire d'une écriture appliquée que la lettre était destinée à un homme. Son contenu ne serait révélé et pourtant la première phrase fut le gros titre du journal local.

«  Tu m'as empoisonné »

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