A une fleur

pourquoilavie

Participation au concours "Shakespeare et la jalousie"

J'aimerais avoir beaucoup plus de soleil, dit la fleur…

Tu n'es pas heureuse là où tu es ? Mes longues branches te donnent pourtant l'ombre nécessaire pour fleurir à ton aise et préserver tes jolies couleurs tout le temps de l'été, qui parfois, se montre sans pitié. Regarde certaines de tes voisines comme elles souffrent, sont à la peine et déclinent bien avant la fin de la saison… Quel triste sort.

Peut-être… Mais…

Mais quoi ?

Tes branches me font trop d'ombre. Et personne ne me voit bien du coup. Je passe plutôt inaperçue, les visiteurs ne s'arrêtent guère.

Oh pardon… Mais comme je te disais…

Je sais, mais de toute façon, là n'est pas la question…

Alors quelle est la vraie question ?

Oh… Regarde, ce jardin avec toutes ces fleurs qui brillent de leurs milles feux, je veux dire de leurs couleurs éclatantes, de leurs robes superbes… Elles sont idéalement placées car plantées comme des reines sur l'allée centrale. Je dirai que pour elles,  c'est comme se retrouver à la semaine de la mode… Elles sont sur le podium et c'est un défilé de centaines de visiteurs chaque jour qui n'ont d'yeux que pour elles. Elles peuvent se pâmer, faire éclat de toute leur beauté printanière…  Regarde où nous sommes, sur une petite allée en retrait qui demande donc à faire un détour…

Mais tu as la paix…

Cela ne m'intéresse pas…

Penses tu réellement, cependant, que leur sort soit plus enviable que le tiens ?

La fleur tord sa mince tige au vent comme un enfant morveux fait avec son nez, pris en défaut mais ne sachant quoi répondre et surtout cherchant à éluder… La question gênante révélant un aspect peu flatteur de son caractère…

Désireux de dédramatiser, et un petit brin provocateur mais sans trop ayant saisi à quelle fleur il avait à faire, il poursuit :

Pourquoi n'envisages-tu pas de rejoindre celles logées dans la serre ?

Mais ça ne va pas ! Pour être serrée comme une sardine et, puis, imagine un instant la terrible chaleur qui y règne… mon corps frêle n'y résisterait pas…

Certes, mais l'hiver par les plus grands froids… Voilà un avantage…

Tu veux parler d'une promiscuité… Ah quelle horreur !

Tu veux bien me dire, quelle situation trouverait grâce à tes yeux ? Ou voudrais-tu prendre racines ?

Mais, voyons, cela crève les yeux, là bas, à l'entrée, sur le premier parterre… Celui qui se trouve au tout début du circuit… Qui plus est, au bord du plus beau point d'eau.

Là-bas ! Repris le saule pleureur en lâchant un cri malgré lui… Mais…Ta jalousie t'aveugle…

Jalouse-moi ? Mais tu plaisantes j'espère… Pourquoi serais-je jalouse ? Je réclame seulement un meilleur endroit que je considère bien plus propice à mon épanouissement… De la jalousie, c'est bien la meilleure celle-ci… Toutefois, comme pris en flagrant délit, ses tépales rougirent légèrement…

Le saule pleureur se contenta d'un rire en coin… Il ne voulait surtout pas se fâcher avec son interlocutrice… Et puis, par son grand âge, il en avait vu des fleurs, entendu des complaintes et leur langage n'avait plus de secret pour lui… Il savait combien elles étaient susceptibles. Il évitait donc avec soin les paroles blessantes comme les épines des roses. La délicatesse était plutôt de rigueur.

Pourquoi ne demandes-tu pas au gardien de changer de place pour la prochaine saison ?

Mais c'est fait !

L'année d'après, ses vœux furent comblés. Elle se trouvait au centre des attentions des visiteurs.

Cependant, un jour, des enfants qui s'amusaient sans penser à mal, la piétinèrent par mégarde…

Quand le saule pleureur apprit la nouvelle, il fut chagriné mais guère surpris. Il savait cet endroit exposé. Il se souvenait d'avoir tenté de la dissuader mais en vain.

Cependant, sa mémoire lui faisant défaut, parfois, il demanda au gardien qui, un jour, passait près de lui, de quelle fleur il s'agissait. Une ''narcisse'' fut sa réponse… Il comprit tout comme la proximité du point d'eau. Etre vu ne lui suffisait pas, il fallait aussi qu'elle s'admire.  

En plus d'être jalouse des autres, elle l'était aussi de son image…

  • Belle idée.
    (vu une coquille : tépales)

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Avtar

    Stéphane Monnet

    • Merci beaucoup. Tépale s'emploie aussi pour les fleurs, donc pas de coquille ;-) Merci de votre lecture attentive.

      · Il y a plus de 10 ans ·
      F%c3%a9lix vallotton

      pourquoilavie

    • Pas trouvé dans le dictionnaire...

      · Il y a plus de 10 ans ·
      Avtar

      Stéphane Monnet

  • très joli texte bien tourné mais est ce vraiment la jalousie qui est le thème central ? je ne pense pas, plutôt la vanité (ce qui n'enlève rien à la qualité de l'écriture).

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Default user

    Jean Louis Bergey

    • Merci beaucoup pour avoir apprécié mon écriture.

      Jalousie, vanité, ne sont-elles pas comme deux sœurs siamoises ?

      Je finirai par cette citation de Stendhal « Ce qui rend la douleur de la jalousie si aiguë, c'est que la vanité ne peut aider à la supporter. »

      · Il y a plus de 10 ans ·
      F%c3%a9lix vallotton

      pourquoilavie

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